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A Bruxelles, une procession funéraire tristement politique pour le Congolais Tshisekedi

Le corps de l’opposant historique est retenu dans une chambre froide en Belgique, sur fond de tractations avec le régime de Joseph Kabila et d’intrigues de succession.

Par  (Bruxelles, envoyé spécial)

Publié le 09 février 2017 à 11h18, modifié le 10 février 2017 à 12h54

Temps de Lecture 5 min.

Des partisans d’Etienne Tshisekedi se recueillent devant sa dépouille, à Bruxelles le 5 février 2017.

Un homme fait son entrée dans une salle austère éclairée par des néons bleus, avec des fleurs en plastique pour seule fantaisie. Ce mardi 7 février, Johnny est vêtu d’une veste léopard branchée, porte d’épaisses lunettes de soleil, une casquette kaki et n’a pas le temps de pleurer. Il s’avance d’un pas décidé vers le cercueil d’Etienne Tshisekedi. Il se met au garde-à-vous puis tourne les talons et se retire comme s’il repartait au combat. Cet ancien militaire congolais, exilé en Belgique, a accompli ce qu’il pense être son devoir. A sa manière, Johnny a salué une dernière fois son chef, son « président », son maître : Etienne Tshisekedi.

L’opposant historique s’est éteint à Bruxelles le 1er février, à l’âge de 84 ans. Mais son corps n’a toujours pas été rapatrié en République démocratique du Congo (RDC). En attendant, il repose à Ixelles, un quartier populaire de la capitale belge, au numéro 30 d’une rue grise bordée de maisons de briques rouges et d’arbres sans feuilles. Quelques policiers montent la garde sous l’enseigne lumineuse qui clignote dans l’obscurité de cette fin d’après-midi bruineuse. On y lit le nom du lieu : Poussière d’étoiles.

« Poursuivre le combat »

C’est dans la chambre froide de ce modeste funérarium que repose provisoirement l’icône de la lutte pour la démocratie en RDC, celui qui a osé affronter, sans jamais recourir aux armes, le maréchal Mobutu Sese Seko, le chef de guerre puis président Laurent Désiré Kabila et enfin son fils, Joseph Kabila. On est à plus de 6 000 km de sa terre natale du Kasaï (centre du pays) et de son fief de Kinshasa où l’attendent des millions de militants, de sympathisants et de simples citoyens.

Ni sa famille, ni les « combattants » de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), le parti qu’il a cofondé en 1982, n’ont pu faire leur deuil. Cela devait être une fête, une danse autour du corps pour célébrer la mémoire du leader. Mais, à Bruxelles, la procession funéraire est devenue tristement politique.

« On n’est plus maître de la dépouille de notre père, on est obligé d’attendre et de poursuivre le combat posthume, confie Jean-Claude Tshisekedi, 57 ans, l’aîné des cinq enfants. La politisation du retour du corps est inévitable. On le gardera s’il le faut. On pourrait même l’enterrer ici plutôt que de le garder comme un bagage. Mais ce n’est pas le souhait du peuple. La balle est dans le camp du pouvoir. »

Le mort qui inquiète le pouvoir

Plus qu’un funérarium, Poussière d’étoiles est devenu un glacis, un entre-deux, un purgatoire qui retient Etienne Tshisekedi. Son envol vers les cieux de Kinshasa reste suspendu à d’interminables tractations politiques, à un nouveau rapport de force avec le pouvoir. Le gouvernement de Joseph Kabila a créé une commission interministérielle pour organiser les funérailles, au Palais du peuple, et s’est engagé à assumer « toutes les charges relatives à l’organisation des obsèques », dont la mise à disposition d’un avion.

« Une offre malveillante et ostentatoire », dénonce Jean-Marc Kabund-a-Kabund, secrétaire général de l’UDPS, dans un communiqué daté du 8 février. « Nous sommes face à des calculs politiques de mauvais goût dont l’objectif est de faire du tapage (…) inutile », ajoute-t-il. A Bruxelles, les militants ont déjà réservé un jet privé, prêt à décoller, et se sont organisés pour assurer les frais de rapatriement. Ils exigent, en plus, « l’érection d’un mausolée au centre-ville de Kinshasa où sera gardé pour l’éternité le corps du père de la démocratie ».

