L'armée de terre ne peut compter que sur un blindé sur deux

Le chef d'Etat major des armées, le général Pierre de Villiers, met régulièrement ses interlocuteurs en garde : il suffit d'un grain de sable pour gripper le système et conduire à la défaite. La publication, hier, des taux de disponibilité des équipements de l'armée de terre montre que ce grain de sable devient de plus en plus difficile à éviter.

Réclamé depuis près d'un an par le député (LR) François Cornut-Gentille, le bilan montre une nette dégradation entre 2014 et 2015 pour les matériels les plus anciens et surtout les plus utilisés. Fin 2015, il n'y avait plus que 2.582 véhicules de l'avant-blindé (VAB) en service, soit 15 % de moins que l'année précédente, avec un taux de disponibilité de 46 %. Dans sa version sanitaire, le taux de disponibilité n'est pas meilleur. Rien d'étonnant, puisque le VAB, la « mule du soldat », affiche une moyenne d'âge de 31 ans et n'a jamais été autant utilisé que ces dernières années en raison des engagements des forces françaises en Afrique. L'armée ne cesse de répéter que le VAB peut parcourir au Mali jusqu'à 1.000 kilomètres par jour contre une moyenne de 1.000 kilomètres par semaine en Afghanistan et de 1.000 kilomètres par an en France. Résultat, le coût d'entretien des VAB commence à devenir prohibitif et « la cannibalisation des matériels ne suffit plus à enrayer les problèmes », constate François Cornut-Gentille. Dans l'armée, on « cannibalise » quand on désosse un équipement pour en réparer un autre, une pratique très courante.

Le coût d'entretien d'un VAB atteint en moyenne annuelle 26.725 euros. Plus les véhicules sont anciens, moins ils sont disponibles. Ainsi les chars AMX 10 RCR -31 ans de moyenne d'âge - affichent une disponibilité à 55 % contre 65 % pour les chars Leclerc, qui n'ont que quatorze ans d'ancienneté en moyenne. En revanche, les VBCI (véhicules blindés de combat d'infanterie), qui n'ont que cinq ans d'âge, affichent un taux de disponibilité correct, quoiqu'en baisse à 75 %.

1.668 Griffon et 248 Jaguar entre 2018 et... 2033

Déployés pour la première fois sur un théâtre extérieur à Mossoul en Irak, les canons Caesar enregistrent aussi un déclin de disponibilité ennuyeux. Pour le chef d'état-major de l'armée de terre, Jean-Pierre Bosser, il vaudrait désormais mieux accélérer les livraisons des nouveaux modèles prévus dans le cadre de la rénovation « Scorpion » plutôt que de s'acharner à réparer l'irréparable. « Réparer une voiture de collection coûte plus cher que d'entretenir un modèle récent », plaide l'armée, pour souligner qu'une accélération de livraison des Griffon et Jaguar, les remplaçants du VAB et de l'AMX, ne coûterait pas davantage que la « régénération » du stock ancien. « Notre problème », explique un colonel, « c'est qu'avec la baisse continue des effectifs, on a longtemps pensé qu'on avait trop de matériel en stock. Mais avec la multiplication des engagements et l'arrêt de la déflation des effectifs, on se retrouve dans la situation inverse : il faut désormais que le matériel rattrape les effectifs ».

D'autant plus que les Griffons seront évidemment nettement plus performants que les anciens VAB, ne serait-ce que pour protéger les soldats contre des engins explosifs. L'armée réclame une accélération de 30 % du rythme de livraison. Le plan actuel table sur la livraison de 1.668 Griffon et 248 Jaguar entre 2018 et... 2033. A ce rythme, la probabilité du grain de sable monte.