Croire en ce qui n’existe pas (encore)

La force spirituelle du créatif

Anne-Laure Frite
3 min readFeb 5, 2017

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Ce qui est déjà là est toujours désigné par les naïfs comme une évidence.
Tout paraît si normal, facile, évident une fois que c’est là.
Ben oui, bien sûr le wifi.
Ben il est con celui là, il a jamais vu d’avion voler ou quoi ?
Ca s’appelle une sculpture, banane
.

Que dire des milliards de choses qui n’existent pas encore.
Rien, puisqu’on ne peut pas.
On devrait d’ailleurs parler plus souvent de tout ce qui n’existe pas.
Ca permet de rester humble, ça remet dans le bon sens.

La “réalité” sensible est arrangeante.
On la voit, on la manipule, on l’étudie.
L’esprit cartésien adore ça.
Il peut jouer avec, compter, recenser, attribuer, diviser, gérer, asservir, contrôler.

La matière nous donne quelque chose à manger.
Intellectuellement, je veux dire.
Spirituellement aussi, les paysages nourrisent de nombreuses religions à travers le monde. A condition de ne pas tout démolir pour faire un shopping mall, quoi.

C’est toujours facile de commenter l’existant.
De se complaire dans l’observation a posteriori, critique ou pas.

Mais croire en quelque chose qui n’existe pas encore dans le monde, qui ne se voit pas, que les autres ne peuvent pas manipuler, ça, c’est une épreuve de foi.

Ecrire un bouquin.
Pendant le temps où toutes ces idées s’empilent, se trient, s’entremêlent, qui croira que tu es écrivain ? Toi, tu le sais. Même si tu n’as rien écrit encore.
Ah oui, et il est où ton livre ?
Dans ma tête ?
Ben tiens.

La sculpture était dans le bloc de pierre depuis le début.
“C’est juste que tu ne la voyais pas”.

J’ai toujours pensé la même chose des mots.
Ils ont toujours été là.
Etonnamment pourtant, personne ne les voit.

Il faut trouver un moyen de les dire, de les transformer en matière que les autres peuvent toucher, s’approprier.

L’art n’est-il réel que s’il est donné à voir à l’Autre ?
Est-on irréel si on ne crée rien de tangible avec ses pensées ?

Les brouillons, les ratures, réécrire, réécrire encore et toujours.
Repeindre par dessus, gommer, chiffoner, jeter.
Détruire, sans pitié.
Recommencer.

Ne pas s’attacher au produit fini, alors même qu’on dépend de lui pour exister aux yeux du monde.

Aujourd’hui on dit à tout le monde qu’il faut être créatif.

Alors même “la normalité” se penche sur cette mécanique mystérieuse qu’est la créativité. Les cartésiens s’y mettent, avec des méthodes cartésiennes, forcément vouées à l’échec.

La créativité c’est ton vrai “toi”.
C’est du risque.

Ca n’a pas toujours de but.
Tu ne peux pas t’en servir “pour faire quelque chose” que tu contrôles.

C’est l’inconscient.
Ce que tu brimes, retiens, n’entends pas d’habitude.

L’être créatif, c’est toi, tout nu.

Tu auras beau apprendre de toutes les écoles du monde, tu repeindras encore et toujours la même chose.

Parce qu’on ne peut écrire, peindre ou dire que soi-même.
Tu seras toujours et encore confronté à ton propre intérieur. Celui que personne ne voit. Celui qui essaye de communiquer avec l’extérieur, celui là même qui nourrit la machine créative.

On ne peut pas être quelqu’un d’autre quand on crée.
Sinon, c’est qu’on copie.

Ce n’est pas tout le monde qui a envie de se voir tout nu.
C’est très impressionnant, terrifiant aussi, parce qu’on a peur de ne pas pouvoir gérer. Conventions sociales, attentes des autres et feu intérieur ne font pas toujours bon ménage.

A tous les créatifs, entrepreneurs, visionnaires, artistes à qui on demande sans arrêt des comptes, un “prévisionnel sur 5 ans”, des “garanties”, de la sécurité là où toute la force du projet, c’est le risque, je vous souhaite de garder la foi.

Croire en ce qui n’existe pas (encore) n’est pas donné à tout le monde.

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Anne-Laure Frite

Passionnée par les Internets, je tente régulièrement de devenir chercheuse universitaire ou écrivain célèbre sans jamais y parvenir.