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Patrick Eveno : « Les politiques s’en prennent aux médias quand leur honneur est mis en cause »

François Fillon a déclaré devoir faire face à un « tribunal médiatique ». Pour l’historien des médias Patrick Eveno, cette ligne de défense est classique chez un politique acculé par les affaires.

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Publié le 07 février 2017 à 19h04, modifié le 07 février 2017 à 22h10

Temps de Lecture 4 min.

Conférence de presse de François Fillon à propos de l’affaire « Penelope Fillon » dans son QG de campagne à Paris, lundi 6 février.

« Lynchage médiatique », « campagne de presse d’une violence inouïe », « tribunal médiatique »Au cours de la conférence de presse lors de laquelle il a présenté des excuses aux Français, lundi 6 février à son QG de campagne, François Fillon s’en est pris violemment aux journalistes qui lui faisaient face.

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« J’ai bien vu la réprobation qui concerne un grand nombre de nos concitoyens, comment pourrait-il en être autrement après dix jours de lynchage médiatique pendant lesquels seule l’accusation a eu la parole ? », a-t-il ainsi lancé au cours de cette contre-offensive près de deux semaines après les premières révélations du Canard enchaîné sur l’emploi supposé fictif de son épouse.

Pour l’historien des médias et président de l’observatoire de la déontologie et de l’information Patrick Eveno, cette méthode de défense chez un politique, notamment dans les affaires politico-financières, est un classique.

Au cours de sa conférence de presse, lundi, François Fillon a accusé les médias de l’avoir « lynché et assassiné politiquement ». Les politiques utilisent-ils souvent ce type de défense lorsqu’ils sont en difficulté ?

Oui, s’attaquer aux médias est un grand classique, notamment dans les affaires politico-financières. C’est aussi vieux que la presse. C’était déjà le cas, par exemple, lors du scandale de Panama à la fin du XIXsiècle. Les politiques s’en prennent souvent aux journalistes quand ils sont en difficulté, et notamment dans les affaires qui touchent à leur honneur.

Les médias deviennent le bouc émissaire. C’est le messager qui est en cause, qui est accusé de tous les maux, plutôt que le message. Les Français se méfient des médias, donc les politiques en jouent. Or les journalistes font juste leur boulot. Et puis les politiques s’attaquent aux médias quand ils sont concernés, mais quand c’est un opposant qui est visé, ils s’en réjouissent.

Pendant longtemps, cette critique des médias était surtout cantonnée aux partis d’extrême droite ou d’extrême gauche. C’est ainsi le fonds de commerce de Jean-Luc Mélenchon ou de la famille Le Pen. Mais depuis quelque temps tous les courants politiques remettent en cause le système médiatique en général, ça ne vient plus seulement des extrêmes.

Est-ce que se poser en victime des médias permet de ressouder son clan ?

Critiquer les médias permet de désigner un bouc émissaire, de passer pour une victime et de ressouder son électorat, en effet. Cette virulence correspond à des périodes de crise que traversent un politique ou un parti. C’est une vieille méthode de défense. Il n’y a d’ailleurs pas de différence gauche-droite. Quel que soit le camp, quand ces politiques sont mis en cause, ce n’est jamais leur faute.

Avant, il y avait tout de même un peu plus de respect de la part des politiques. Mais là ils se sentent tellement acculés qu’ils sont très virulents, notamment en campagne présidentielle. Mais l’un des fondements de la démocratie, c’est le droit des citoyens à être informés. S’il n’y a plus de presse libre, on n’est plus en démocratie. Là, dans l’affaire Fillon, la presse fait son travail. Et, malgré les critiques, ils ont aussi besoin des médias, ils ne peuvent pas s’en passer.

Après c’est à l’électeur de voir s’il est prêt à élire quelqu’un visé par une procédure judiciaire. Quand Jacques Chirac a été élu en 1995, tout le monde connaissait ses affaires, et pourtant les Français ont voté pour lui. La presse donne l’information, mais c’est au peuple de décider à la fin avec son bulletin de vote. Et ça atténue quand même le rôle des médias. Ils ne sont pas tout-puissants.

Conférence de presse de François Fillon dans son QG de campagne à Paris, lundi 6 février.

Jusqu’où peut aller cette critique des médias de la part des politiques ?

Le plus dangereux, c’est quand ces attaques très violentes peuvent se traduire à la fin par une modification de l’arsenal législatif. Les parlementaires ont par exemple plusieurs fois essayé de restreindre la liberté d’expression, inscrite dans la loi de 1881.

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Ils donnent également des missions de plus en plus draconiennes au Conseil supérieur de l’audiovisuel, en modifiant la loi de 1986 [relative à la liberté de communication]. Mais essayer de contrôler les médias ne sert à rien. Ce n’est que de la politique à court terme. Il y a tant de médias aujourd’hui que les rédactions restent libres. Il n’est pas possible d’étouffer une affaire.

Le Front national (FN) a tout de même interdit l’accréditation de médias comme « Mediapart » ou « Quotidien » pour leurs assises présidentielles, qui se sont déroulés ce week-end, à Lyon. Est-ce que ça vous préoccupe ?

C’est un système qu’on dénonce depuis deux, trois ans. Ils essayent de chasser ces médias sous prétexte qu’ils seraient les ennemis du FN. Et leurs militants s’en moquent complètement. Ça renforce le fait qu’ils sont des victimes, qu’ils sont en dehors du système.

Il y a aussi eu le cas du président de la FNSEA [Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles], Xavier Beulin, qui a interdit Mediapart lors de ses vœux à la presse en début d’année. Ça devient monnaie courante, ils se referment dans leur bulle.

La victoire de Donald Trump, qui est en conflit ouvert avec les médias traditionnels, peut-elle inspirer certains politiques français ?

Sa victoire a donné des idées à certains ici. Ils se disent « pourquoi ne pas jouer cette ficelle-là ». C’est très dangereux.

Ce sont des gens élus dans un cadre démocratique et ils font fi de l’un des principes mêmes de ce système démocratique en remettant en cause le droit à l’information du citoyen. On ne peut pas exercer une souveraineté populaire sans une information libre. C’est très dangereux.

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