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Violences sexuelles : au Sénat, les hommes ne se sentent pas tellement concernés

Ce jeudi, au Sénat, un débat sur les violences sexuelles a réuni sept hommes, contre plus de vingt femmes. A la tribune, que des élues. Les journalistes présentes ? Essentiellement des femmes. Et ce, alors même que les agresseurs sont en majorité des hommes.
par Juliette Deborde
publié le 2 février 2017 à 20h05

Ils étaient une petite trentaine, ce jeudi matin, sur les bancs du Sénat, pour assister et participer à un débat sur les violences sexuelles, à l'initiative de la sénatrice Europe Écologie-les Verts du Val-de-Marne Esther Benbassa. Dans l'hémicycle, à peine sept hommes en fin de séance. A la tribune, uniquement des femmes, parmi lesquelles la ministre Laurence Rossignol, venues parler de l'importance de libérer la parole des victimes. Le déséquilibre femmes-hommes saute aux yeux, alors que le Palais du Luxembourg est pourtant loin d'être très féminisé : seulement un sénateur sur quatre est une sénatrice. Les sénateurs avaient-ils oublié de régler leur réveil ? Ce désintérêt a en tout cas été relevé par plusieurs élues, et déploré par Esther Benbassa : «Les violences sexuelles ne sont nullement une affaire de femmes», a-t-elle insisté, devant les élus et la presse (quasi exclusivement féminine, elle aussi), rappelant que 62 000 femmes et 2 700 hommes sont chaque année en France victimes d'au moins un viol ou une tentative de viol, selon une enquête de l'Ined (dont Libération vous parlait ici).

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Les victimes sont donc en majorité féminines, et les agresseurs en majorité masculins. Comment faire alors pour que les hommes se sentent davantage impliqués, et ne considèrent plus ces violences comme des «histoires de bonnes femmes», pour reprendre les mots du député Les Républicains Pierre Lellouche, qui refusait en mai dernier de commenter l'affaire Denis Baupin ? Les intervenantes ont souligné jeudi la nécessité de mettre un terme à la «culture du viol», ce processus qui minimise, banalise, voire excuse les violences sexuelles. Une «tolérance sociale» alimentée par une vision encore très stéréotypée du viol, pourtant défini comme un crime depuis plus de trente ans.

«Notre société continue de méconnaître la réalité des violences sexuelles, leur fréquence, la gravité de leur impact», a souligné à la tribune Esther Benbassa, citant, comme d'autres élues, les résultats «effarants» d'une enquête Ipsos parue l'année dernière. Pour quatre sondés sur dix, la responsabilité du violeur diminuait en cas d'attitude «provocante» de la victime, une culpabilisation de la victime doublée d'une méconnaissance de la réalité du viol, qui participe selon la sénatrice écologiste, à «la non-reconnaissance des victimes et à leur abandon». Parmi les fausses représentations, partagées par beaucoup de femmes, celle, encore tenace, du «vrai» viol, forcément commis par un inconnu, dans la rue, alors que dans 90% des cas, la victime connaît son agresseur. Une proximité qui empêche beaucoup de victimes de parler : si la médiatisation de certaines affaires a participé à la libération de la parole ces derniers mois, l'omerta est encore la règle, et la parole, «le premier tabou», selon le Collectif féministe contre le viol (CFCV). Dans son ouvrage Mourir de dire : la honte (Odile Jacob, 2010), le psychiatre Boris Cyrulnik explique ainsi comment on l'a «forcé à [s]e taire» : «Si je vous dis ce qui m'est arrivé, vous n'allez pas me croire, vous allez rire, vous allez prendre le parti de mon agresseur, vous allez me poser des questions obscènes ou pire, vous aurez pitié de moi.»

Des victimes culpabilisées

Quant aux victimes qui décident de sortir du silence, elles sont souvent culpabilisées ou accusées de diffamation, à l'image de Flavie Flament, qui, à l'automne, avait affirmé avoir été violée par le photographe David Hamilton. L'animatrice, désormais chargée d'une mission sur le délai de prescription pour le viol, devrait rendre des propositions au mois de mars. Faut-il rendre les viols imprescriptibles, au même titre que les crimes contre l'humanité ? Pour Esther Benbassa, ce n'est pas la solution, les preuves étant d'autant plus difficiles à rassembler 40 ou 50 ans après les faits. «Tout ne repose pas sur le juridique», a fait valoir la sénatrice, qui prône plutôt la mise en place de campagnes de prévention et une formation des médecins, policiers, enseignants ou parents pour mieux accompagner la parole des victimes et la rendre audible.

Plus de 300 000 professionnels ont été formés depuis 2014, a rappelé la ministre des Familles, de l'Enfance et des droits des Femmes Laurence Rossignol, qui doit présenter le 1er mars un plan de lutte contre les violences faites aux enfants, particulièrement vulnérables. Reste que la prise en charge est «quasi inexistante» et jamais pensée dans la durée, a pointé à la tribune la sénatrice Chantal Jouanno (UDI-UC). Une des (rares) solutions concrètes évoquées : la mise en place d'agences institutionnalisées, à l'image des «centres désignés» québécois, spécialement pensés pour prendre en charge les victimes d'agressions sexuelles, souvent dans le cadre hospitalier. Selon le Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCE), les expériences menées en France et à l'étranger pour offrir aux victimes un accueil plus adapté permettent de multiplier les taux de plainte par trois. Actuellement, seulement une victime de viol sur dix porte plainte, et seule une plainte sur dix débouche sur une condamnation, en raison notamment de la difficulté à rassembler des preuves, du dépassement du délai de prescription ou de la déqualification en agression sexuelle, selon le HCE.

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