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Les dessous chers de la livraison express

Les enseignes d’e-commerce rivalisent d’options de délais toujours plus rapides et de moins en moins chères pour les consommateurs. Mais au détriment des salariés.

M le magazine du Monde

Publié le 01 février 2017 à 15h56, modifié le 01 février 2017 à 18h05

Temps de Lecture 6 min.

En 2015, à peine plus de 50 % des enseignes au Royaume-Uni offraient des frais de port gratuits à partir d’un montant minimum d’achat.

On pourrait croire que le shopping en ligne est un peu comme de la magie moderne : il suffit d’un clic – et miracle ! – quelques heures plus tard, la robe que vous venez de commander est livrée chez vous.

Sous l’impulsion d’Amazon, avec ses pratiques de livraison standard gratuite et son abonnement Premium (livraisons illimitées pour 99 dollars [93,61 euros] par an), la livraison est devenue un atout concurrentiel de poids dans l’e-commerce. Beaucoup d’enseignes multiplient les options de livraison – le lendemain, le jour même, allant même jusqu’à une livraison en une heure ou à une heure fixée – tout en réduisant de manière drastique les coûts de ces services. Selon la National Retail Federation (Fédération nationale américaine du commerce de détail), presque 60 % des achats en ligne aux Etats-Unis incluent la gratuité du port. En 2015, à peine plus de 50 % des enseignes au Royaume-Uni faisaient de même à partir d’un montant minimal d’achat. Pour les consommateurs, cette course effrénée des services de livraison signifie que l’achat en ligne n’a jamais été aussi bon marché ou aussi pratique.

Des conditions de travail déplorables

Mais ces offres de livraison attrayantes représentent un coût important pour les enseignes, qui les font supporter à leurs employés. Récemment, ASOS, Amazon et JD Sports ont fait la « une » de la presse en raison du traitement des employés dans leurs entrepôts. Une enquête du quotidien britannique The Times a révélé, en décembre 2016, que les employés du dépôt de Dunfermline, en Ecosse, faisaient l’objet de mesures disciplinaires et de procédures de licenciement pour avoir pris quatre jours de maladie – pas d’affilée – pourtant médicalement justifiés.

« Amazon offre un environnement de travail sain et favorable. La sécurité et le bien-être de nos collaborateurs permanents et temporaires sont notre priorité », affirme l’entreprise dans un communiqué. Quelques jours plus tard, un reportage de la chaîne britannique Channel 4 dans un dépôt de JD Sports, près de Manchester, montrait des employés décrivant leur lieu de travail comme étant « pire qu’une prison ». L’enseigne de sport a depuis lancé une enquête interne dans son centre de distribution.

« Les aléas de la vente en ligne sont tels que la seule façon pour ces sociétés de gérer la demande est une main-d’œuvre flexible payée au taux le plus bas possible. » Neil Derrick, syndicat Britain’s General Union

ASOS a essuyé les mêmes critiques au début de décembre : l’enseigne de mode est soupçonnée d’avoir imposé des restrictions de salaire à ses nouveaux employés intérimaires, ce que réfute l’entreprise. Cela fait suite à des mois de critiques concernant les conditions de travail dans l’entrepôt central de la marque, dans le Yorkshire.

« C’est un modèle de gestion que JD Sports, Sports Direct, Amazon et ASOS ont mis en place… Les aléas de la vente et de la mode en ligne sont telles qu’ils font face à une demande très fluctuante et leur façon de gérer ce flux est d’avoir une main-d’œuvre flexible payée au taux le plus bas possible », dénonce Neil Derrick, le représentant dans le Yorkshire du Britain’s General Union (l’un des principaux syndicats de travailleurs en Angleterre), qui soutient plusieurs employés de l’entrepôt d’ASOS.

Selon M. Derrick, sur le site ASOS de Barnsley, les employés doivent atteindre des objectifs si élevés que certains n’osent plus s’octroyer de pause. « Les employés travaillent vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept pour préparer toutes ces commandes dans les temps », affirme-t-il. Il est certain que les enseignes font face à un dilemme. Livrer des commandes chez des particuliers est plus onéreux que de réapprovisionner un magasin. Selon le cabinet spécialisé dans la logistique LCP, la livraison à domicile représente environ 20 % de la valeur totale de l’article, tandis que la livraison dans un magasin représente de 5 % à 7 %.

