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BRÉSIL

São Paulo déclare la guerre au street art, vrai patrimoine de la ville

Le nouveau préfet de São Paulo et ses équipes à l'oeuvre sur la mythique avenue du 23-mai. Photo publiée sur le compte Twitter du préfet.
Le nouveau préfet de São Paulo et ses équipes à l'oeuvre sur la mythique avenue du 23-mai. Photo publiée sur le compte Twitter du préfet.
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São Paulo, la plus grande ville du Brésil est l’une des capitales mondiales du street art. L’avenue du 23-mai, qui la traverse du nord au sud, est recouverte de peinture sur près de 5,4 kilomètres. C’est le "plus grand mur de graffitis à ciel ouvert" d’Amérique latine. Mais le nouveau préfet de la ville a décidé, le 14 janvier, de recouvrir ces œuvres… de peinture grise. La polémique enfle et les artistes brésiliens dénoncent la destruction d’une partie du patrimoine culturel.

Le nouveau préfet de São Paulo [cette fonction équivaut à celle de maire], João Doria, en a même fait un combat personnel : habillé en tenue d’agent d’entretien et accompagné de plusieurs employés municipaux, celui qui se fait surnommer "João le travailleur" s’est lui-même mis à repeindre en gris les murs de l’avenue du 23-mai, recouverts d’œuvres de street art.

L’opération, très critiquée dans la presse brésilienne, fait partie de son programme "Cidade Linda" ("belle ville") dont l’objectif est de nettoyer et de rénover São Paulo pour la rendre plus attractive. Au total près de 200 peintures ont été victimes de la guerre au street art.

 

"Les tagueurs ne sont pas des artistes,

ce sont des agresseurs"

Dans un entretien donné au journal Estadão, João Doria s’est félicité de cette action, expliquant que la ville ne pouvait pas être "entièrement graffée… Les tagueurs ne sont pas des artistes, ce sont des agresseurs". Au Brésil, peindre ou graffer dans un espace publique sans autorisation est puni par la loi, avec des peines allant de trois mois à un an de prison.

Sauf que sur l’avenue du 23-mai, les fresques, réalisées par une centaine d’artistes de rue venus du monde entier, n'ont pas été peintes dans l'illégalité. Elles avaient été commandées... par l’ancien préfet, soucieux de mettre en avant la culture du street art dans sa ville.

Sur les réseaux sociaux, de nombreux habitants et artistes ont dénoncé cette réappropriation de l’espace public. Sur Facebook, l’artiste brésilienne Barbara Goy, qui avait participé au projet, a publié une vidéo montrant la métamorphose de cet ancien haut-lieu du street art.

Ses images ont été partagées plus de 60 000 fois. Selon elle, le préfet se lance dans une guerre totalement absurde.

 

 

"C’est la culture même de São Paulo qu’il est en train de détruire"

 

 

Il n’y a eu aucune concertation avec les artistes dont il a effacé les œuvres, nous sommes sous le choc. La ville de São Paulo, très bétonnée, est appréciée des street artistes depuis les années 1980, et ils l’ont décorée à plusieurs endroits.

En plus, le nouveau préfet n’est pas en train d’effacer des actes de vandalisme : il est en train de recouvrir un projet artistique commandé par son prédécesseur ! Du coup, São Paulo va perdre le titre de plus grande fresque de street art à ciel ouvert d’Amérique latine… Nous voyons cela comme une forme de censure de l’art populaire et une méconnaissance des mouvements artistiques contemporains. C’est la culture même de São Paulo qu’il est en train de détruire. Ces œuvres étaient connues dans le monde entier et certains touristes venaient à São Paulo pour les voir…

Le préfet affirme de son côté être conscient de l’attractivité touristique des œuvres de street art et a annoncé la création d’un "graffitodrome", qui deviendrait le seul endroit où il serait possible de graffer à São Paulo. Mais cela ne convainc pas notre Observatrice.

 

"Une guerre sans fin"

 

Je pense qu’il a annoncé cela pour détendre l’atmosphère étant donné que beaucoup d’habitants, de journalistes, d’urbanistes et d’artistes sont montés au créneau contre la disparition des œuvres de l’avenue. Il veut cantonner le street-art à un seul quartier alors que cela a toujours fait partie de la ville dans son ensemble.

Un média local a fait le tour des œuvres de street art de la ville. "La ville est belle, la ville est colorée", écrivent-ils dans la description de la vidéo.

Dans une interview pour la chaîne GloboNews, l’architecte et urbaniste Kazuo Nakano, spécialiste de São Paulo, a également dénoncé l’autoritarisme du nouveau préfet : "Ici, le graffiti fait partie de l’espace public, on ne peut pas l’effacer comme cela de façon autoritaire et imposée".

 

Une fresque en partie effacée par la peinture grise.

Pour Barbara Goy, le préfet est même en train de se "tirer une balle dans le pied" :

 

 

Plus il va repeindre les murs en gris… plus des artistes vont revenir pour dessiner dessus. C’est une guerre sans fin !

 

 

@meton.joffily como não lembrar de você ❤. #grafite #sp #arte #cor #naoaocinza #brasil #doria

Une photo publiée par Natacha Isis (@natachaisis) le

"Vous préférez le gris ? Nous non."

"Effacer l'art c'est effacer la culture, effacer la culture c'est manquer de respect au peuple".

Gérer São Paulo "comme une entreprise"

Ce n’est pas la première mesure du projet "Cidade Linda" qui fait polémique. Au début du mois de janvier, le préfet de São Paulo a demandé à plusieurs sans-abris de retirer leurs tentes des grandes avenues. Il a décidé de les "reloger" sur un ancien terrain de foot sous un pont. Une toile verte a ensuite été déroulée tout autour du camp improvisé. Un "cache-misère" pour de nombreux opposants.

Ancien chef d’entreprise et présentateur de talk-show, le nouveau préfet de São Paulo, João Doria, est un millionnaire brésilien qui a déclaré au TSE [le Tribunal électoral supérieur] un patrimoine de 180 millions de reais [environ 53 millions d’euros].

Fils d’un député et membre du Parti de la social-démocratie brésilienne [le PSDB, principal opposant au Parti des Travailleurs, de l’ex-présidente Dilam Rousseff], cet ultra-libéral a promis tout au long de sa campagne de gérer sa ville "comme une entreprise".

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