Merci de l'avoir posée

Pourquoi on ne ferme pas toutes les «mosquées salafistes»

Marine Le Pen prévoit, dans son programme, la fermeture des 120 «mosquées salafistes» recensées par le ministère de l'Intérieur. Mais les choses sont bien plus compliquées que ne le présente le FN.
par Valentin Graff
publié le 7 février 2017 à 15h40

C'est la proposition numéro 30 qui figure dans le programme du Front national, révélé ce week-end : il faut fermer toutes les mosquées extremistes recensées par le ministère de l'Intérieur.

La proposition n'a rien d'une surprise. Le FN demande en boucle cette mesure depuis des mois. Début janvier, le vice-président du FN, Florian Philippot, évoquait ainsi ces «foyers de l'islamisme radical» et demandait sur l'air de l'évidence : «Il y en a à peu près 120 aujourd'hui en France qui ne sont toujours pas fermées. Comment se fait-il qu'elles ne soient toujours pas fermées ?» Pourquoi ? Parce que les choses sont souvent plus compliquées que certains responsables politiques veulent bien le dire.

Ce chiffre de 120 mosquées salafistes en France, repris un peu partout, correspond au décompte du Service central des renseignements territoriaux (SCRT), qui livre régulièrement des notes sur le sujet. Une version récente, à laquelle Désintox avait eu accès, mentionnait ainsi 124 lieux d'«implantations associatives salafistes sur le territoire national». Il s'agit bien de mosquées, dont les services de renseignements estiment qu'elles doivent être surveillées, mais pas une liste de cibles destinées à être fermées. Une source du renseignement dans un département concerné par le sujet explique : «Une partie des 120 lieux de culte se situent dans notre département. On les surveille toutes sans a priori, sans volonté ni objectif de fermeture. Seulement certaines ont vocation à être fermées, celles qui posent problème.»

Car fermer une mosquée exige de vraies justifications. Bernard Cazeneuve le rappelait le 2 janvier sur France Inter : «Je veux quand même rappeler que nous avons fermé une vingtaine de mosquées salafistes [...] mais qu'on ne ferme pas des mosquées dans ce pays en contravention avec toutes les règles de l'Etat de droit et les principes constitutionnels. Parce que la lutte contre le terrorisme se fait dans le cadre de l'Etat de droit.» En clair, et c'est la principale raison : le salafisme n'est pas interdit, ni n'est donc, en soi, une raison suffisante à la fermeture d'une mosquée.

Le «cadre de l'Etat de droit», dont parle Cazeneuve, est principalement celui de l'article 8 de la loi du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence, modifié en 2016 et sur lequel une partie des décisions de fermeture des mosquées ont été fondées. Cet texte dispose : «Le ministre de l'Intérieur, pour l'ensemble du territoire où est institué l'état d'urgence, et le préfet, dans le département, peuvent ordonner la fermeture provisoire des salles de spectacles, débits de boissons et lieux de réunion de toute nature, en particulier des lieux de culte au sein desquels sont tenus des propos constituant une provocation à la haine ou à la violence ou une provocation à la commission d'actes de terrorisme ou faisant l'apologie de tels actes.»

Pour fonder leur décision, le ministre ou le préfet doivent donc «faire état de propos tenus par l'imam appelant à la haine ou contraires aux valeurs de la République, de la fréquentation desdites mosquées, de leur influence sur le quartier voire au-delà», explique une source proche du dossier. «Quand tout cela est établi, le préfet prend un arrêté pour fermer la mosquée sur le temps de l'état d'urgence.»

«Apologie du jihad»

Les arrêtés préfectoraux ayant depuis novembre 2015 demandé la fermeture de mosquées font, de fait, état de prêches «faisant l'apologie du jihad», d'une volonté de recrutement de «combattants volontaires [ayant] rejoint les rangs de Daech», de fréquentations importantes allant de 200 à 600 personnes, d'au moins une école coranique «non déclarée», dont un membre de l'équipe pédagogique «fait l'objet d'une interdiction de sortie de territoire»... Tous ces motifs faisant chaque fois peser «une menace grave pour la sécurité et l'ordre public».

Mais prouver l'existence d'un trouble à l'ordre public ou même prendre les imams soupçonnés en flagrant délit d'apologie du jihad ou du terrorisme se révèle souvent difficile. Selon plusieurs sources concordantes, ces imams, et leurs fidèles montrant de la sympathie pour la cause jihadiste, se montrent toujours plus prudents et n'évoquent plus ces thèmes que dans la sphère privée.

Alors, les services de renseignement font parfois appel à d'autres motifs pour demander la fermeture des mosquées. Les manquements aux exigences réglementaires concernant les établissements recevant du public (ERP), de type sécurité (sortie de secours absente) ou défaut d'encadrement dans les établissements dispensant un enseignement ou une garde d'enfant, sont régulièrement cités pour fermer une mosquée. Quand la préfecture ne procède pas une expulsion locative en cas d'absence ou d'expiration de bail. «Cela s'est toujours fait dans la lutte contre la radicalisation, confie une source haut placée des services de renseignement. Ce qui compte, c'est l'effet utile.»

Procédures

Dans le département des Bouches-du-Rhône, par exemple, aucune fermeture de mosquée n'est encore intervenue sur la base de l'état d'urgence depuis novembre 2015. Deux l'ont en revanche été pour manquements aux exigences réglementaires concernant les ERP et plusieurs dossiers d'expulsion locative sont en cours. Ces procédures, bien plus simples, sont les premières à intervenir, avant que les dossiers reposant sur l'article 5 de la loi relative à l'état d'urgence, plus complexes, ne soient complets.

Enfin, il existe une dernière raison pour laquelle certaines mosquées radicales peuvent demeurer ouvertes : les besoins de police et d'investigation peuvent l'exiger... afin de garder un oeil sur certains individus ou réseaux.

Pour aller plus loin :

Dans la même rubrique

Les plus lus