Menu
Libération
Revue de presse

Trump insurgé, décapiteur ou dans le viseur : les magazines du monde entier se lâchent

par Camille Gévaudan
publié le 5 février 2017 à 16h53

Les premières décisions du président américain propagent leur onde de choc dans la presse du monde entier. Graves et sérieuses, provocatrices ou à côté de la plaque, les couvertures des magazines trahissent le choc Trump.

«The New Yorker» : la liberté éteinte…

Le New Yorker est une institution et chacune de ses couvertures dessinées porte un message sur la société contemporaine. Souvent saluée et largement partagée sur les réseaux sociaux, sa «une» marque une époque et pose une ambiance. La semaine prochaine, ça aurait dû être une couverture anniversaire pour célébrer les 92 ans du magazine, revisitant par tradition la mascotte du dandy au monocle qui figurait sur le tout premier numéro de 1925. Mais à la place, le New Yorker soufflera la torche de la statue de la Liberté.

«La statue de la Liberté avec sa torche flamboyante était l'image qui accueillait les nouveaux immigrants à New York, explique John W. Tomac, l'illustrateur à qui on doit cette image. Et c'était aussi le symbole des valeurs américaines. Aujourd'hui, il semble que l'on soit en train d'éteindre cette lumière.»

A lire aussi Donald Trump expliqué aux enfants

«Der Spiegel» : …et décapitée

Le Spiegel allemand a eu la même idée : peindre Trump en assassin de la statue de la liberté, version moins subtile. La posture du président américain évoque ici la propagande de l'Etat islamique, un terroriste brandissant la tête sanguinolente de sa victime fraîchement décapitée, sous les yeux du monde horrifié. Pour encore plus d'effet, Der Spiegel a publié le gif animé de sa couverture, qui goutte encore. «Le président des Etats-Unis est un danger – l'Allemagne doit s'y préparer», annonce l'article principal du magazine.

L'illustrateur de la couverture, Edel Rodriguez, est né à Cuba et s'est installé aux Etats-Unis sous le statut de réfugié dans les années 80. «J'avais 9 ans quand je suis arrivé ici, raconte-t-il au Washington Post, et je me souviens des sentiments qu'éprouvent les enfants quand ils quittent leur pays. Je m'en souviens bien, et ça m'ennuie qu'on empêche les enfants d'aujourd'hui de rejoindre les Etats-Unis.» L'évocation des images terroristes est assumée : «C'est une décapitation de la démocratie, d'un symbole sacré. Et récemment, c'est aussi Daech qu'on associe aux décapitations. Je fais une comparaison entre deux camps d'extrémistes.»

«The Economist» : la bombe

«Un insurgé à la Maison blanche» : la couverture du magazine britannique The Economist, dessinée cette semaine par Miles Donovan dans un style à la Banksy, montre le président américain en rebelle pyromane. «Le lugubre écho de son investiture résonnait encore quand Donald Trump a lancé son premier cocktail Molotov sur les colonnes blanches de la capitale», commente l'hebdomadaire (très) libéral, listant les premières frasques présidentielles : retrait du partenariat transpacifique, renégociation de l'accord de libre-échange nord-américain, mur anti-immigration mexicaine, «muslim ban» et défense de la torture… «Il n'est pas trop tard pour le faire changer de voie et renoncer à ses artilleurs, conclut le journal, dont les articles ne sont jamais signés. Le monde devrait espérer cette issue. Mais il doit se préparer aux problèmes.»

«Village» : Trump dans le viseur 

La violence politique appelle la violence graphique : en couverture du magazine irlandais Village, le viseur d'une arme est pointé sur la tempe de Donald Trump. «Pourquoi pas», dit le gros titre… Et la ponctuation a son importance. Il n'y a pas de point d'interrogation, car Village n'appelle pas à l'assassinat politique, même si l'ambiguïté aide à capter l'œil du lecteur et créer la polémique qui fait vendre. L'article derrière la couverture choc explique au contraire «pourquoi il serait immoral de mettre Trump hors-jeu».

Le magazine, connu pour sa ligne éditoriale engagée à gauche, commence par lister tout le mal que Trump a déjà fait autour de lui et risque de faire à l'humanité tout entière – aux réfugiés, aux immigrants, à la diplomatie, au climat, aux femmes… Puis il entame une réflexion philosophique sur la tentation du tyrannicide, des arguments de Thomas d'Aquin à la théorie utilitariste qui cherche à maximiser le bien-être collectif. Village en conclut que ça n'en vaut pas la peine : «C'est un idiot, il va s'aliéner ses amis et enrager ses ennemis. Il va enfreindre la constitution, s'enrichir illégalement, se brouiller avec ses alliés et faire des erreurs.» Il vaut mieux «s'en tenir à la démocratie, en l'appliquant rigoureusement et s'il le faut, subrepticement ou agressivement.»

«Time» : Bannon, «le manipulateur» 

Le magazine américain Time a un autre dirigeant dans le viseur : Steve Bannon, «le grand manipulateur» (le titre de la couverture, «The Great Manipulator», est sans doute un clin d'oeil au film The Great Dictator de Charlie Chaplin), que Donald Trump a nommé son conseiller. Cela fait-il de l'ex-directeur du site Breitbart News le «deuxième homme le plus puissant du monde», comme s'interroge l'article ?

«Trump a lancé sa campagne en directeur général volontariste et se voit désormais comme le leader d'un mouvement – et chaque mouvement a son commissaire politique. Bannon est le gardien de la doctrine, le vrai croyant, qui n'est pas là pour l'argent ou les avantages de la position, mais pour changer le monde. "Nous sommes aujourd'hui les témoins de la naissance d'un nouvel ordre politique", a écrit Bannon dans un mail.»

«Vanity Fair» : la mangeuse de diamants 

Dans un autre style, l'édition mexicaine de Vanity Fair faisait la semaine dernière sa une sur Melania Trump, «cette intrigante Première dame», dont un reportage croustillant promet de révéler «le sombre passé familial» et «comment elle veut devenir la nouvelle Jackie Kennedy». Sur la couverture, souriante et apprêtée, Madame Trump déguste des spaghettis de diamants. Le reportage en question la décrit «belle et timide», et raconte sa rencontre avec le président, leur amour et leur couple de l'intimité à la Maison Blanche.

Un concentré de niaiseries particulièrement mal venu à l'heure où le mari de cette dame veut repousser d'un mur les immigrés mexicains… Au Mexique, la couverture ne passe pas. «Bel exemple de sensibilité, d'empathie, de patriotisme et d'intelligence éditoriale», a commenté vertement l'éditorialiste du journal mexicain Reforma, Denise Dresser. Vanity Fair s'est mollement défendu : «Nous comprenons que notre couverture coïncide avec un moment difficile, mais notre intention est simplement d'apporter, comme toujours, un point de vue indépendant et critique sur les personnalités qui font l'actualité.»

Pour aller plus loin :

Dans la même rubrique