Villejuif : bienvenue dans le plus gros point de deal du Val-de-Marne

 Le four de Villejuif est le plus gros point de deal du département.
Le four de Villejuif est le plus gros point de deal du département. DR

    Les clients l'appelent «le stade», parce que c'est plus facile à trouver. Les policiers le surnomment «le four», parce que c'est chaud tout le temps. Les habitants, eux, n'en parlent pas de peur des représailles. C'est pourtant le plus gros point de deal de cannabis dans le Val-de-Marne.

    Chaque jour, plus de 200 clients de l'agglomération parisienne viennent s'approvisionner dans ce renfoncement situé à l'angle de la rue Henri-Barbusse et de la rue Pasteur, à côté du stade Gabriel-Thibault à Villejuif. L'été ou le week-end, il y a tellement d'affluence que la file d'attente ressemble à un quai de métro aux heures de pointe. Je m'y suis rendu un vendredi soir pour acheter de l'herbe de cannabis. Et j'ai compris pourquoi ce point de deal était aussi réputé.

    Une position géographique idéale pour le business. C'est presque le plus important. « Le secret d'un point de deal qui fonctionne, c'est que le client puisse y venir facilement », résume un connaisseur. La très grande majorité emprunte la ligne 7 et descend à la station de métro Villejuif-Léo-Lagrange. Il suffit de marcher cinq minutes en remontant l'ex N 7. Puis de prendre à gauche, la rue Henri-Barbusse. Ici, entre 17 heures et 21 heures, il n'y a plus que des habitants ou des clients.

    «Chouf chouf», l'avenue Henri-Barbusse. Dès les premiers mètres, les tympans sont malmenés. Au guidon d'une moto-cross pétaradante, un ado prépubère remonte l'avenue uniquement sur la roue arrière. Il me dévisage quand il passe à ma hauteur. Arrivé jusqu'à la N 7, il fait demi-tour et redescend à fond la caisse. Le « chouf », ou guetteur, est payé entre 40 et 50 € par jour pour surveiller le secteur. «Ce ne sont pas souvent des mecs d'ici, précise un policier. Ils viennent d'autres départements. Il y a soit des gamins, parfois de 10/12 ans, qui tournent à vélo, soit des anciens trop cramés à cause des condamnations et qui ne peuvent plus prendre le risque de vendre».

    Trois portiers patibulaires. Ils sont trois à l'entrée du point de deal. Vous devez passer devant eux pour franchir le tourniquet anti-vélo. Eux aussi sont des «choufs» mais l'un est équipé d'une pelle de déneigement. Et non, il ne neigeait pas ce jour-là. Il y a quelques années, l'un d'entre eux s'est pris une balle dans la fesse. « Sans doute un message d'un concurrent », soupire un habitué. Dans le coin, les patrons de deux autres points de deal, le 40 Charles-Gide au Kremlin-Bicêtre et la « Div » à Villejuif, situé avenue de la Division-Leclerc, salivent devant le chiffre d'affaires du « four ».

    Ce que peut faire la police

    Vente expresse. Après le tourniquet sur la droite en bas du bâtiment, une demi-douzaine de clients se font servir dans le noir. Le dealeur, ou « bicraveur », avec la lampe de son téléphone, sort d'un sac en plastique les pochons contenant l'herbe ou la résine de cannabis. J'attends qu'ils aient fini. A la fin de la transaction, cet ado âgé de 16 ou 17 ans s'approche de moi. « Tu veux quoi ? », me demande-t-il. « 20 € d'herbe ». « Va faire semblant de regarder le match de foot, je te siffle dès que c'est bon ». « Le bicraveur fait toujours en sorte que le client ne sache pas où le produit est caché, constate un policier. Il touche en général 100 à 150 € par jour sandwich compris. Il n'est pas forcément du coin ».

    Sous les yeux des habitants. Sur un petit terrain, en bas des immeubles, des enfants tapent dans un ballon. Juste à côté, un entraînement de foot a lieu au stade. J'attends mon dealeur, mes 20 € à la main. Une situation gênante. Elle l'est d'autant plus quand un père tenant à la main son fils passe devant moi en me jetant un regard noir. « Les habitants sont excédés, enrage un policier. Il y a pas mal de logements neufs ici. Beaucoup ont acheté sur plan. Ils ne s'attendaient pas à voir des clients défiler toute l'après-midi devant chez eux ». Justement, un jeune vient se planter à trois mètres de moi. Lui aussi attend d'être servi. Cinq minutes plus tard, le bicraveur se rapproche de nous. « Suivez-moi ».

    Une clientèle satisfaite. Le dealeur nous conduit au même endroit que tout à l'heure, là où les transactions se font. Il ouvre à nouveau son sac plastique. Il en sort deux pochons, l'un d'herbe pour moi, l'autre de résine pour mon voisin. Nous lui donnons notre billet et nous filons en repassant devant les trois portiers. Avant qu'il descende les escaliers de la station Villejuif, je le rattrape et engage la conversation. » C'est la troisième fois que je viens me servir ici, explique Roland. Je suis de Mantes-la-Jolie (Yvelines) mais j'ai déménagé à Paris. Je ne connais pas grand monde pour me fournir près de chez moi. On m'a parlé du stade de Villejuif. J'y vais parce que ça se passe très vite et c'est pas loin. En gros c'est pratique ». Verdict d'un fumeur expérimenté sur la qualité de l'herbe : « Grasse et goûteuse. Elle doit venir de Hollande. Elle est très bonne en tout cas. Et pas d'arnaque au niveau de la quantité ».

    6 000 € de chiffre d'affaires par jour. A la fin de sa journée, le bicraveur remet l'argent aux lieutenants. « Eux, ce sont les comptables même s'ils s'occupent aussi du conditionnement de la drogue, résume un connaisseur. Ce point de deal doit faire 6 000 € de chiffre d'affaire par jour. C'est beaucoup quand tu sais que tu n'as à payer ensuite que cinq de tes soldats. Il doit rester 3 000 € que se partagent les propriétaires du point de deal ».

    Le sourire des boss. Qui dirige le « four » ? Difficile à dire. « En fait, ils seraient plusieurs à acheter la drogue en grosse quantité, souffle un spécialiste. Disons que celui qui a le plan pour récupérer la marchandise a plus d'importance que les autres ». « Quand un des boss se pointe de temps en temps, on le reconnaît tout de suite, se marre un policier de terrain. C'est le seul qui nous salue en souriant. Il répète à ses mecs qu'il faut bien se comporter parce que c'est bon pour le commerce. En général, il est plus âgé que les autres, genre une trentaine d'années. Il blanchit son argent au bled. C'est plus facile. »