L’esclavage, "une économie de violence"

Une famille d'esclaves dans le sud des Etats-Unis ©AFP - ANN RONAN PICTURE LIBRARY
Une famille d'esclaves dans le sud des Etats-Unis ©AFP - ANN RONAN PICTURE LIBRARY
Une famille d'esclaves dans le sud des Etats-Unis ©AFP - ANN RONAN PICTURE LIBRARY
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En restituant l'intensité des échanges noués entre l'Afrique et les Amériques, notamment du point de vue des esclaves, l'ouvrage "Être esclave" de Catherine Coquery-Vidrovitch et Eric Mesnard offre une remarquable synthèse des apports récents de l'historiographie internationale sur l'esclavage.

Avec
  • Eric Mesnard Professeur d’histoire et de géographie à l’université Paris-Est Créteil (ESPE de l’académie de Créteil)
  • Catherine Coquery-Vidrovitch Historienne, spécialiste de l'Afrique et professeure émérite de l'Université de Paris.

En Afrique, aux Antilles et sur le continent américain, les esclaves ont été des acteurs majeurs et pourtant largement mésestimés de l’histoire de l’esclavage. À rebours de l’historiographie dominante, Être esclave. Afrique-Amériques, XVe-XIXe siècle (La Découverte) repose notamment sur les nombreux récits de vie écrits par les esclaves eux-mêmes et s’attache ainsi à montrer qu’ils ont contribué à l’évolution culturelle et sociale des côtes et de l’arrière pays africains, à la création de nouvelles sociétés métissées aux Amériques, ou à l’invention de formes de résistance dont la révolution haïtienne marqua le sommet. "Notre propos est de montrer à quel point les esclaves sont acteurs", appuie l'historien Eric Mesnard.

"Moins une histoire de l'esclavage, qu'une histoire des esclaves"

"Moins une histoire de l'esclavage, qu'une histoire des esclaves", c'est ainsi que Catherine Coquery-Vidrovitch définit le projet de l'ouvrage. Avec Eric Mesnard ils se sont penchés sur des périodes de l'histoire de l'esclavage moins étudiées que celle de la grande période des plantations sucrières, de tabac ou de coton entre le milieu 17e siècle et le milieu 19e siècle. Avant ce commerce avec l'Europe au 15e siècle il y a eu des déplacements massifs d'esclaves vers le monde arabe.

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En se basant sur des récits, ils ont retracé l'itinéraire des esclaves dont une grande majorité a traversé l'Atlantique sans mettre le pied en Europe, comme cela s'est produit par exemple entre les colonies portugaises et Brésil. Cette histoire a pu être reconstituée et notamment les itinéraires suivis par les esclaves, grâce à de nombreux documents administratifs. "Ce qui ressort de tous les récits, c'est la violence", conclue Catherine Coquery-Vidrovitch.

Distinguer l'esclavage de la traite

De 1670 à 1860, les historiens estiment qu'entre 12 et 13 millions d'Africains ont été déportés vers l'Amérique. L'esclavage a existé dans toutes les sociétés, nous rappellent les historiens et la traite est arrivée après. Le commerce de l'esclave qui induit une déshumanisation et donc une grande violence sont à distinguer de l'esclavage domestique.

La traite permet d'avoir une population d'esclaves constante, que l'on peut renouveler sans cesse et c'est ce système qui explique l'espérance de vie très courte des esclaves ainsi vendus.

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Les esclaves sont acteurs

La question des résistances est enjeu historique et mémoriel essentiel. Les formes de résistance dont le triomphe d'Haïti a marqué un sommet a inquiété les Occidentaux.  Côté africain, être esclave était un statut enraciné donc il y avait moins de révoltes possibles. Une autre forme de résistance existait sous la figure du marron, c'est ainsi que l'on appelait les esclaves qui prenaient le risque de s'enfuir.

Quand la traite est arrêtée au 19e siècle, les esclaves sont alors utilisés dans des systèmes d'exploitation esclavagistes sur la côte orientale de l'Afrique tournée vers l'océan indien : on assiste ainsi à un transfert du commerce des esclaves de l'Atlantique à l'Océan indien.

"Cette économie de violence, cette politique de violence qui a dominé pendant plus de trois siècles l'Afrique, ne peut pas ne pas avoir laissé des traces", estime en conclusion l'historienne Catherine Coquery-Vidrovitch. La traite esclavagiste sur plusieurs siècles a forcément été un facteur pesant de l'histoire africaine.

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