Passer à l’énergie 100 % renouvelable, profiter d’Internet sans menacer l’épicerie du coin, se battre contre la montée des eaux ou simplement contre les marées… Sur ce petit caillou de quelques hectares planté à l’extrême Ouest du Finistère, les habitants résistent comme ils respirent.
Publié le 31 janvier 2017 à 18h00
Mis à jour le 08 décembre 2020 à 03h38
Qui voit Sein voit sa fin, dit l’adage. A l’extrême Ouest du Finistère, au bout du bout du monde, ce petit îlot est séparé du continent par un raz, passage traversé de terribles courants, qui vit s’échouer des dizaines de navires. Sur cette terre qui culmine à 1m50 au cœur d’une mer hostile, où les embruns salés brûlent la rare végétation, où l’eau doit être désalinisée pour être bue, les arbres se font rares et les hommes qui ont choisi d’y vivre aussi. Ce rocher de quelques hectares à peine, sur lequel vivent quelque 130 personnes l’hiver, un millier l’été, est devenu un symbole de résistance.
Résistance politique d’abord, puisque dès juin 1940, à peine entendu l’appel du général de Gaulle, cent quarante et un hommes de l’île rejoignirent Londres. Au point que le général put constater que « l’île de Sein, c’est donc un quart de la France »… Depuis 1946, la commune est devenue compagnon de la Libération, et presque tous les présidents de la Ve République ont débarqué sur cette île surmédiatisée.
Résistance à la montée des océans ensuite : en 2008, un cliché fit le tour du monde. On y voit la mer déchaînée manger l’île, devenue emblème des territoires menacés par le réchauffement climatique. Depuis, les digues ont été renforcées. Reste à fixer la population sur l’île. Sous l’impulsion de la Chambre de Commerce et d’Industrie de Quimper, des groupes de réflexion se sont montés entre îliens, experts, et membres de la Fondation ZERI (Zero Emission Research and Initiatives) créée par Gunter Pauli. Cet homme belge a inventé le concept de la Blue Economy qui promeut un modèle de développement sans déchets et créateur d’emplois locaux. Il entend faire du Sud-Finistère un terrain d’expérimentation et « transformer l’île de Sein, ce grand symbole pour la France et pour la Résistance, et en faire le symbole de la résistance contre une économie qui ne donne plus de vie ». Rien de moins !
Résistance aux solutions économiques imposées par Paris enfin. Dans un monde globalisé, on est aussi bien placé au bout du Finistère que dans les bureaux d’un ministère parisien pour avancer des solutions concrètes aux problèmes de la planète. Ici, les gens sont motivés pour prendre en main leur avenir : des habitants projettent de racheter le réseau d’électricité, d’autres de ramener de l’argent en profitant de la spéculation sur les œuvres d’art, ou encore de développer une marque « Ile de Sein »… S’ils s’opposent sur la façon de changer le système, de l’intérieur ou frontalement, tous s’accordent pour le faire bouger. Comme le dit Didier-Marie Le Bihan, artiste dans l’île, « ce qui se passe à l’échelle planétaire, on le voit tout de suite. Ici, tout est tellement petit qu’on voit le monde en grand. » Visite à quelques « pen kalled » – têtes dures en breton –, des vigies qui font de leur île le laboratoire de demain.
