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La première pilote africaine de long-courriers : « Chaque jour je dois prouver que je suis à la hauteur »

Irène Koki Mutungi est la première femme du continent à prendre les commandes d’un Boeing 787. Elle est la star de Kenya Airways, compagnie en grande difficulté.

Par  (contributeur Le Monde Afrique, Nairobi)

Publié le 13 décembre 2016 à 17h27, modifié le 14 décembre 2016 à 11h59

Temps de Lecture 4 min.

Irène Koki Mutungi.

S’il y a une chose que la commandante de bord Irène Koki Mutungi adore, c’est la tête des passagers à l’atterrissage.

« Quand je leur dis au revoir, et qu’ils se rendent compte que la pilote de l’avion était une femme, alors ils ont tous des expressions incroyables ! Certains sont surpris, d’autres paniqués ou enthousiastes », s’amuse-t-elle

Cette Kényane de 42 ans, dont la moitié passée aux manettes des avions de Kenya Airways (KQ), ne laisse personne indifférent. Première Africaine à être promue commandante de bord de vols commerciaux au milieu des années 1990 et, depuis deux ans, première femme du continent à prendre les commandes d’un Boeing 787 long-courrier, Irène Koki Mutungi accumule les titres de gloire.

Icône de la compagnie

Rendez-vous est pris au quartier général de KQ, face aux pistes de l’aéroport international Jomo Kenyatta de Nairobi. En ce début d’après-midi, la savane alentour est balayée par le souffle des réacteurs de plus de 40 compagnies aériennes, décollant chaque jour du plus gros aéroport d’Afrique centrale et orientale.

Ici, « Koki » est une habituée. Pas « jet-lag » pour un sou, fines nattes coiffées en arrière, la commandante salue et embrasse ses amis de toujours. Un peu comme à la maison.

« Mon père était lui aussi pilote. Il a même dirigé à une époque les opérations aériennes de Kenya Airways. Dès l’âge de 2 ans, j’avais déjà volé avec mon père à peu près partout dans le monde… et très souvent dans le cockpit ! »

Adolescente, la jeune Irène se rêve donc tout naturellement commandante de bord comme papa et, le lycée achevé, s’enrôle à l’école de pilotage installée à l’aérodrome Wilson de Nairobi. Une piste mythique, quasi centenaire, d’où s’élancent depuis toujours les petits coucous Cessna à safari, hélice fringante posée au bout du nez.

« J’étais la seule femme de l’école. Chaque jour, il fallait que je prouve que j’étais à la hauteur, que je pouvais faire aussi bien que les hommes. Tous les regards étaient sur moi, attendant de voir si j’y arriverai ou non. »

Elle doit aussi vaincre ses peurs

« J’ai terriblement le vertige. Si vous me mettez en haut d’un gratte-ciel, je vais être tétanisée ! », rit-elle.

Irène Koki Mutungi décroche finalement sa licence de pilote privé avant de prolonger ses études aux Etats-Unis, direction l’Oklahoma, obtenant sans difficulté sa licence de pilote commercial délivrée par la très sourcilleuse Federal Aviation Authority.

Immédiatement, la jeune femme est repérée et embauchée comme pilote par Kenya Airways. Une première. Pendant six ans, Irène Koki Mutungi est la seule femme à pouvoir toucher aux commandes d’un avion de ligne de la compagnie.

« Mon premier vol commercial, je m’en souviendrai toujours. C’était un Nairobi-Kisumu [ouest du Kenya]. Au moment d’embarquer, un passager masculin m’a aperçue. Il a été surpris de voir une femme et a dit : “Je ne suis pas un rat de laboratoire sur lequel vous allez tester de nouvelles expériences !” Il refusait d’avoir une femme pilote ! »

Elle intervient, menace de débarquer la forte tête. Le passager finit par s’excuser. Et l’avion s’envole pour Kisumu.

D’année en année, la commandante de bord Koki Mutungi est devenue l’icône de la compagnie. En 2014, elle est promue pilote des Boeing 787 Dreamliner, les plus gros et les plus modernes volant aujourd’hui pour KQ, reliant Nairobi à Paris, Londres, Dubai ou Hongkong. Là encore, elle est la première femme, la première Africaine.

« Kenya Airways fait des d’efforts, insiste-elle : 10 % des pilotes de la compagnie sont des femmes. On doit être dans le top 5 mondial. On est mises sur un pied d’égalité avec les hommes. On a les mêmes responsabilités, les mêmes salaires. Même enceinte, on m’a laissé piloter. »

Le tout répond aussi à une stratégie de communication bien pensée : féminiser l’entreprise permet à Kenya Airways de renvoyer une image plus moderne dans un monde de l’aviation des plus machos, où 97 % des pilotes demeurent des hommes.

Des pertes abyssales

Une publicité qui ne fait pas de mal à une compagnie nationale, « fierté de l’Afrique » selon son slogan, qui a aujourd’hui mauvaise presse. Car KQ est en zone de turbulences – si ce n’est carrément en phase d’atterrissage forcé. En juillet 2015, ses dirigeants ont rendu publiques des pertes abyssales de 230 millions d’euros, soit les pires résultats jamais enregistrés dans toute l’histoire du Kenya pour une entreprise privée.

Un vrai trou d’air. Une quasi-faillite. KQ a dû réduire la voilure. Outre la vente de plusieurs de ses Boeing, les licenciements se sont multipliés. Une centaine de pilotes sur les quelque cinq cents travaillant pour l’entreprise ont quitté le navire, « rachetés » par les compagnies du Golfe, Emirates ou Qatar Airways. Le PDG a lui même annoncé en novembre sa décision de démissionner au premier trimestre 2017.

Sur ce sujet sensible, Irène Koki Mutungi refuse de trop s’attarder. « Air France aussi a de gros problèmes ! », rappelle-t-elle, bravache. Avec 10 000 heures de vol au compteur, sans avarie ni sortie de route, la commandante de bord voit déjà plus loin que Kenya Airways et réfléchit maintenant à créer sa propre compagnie aérienne. « J’ai déjà un nom en tête, sourit-elle. Ce sera Lady Bird, la femme oiseau. » Un nom tout trouvé pour une compagnie où au mois la moitié des pilotes seraient des femmes.

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