« Les consommateurs ont été conditionnés par le marketing et ils croient que la livraison devrait être un service gratuit, alors qu’en réalité elle coûte plus cher que la distribution traditionnelle des produits dans les magasins », explique Neil Ashworth, directeur général de CollectPlus, la plus grosse entreprise de livraison de colis en magasin au Royaume-Uni.

« Amazon a gâté le consommateur et maintenant qu’il a été gâté, il n’y a pas moyen de revenir en arrière… » Satish Jindel, président de SJ Consulting Group

Selon l’étude réalisée en 2015 par le cabinet d’audit Deloitte sur les dépenses pendant les fêtes de fin d’année, neuf clients sur dix considéraient que la livraison le jour même, le lendemain ou en deux jours ouvrés était « rapide », contre seulement 63 % pour une livraison entre trois et quatre jours. Les clients interrogés étaient prêts à payer en moyenne 5,10 dollars pour une livraison le jour même, et un quart des sondés affirmaient qu’ils s’attendaient à ne pas payer de frais supplémentaires du tout. « Amazon a gâté le consommateur et maintenant que le consommateur a été gâté, il n’y a pas moyen de revenir en arrière… Les enseignes qui insistent pour faire payer la livraison vont finir par perdre des clients au profit de leurs concurrents qui offrent le port », estime Satish Jindel, président de SJ Consulting Group, un cabinet spécialisé dans le secteur de la logistique.

Les enseignes de luxe favorisées

« Soyons honnêtes, on ne gagne pas d’argent avec la livraison. On essaie de ne pas en perdre trop, mais on essaie d’être aussi juste que possible afin de trouver le prix le plus raisonnable », explique Ulric Jerome, directeur général de Matchesfashion.com, qui a introduit, au début de décembre, une option de livraison en quatre-vingt-dix minutes à Londres, pour 15 livres sterling (17,24 euros).

Evidemment, ce coût est plus gérable pour les enseignes de luxe, qui fonctionnent avec des marges plus grandes et gèrent des commandes d’un montant plus élevé. « C’est un domaine où elles ont un énorme avantage en raison de la valeur importante des achats », confirme Andrew Robb, PDG de Farfetch, qui a lancé la livraison le jour même moyennant des frais en 2016. « Si l’on veut proposer une expérience de livraison de luxe, on doit débourser davantage que la grande consommation, mais les prix de vente restent beaucoup plus élevés que les coûts supérieurs de livraison. » Effectivement, payer 5 dollars pour recevoir un pull en cachemire d’une valeur de 500 dollars le jour de son choix, semble plus raisonnable que payer le même montant pour un tee-shirt à 10 dollars.

Pour les enseignes bas de gamme, qui fonctionnent déjà à partir de marges très faibles, absorber ces coûts peut s’avérer compliqué, en particulier si elles ne bénéficient pas de l’envergure mondiale de géants comme Amazon.

Réduire les coûts avec la robotique

Si les entreprises veulent parvenir à maîtriser leurs coûts, « il est presque inévitable que les frais de port augmentent avec le temps car les enseignes prennent conscience des véritables coûts de ces opérations », prédit M. Ashworth. De fait, au début de 2016, Amazon a augmenté le montant minimal d’achat pour une livraison gratuite, passant de 35 à 49 dollars pour les membres non Premium, tandis qu’au Royaume-Uni, l’enseigne John Lewis a réintroduit des frais de 2 livres sterling pour les commandes « Click and Collect » d’un montant inférieur à 30 livres sterling.

Alors que les consommateurs attachent de plus en plus d’importance à l’aspect pratique, ils sont également davantage disposés à payer pour la livraison. Les abonnements à des offres de livraison comme Amazon Premium vont certainement devenir de plus en plus courants, les enseignes recherchant des manières originales de répercuter ces coûts sur les consommateurs.

La technologie aussi jouera un rôle dans les années à venir. Amazon est déjà en train d’investir dans la robotique afin de réduire les coûts d’exécution. Le travail de l’entreprise avec les drones est en passe de changer la façon globale de livrer les colis. « Il y aura toujours des gens, mais le ratio humain-machine et l’automatisation va évoluer au fil des progrès scientifiques », assure Satish Jindel.

D’ici là, les consommateurs devraient prendre conscience des véritables coûts d’une livraison en un jour ouvré, rappelle Neil Derrick : « Le consommateur doit gratter le vernis et se demander comment il est possible d’appuyer sur un bouton un soir et de recevoir le pull qu’on a commandé le lendemain. »

Par Helena Pike

Retrouvez l’article original sur www.businessoffashion.com

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