Dominique Salvert, le maire (sans étiquette)
Marie Robert, ostréicultrice
C’est à 25 ans qu’elle a débarqué sur ce caillou avec son compagnon Stanislas, dont la famille est originaire de l’île. Tous les Sénans louent leur courage d’avoir posé leurs parcs à huitres au pied du phare, à une extrémité de l’île séparée du village par un sillon immergé quand viennent les grosses marées et les tempêtes. Mais c’est ici que Marie la Bourguignonne se sent bien, surtout l’hiver, « quand on est entre nous. Ici, on est libre… »
François et Catherine Spinec, fondateurs d’Ile de Sein énergie (IDSE)
Elle est tout en douceur, lui a la rugosité du granit. « On n’est pas du genre à lâcher ». Nul ne songerait à douter de la détermination de Catherine et François Spinec à bouter EDF hors de l’île. Sein, comme la Corse, n’est pas connectée au continent. Chaque année environ 400 000 litres de fuel sont acheminés pour alimenter trois groupes électrogènes. L’IDSE a pour projet d’assurer la transition énergétique de façon… énergique. Vent, soleil, courants marins : la société entend mettre en avant toutes les ressources naturelles. Pas question de se satisfaire de « bricolages » avancés par EDF sous leur pression (éclairage public par LED, changement des frigos, pose de panneaux photovoltaïques) pour moins polluer, IDSE veut passer rapidement à l’énergie 100 % renouvelable. Si, à ses débuts, l’idée avancée par la municipalité faisait l’unanimité, elle est, quatre ans plus tard, source de divisions. Une quarantaine d’habitants a acheté des parts dans IDSE qui vient de s’adresser à la justice française et à l’Union européenne pour mettre fin au monopole d’EDF. Un certain secret cultivé autour de leur projet n’a pas empêché le ralliement et le soutien d’associations écologistes de toute l’Europe, dont Greenpeace, certains médias, Corinne Lepage, etc. Des écoles comme l’ENS ou Supelec sont même devenues partenaires. Le sujet clive la petite communauté et ceux qui s’en sont éloignés accusent François Saultier, l’ingénieur derrière ce projet alternatif, au mieux de se faire de la publicité sur le dos de l’île, au pire d’être malhonnête (1). Un malaise s’est installé sur l’île. Comme le dit une jeune habitante : « le pire, c’est que des deux côtés, pour ou contre IDSE, ils essaient de bien faire. »
Ambroise Menou, ancien médecin de l’île, adjoint au maire
Il y a des gens qui font un pot et un film pour leur départ à la retraite. L’été dernier, quand Ambroise Menou a mis un terme à quatorze années d’exercice sur l’île, il a vu arriver Ouest-France, France 2, et même TF1, qui en fit un portrait de trois minutes sous le titre : Ambroise Menou, l’ange gardien de l’île de Sein… C'est peu dire que les Sénans sont courtisés et mis en avant dans les médias. L’ancien médecin est resté vivre sur l’île. Il a aujourd’hui une remplaçante venue de Touraine, qui semble se plaire ici. « Il y avait une malédiction sur l’île avec les médecins… Ils ne restaient pas. L’île épuise les docteurs ou plutôt, à mon avis, ils étaient épuisés en arrivant... Ça ne marchait pas. »
Retraité, à soixante-dix ans, il est maintenant premier adjoint au maire dans une île, qui a – entre autres – la spécificité d’être dispensée d’impôts locaux (taxe d’habitation et professionnelle). Ce cadeau fiscal date de Louis XIV, qui ne voyait pas l’intérêt de taxer « les rochers, le vent et la tempête ». Menou fait partie, avec Henri Le Bars, le très dynamique conseiller municipal chargé du développement économique, du comité de pilotage qui réfléchit à l’introduction de la Blue Economy sur l’île.
Didier-Marie Le Bihan, artiste, fondateur de Radooo
Pieds nus dans ses sandales quelle que soit la saison, bonnet vissé sur un crâne qui… chauffe, Didier-Marie Le Bihan n’est pas du genre frileux. Avec son accent du Finistère à couper au couteau, l’artiste peintre est une figure de l’île, et bien plus… C’est surtout quelqu’un qui pense sur le long terme. « Pas le choix, ici, on est obligé d’avoir des idées ». Ce quinquagénaire, dont le père a racheté une ancienne conserverie en 1973 (qui abrite désormais un café associatif et des lieux d’exposition), déborde de projets et entend développer son association Radooo.
(1) François Saultier est un ingénieur qui a, au préalable, monté le projet d’un parc participatif de six éoliennes à Plélan, près de Rennes.
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