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La Russie tentera-t-elle de saboter la campagne d'Emmanuel Macron?

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Des médias russes ont récemment recueilli ou relayé des propos menaçants ou diffamatoires à l'égard d'Emmanuel Macron. Ce sont même eux qui ont poussé le candidat à la présidentielle à démentir cette semaine la rumeur de sa liaison supposée avec Mathieu Gallet.

Emmanuel Macron a surpris lundi dernier sur la scène d’un théâtre parisien: "Si on vous dit que j’ai une double vie avec Mathieu Gallet ou qui que ce soit d’autre, c’est mon holo­gramme qui soudain m’a échappé, mais ça ne peut pas être moi". Il s’agissait de tordre le cou à une première rumeur qui lui prêtait une liaison avec le président de Radio France et de couper court à une seconde, relayée par certains médias russes à l’audience internationale. Samedi dernier, le site russe Sputnik (version anglophone) a ainsi publié les déclarations qu’il avait recueillies auprès du député Nicolas Dhuicq, député Les Républicains de l’Aube.

Pour "En marche!", les médias russes mènent une campagne de dénigrement

Très offensif à l’égard de l’ex-ministre de l’Economie devenu candidat à la présidentielle, le parlementaire dépeignait son adversaire politique comme l’homme des Américains: "Tout au long de sa carrière, il s’est comporté en agent du système bancaire américain". L'élu s’attaque ensuite à la vie privée du fondateur d'"En marche!", lançant les allusions suivantes:

"Pour ce qui est de sa vie privée, ça se sait, Macron est appelé le chouchou, la chérie des médias français, qui sont détenus par très peu de gens, comme chacun sait. D'ailleurs, parmi ses soutiens, il y a Pierre Bergé, le célèbre homme d’affaires, associé et amant d’Yves Saint-Laurent, qui est ouvertement gay et défend le Mariage pour tous. Il y a un lobby gay très puissant derrière lui. Tout est dit."

Médias ou Etat?

C'est l'une des raisons qui ont poussé Emmanuel Macron, selon sa propre expression ce soir-là, à "mettre les pieds dans le plat". Le porte-parole d’ "En marche", Benjamin Griveaux, a senti le vent arriver de loin. "Ce qu’on observe depuis de nombreux mois et qui est renforcé ces temps-ci, c’est qu’il y a deux sites d’informations russes, en l’occurrence Sputnik et Russia Today, qui multiplient les articles d’une rare bienveillance envers Marine Le Pen et François Fillon et très désagréables envers Emmanuel Macron. On n’a aucun problème avec la liberté d’expression, la presse d’opinion. Mais là, il y a un problème: ces deux médias sont détenus par l’Etat russe", explique-t-il à BFMTV.com.

"C’est a minima une forme d’ingérence russe, une forme d’hégémonie régionale via des médias. On peut s’interroger au sujet de l’intérêt de certains d’entre eux à s’attaquer à tel ou tel candidat plutôt qu’à tel autre", poursuit le porte-parole. Les déboires actuels de François Fillon, auquel Vladimir Poutine a rendu un hommage appuyé en novembre dernier, sont-ils pour quelque chose dans la position incisive des médias russes à l’endroit de l’ancien protégé de François Hollande? C’est en tout cas ce que pense le site du Point. L’entourage d’Emmanuel Macron ne veut pourtant pas accréditer cette idée: "On n’est pas très complotistes. Ce n’est pas parce que François Fillon a ces problèmes qu’ils nous attaquent", veut croire Benjamin Griveaux. 

"Ce ne sont pas des maîtres du soft-power"

Affaiblir le rival du candidat privilégié par le Kremlin dans une élection électorale à l'étranger n’est pas la logique suivie par la Russie et sa presse, affirme un ancien diplomate en poste à Moscou: "Ce n’est pas leur manière de faire. Quand bien même ils le feraient, ce serait inefficace. Ce ne sont pas des maîtres du soft-power" sourit-il. Les liens de Sputnik ou de RT, par ailleurs propriétés de la même entité, Rossiya Segodnia, l’agence de presse officielle de la Russie, sont des plus étroits. "Ce sont bien sûr des médias d’Etat. Pour utiliser une image, c’est un peu comme la télévision publique sous l’ORTF", explique l’ex-diplomate.

A ce titre, ils relaient la position russe (comme Russia Today l’écrit ici noir sur blanc) et les préférences géopolitiques locales. A leur manière, ces sites expriment plus clairement les vœux du pouvoir à l’international que les institutions elles-mêmes, craignant toujours d’insulter l’avenir et traditionnellement pondérées quand il s’agit d’évoquer les scrutins extérieurs, souligne cet ancien envoyé français au pays de Vladimir Poutine.

Les Russes comptent leurs amis

Du côté d'"En marche!", on fait le parallèle entre le traitement infligé à Emmanuel Macron dans ces vitrines numériques de la Russie et la campagne anti-Clinton lors de la dernière présidentielle américaine. A la différence d’Hillary Clinton, Emmanuel Macron ne s’est pourtant pas signalé par des déclarations farouches à l’égard des Russes ou de leur chef. En revanche, ces deux candidats ont en commun des convictions très libérales, peu en phase avec le conservatisme mis en avant dans la fédération de l’est de l’Europe:

"Je ne crois pas au parallèle entre ces deux campagnes. Déjà, parce que la France pèse assez peu aux yeux des Russes. Ensuite, parce qu’il n’y a pas de prisme anti-social-démocratie à l’œuvre là-bas. Les Russes ne sont pas des gens très portés sur l’idéologie, au fond. Si la population et les médias ont une préférence pour telle ou telle personne à l’étranger, comme par exemple ils ont un faible pour François Fillon ou Marine Le Pen chez nous, c’est en raison d’une appréhension globale du personnage. En gros, ils se demandent si le candidat serait un ami ou un ennemi de la Russie. Ça ne va pas au-delà. D’ailleurs, quand Emmanuel Macron s’est déplacé en Russie, ça s’est très bien passé", analyse l’ancien diplomate.

Un vaste ciblage

Rien de personnel donc, tout serait une question de perception et d’affinité. La campagne d’Emmanuel Macron fait cependant bel et bien l’objet d’un ciblage particulier. Dans sa dernière édition, Le Canard enchaîné révèle que le site d'"En marche!" avait subi en janvier dernier 1.922 attaques informatiques, dont 907 en provenance d’Ukraine. L'hebdomadaire satirique y entrevoit la main, non de Kiev, mais de Moscou.

Le tir groupé ne s’arrête pas là. Il y a quelques jours, le fondateur de Wikileaks, Julian Assange, assurait au quotidien moscovite Izvestia: "Nous possédons des informations intéressantes concernant l'un des candidats à la présidence française, Emmanuel Macron. Les données proviennent de la correspondance privée de l’ex-secrétaire d’État américain, Hillary Clinton". Un verbatim par la suite relayé par... Sputnik. Emmanuel Macron doit s’attendre à essuyer encore de bons baisers de Russie.

Robin Verner