« Céline, la race, le juif. Légende littéraire et vérité historique », d’Annick Duraffour et Pierre-André Taguieff, Fayard, 1 178 pages, 35 €.
Dans un livre fleuve, Céline, la race, le juif, le philosophe et sociologue Pierre-André Taguieff et la spécialiste de littérature Annick Duraffour montrent que l’auteur de Voyage au bout de la nuit (1932) fut non seulement un antijuif convaincu mais un militant puis un agent actif de l’Allemagne nazie, avant d’encourager, après-guerre, les premiers pas du négationnisme.
Avez-vous voulu en finir avec la légende de Céline « écrivain maudit » ?
Annick Duraffour Après la guerre, c’est Céline lui-même qui s’emploie à substituer l’image de l’écrivain maudit à celle du salaud. Il s’agit pour lui de retrouver, en France, éditeurs et audience malgré l’opprobre dont il est l’objet dans les milieux de la Résistance. La posture de l’écrivain « génial », voué à la seule « petite musique », a pour fonction de faire oublier qu’il fut « le plus utile défenseur du rapprochement entre la France et l’Allemagne nationale-socialiste » − c’est ainsi que Fernand de Brinon [1885-1947, importante personnalité de la collaboration] présente son « ami » à Karl Bömelburg, le chef de la Gestapo.
Pour enterrer les faits et réintégrer la société française, Céline s’emploie à inverser les rôles, à traiter ses accusateurs en persécuteurs, à inventer la haine jalouse de son style. Les jérémiades et l’allure de clochard déguenillé finissent de persuader les imaginations, toujours naïves.
Pierre-André Taguieff Notre objectif a été de contribuer à la démythologisation de la question Céline, plus d’un demi-siècle après la mort de l’écrivain. Ce travail critique a été exemplairement commencé par Alice Kaplan avec Relevé des sources et citations dans « Bagatelles pour un massacre » (Le Lérot, 1987) et poursuivi par Odile Roynette (Un long tourment. Louis-Ferdinand Céline entre deux guerres (1914-1945), Les Belles Lettres, 2015).
Il s’agissait pour nous à la fois d’établir les faits et de poser le problème plus général, sur ce cas exemplaire, de la responsabilité morale et politique de l’écrivain. Car, dans la légende célinienne, le culte du « style pur » a permis d’imposer l’image de l’écrivain « génial », irresponsable et intouchable, magnifiquement « infréquentable », admirablement « réfractaire ». Cette esthétisation va de pair avec une dépolitisation de la trajectoire de Céline, qui fut, en dépit de ses dénégations d’après-guerre, un écrivain engagé, mu par des idées et des passions politiques. « Je suis raciste et hitlérien, vous ne l’ignorez pas », écrit-il à Robert Brasillach au printemps 1939.
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