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L’application de l’accord du 31 décembre

De fait, le rapatriement du corps du « sphinx de Limete » devient une épreuve supplémentaire pour le président Kabila, qui comparera ainsi sa popularité à celle de feu son meilleur ennemi. Encore faut-il que le chef d’Etat, dont le second et dernier mandat s’est achevé le 19 décembre 2016, accepte de respecter l’accord conclu avec l’opposition le 31 décembre sous l’égide de la Conférence épiscopale nationale du Congo (Cenco).

« Au départ, on ne voulait pas faire de marchandage politique avec le corps de notre chef, dit André Kabanda Kana, médecin et représentant de l’UDPS en Belgique. Mais que le gouvernement actuel organise les obsèques est un affront inacceptable. Plutôt garder le corps à Bruxelles que de le confier à ce gouvernement illégitime ». A ses côtés, Jean-Claude Tshisekedi acquiesce.

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A l’UDPS, c’est le peuple qui commande. Et le peuple, selon l’UDPS, exige l’application de l’accord du 31 décembre qui prévoit notamment la tenue d’élections à la fin de l’année et la nomination d’un premier ministre de l’opposition.

« Le testament du chef doit être exécuté, il avait accepté de négocier avec le pouvoir, il voulait cet accord, maintenant il faut l’appliquer sans tarder ! C’est une condition au retour du corps », insiste le député UDPS Guy Muadiamvita, venu à Bruxelles méditer sur la dépouille. Lui se trouvait fin janvier dans le salon d’Etienne Tshisekedi à Kinshasa lorsque ce dernier, très affaibli, a remis une missive scellée aux évêques. C’était la veille de son dernier départ pour Bruxelles. Dans cette lettre, le « vieux » aurait écrit à la main le nom du premier ministre qu’il avait désigné : Félix Tshisekedi, son troisième fils.

Le bal des ambitieux

A Poussière d’étoiles, celui que ses camarades appellent désormais « premier ministre » se recueille, silencieux et ému. Tshisekedi junior, rond et sympathique, a fait ses armes dans l’ombre de son père. Il a connu l’exil en 1985 à Bruxelles puis une vie de luttes rythmée par l’oppression et les grandes manifestations qui ont fait trembler les régimes successifs sans toutefois les renverser.

Lire aussi Article réservé à nos abonnés Joseph Kabila, roi du silence et du Congo-Kinshasa

On sent bien que Félix Tshisekedi, 53 ans, aurait aimé s’extraire, au moins le temps du deuil, de la grande comédie politique congolaise. Mais elle le rattrape. Des émissaires du pouvoir ont été dépêchés en Belgique. De même que des évêques de la Cenco, pour discuter de l’application de l’accord du 31 décembre tout en participant jeudi 9 février à la cérémonie de funérailles à la basilique du Sacré-Cœur de Bruxelles, familièrement appelée basilique de Koekelberg par les Bruxellois.

Félix Tshisekedi doit manœuvrer. Désormais, le corps de son père se retrouve au cœur de la bataille. Ou plutôt des batailles. Car à la lutte contre le régime Kabila s’ajoutent les querelles internes de l’UDPS : certains radicaux lui reprochent d’être trop consensuel et convoitent sa position d’héritier. Autour du corps d’Etienne Tshisekedi sont aussi apparus des ambitieux. Comme cet homme d’affaires katangais à la voix de crécelle, qui fut très proche d’Etienne Tshisekedi et se prend désormais à rêver d’un avenir politique. Mais les fidèles du défunt sont déterminés à protéger la mémoire de leur « président » et à faire respecter ses choix quitte à affronter une nouvelle fois le régime ou ses alliés qui pensent profiter de sa mort.

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