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Voilà ce que fait une vraie collaboratrice parlementaire de ses journées

RENCONTRE - L'affaire Penelope Fillon a braqué les projecteurs sur le métier de collaborateur parlementaire. Pour mieux comprendre le travail de ceux qui partagent la vie professionnelle des élus, le JDD a passé la journée de jeudi à Ris-Orangis (Essonne) avec Elodie Jauneau, assistante parlementaire du député socialiste Romain Colas.

Anne-Charlotte Dusseaulx , Mis à jour le
Elodie Jauneau, collaboratrice en circonscription, présente son badge de l'Assemblée nationale.
Elodie Jauneau, collaboratrice en circonscription, présente son badge de l'Assemblée nationale. © JDD.fr

Elodie Jauneau, collaboratrice en circonscription, présente son badge de l'Assemblée nationale. (JDD.fr)

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9 heures : "La première chose, consulter mes mails"

Au volant de sa voiture, Elodie Jauneau arrive à la permanence parlementaire de Romain Colas, située à Ris-Orangis (9e circonscription de l'Essonne). Le temps de se garer et d'ouvrir le rideau métallique, la voilà dans son bureau, au fond du local. Sa collègue est actuellement en congés. "La première chose que je fais quand j'arrive, c'est de consulter mes mails", explique-t-elle. La journée s'annonce plutôt calme. Aucun rendez-vous n'est prévu dans la journée ; le député Romain Colas est retenu à l'Assemblée nationale.

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Agée de 38 ans - "je suis plus vieille que mon député" (il a 37 ans) - Elodie Jauneau rejoint Romain Colas à l'été 2014. L'élu, qui est aussi maire de Boussy-Saint-Antoine, a fait son entrée à l'Assemblée nationale quelques jours auparavant, à la suite de la nomination de Thierry Mandon, dont il était le suppléant, au poste de secrétaire d'Etat à la Réforme de l'Etat et à la Simplification. Alors chargée de communication à la Direccte d'Ile-de-France, la jeune femme le croise à plusieurs reprises. "Il me propose d'être sa collaboratrice parlementaire." Elle accepte. Avant cela, Elodie Jauneau a galéré : 19 mois de chômage pendant lesquels elle "fait de la politique depuis [son] salon". Celle qui dit avoir "toujours été de gauche" publie un billet de blog intitulé "Pourquoi je ne voterai pas Sarkozy en 2012" et est repérée par l'équipe numérique de François Hollande qu'elle rejoindra. Voilà pour l'entrée en politique.

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9h30 : "C'est un député itinérant"

Devant son ordinateur portable, café à la main, Elodie Jauneau fait le point sur les rendez-vous à venir de Romain Colas. Quatre sont déjà calés pour le lundi 20 février. "C'est un député itinérant. Dans presque toutes les mairies de la circonscription [composée de 13 villes, dont seulement deux socialistes], une salle est mise à notre disposition", explique-t-elle. "On ne peut pas imposer aux gens de tous converger vers Ris-Orangis." La session suivante, le 6 mars, se tiendra à Boussy-Saint-Antoine. "Quand les gens appellent, en fonction de l'urgence du dossier, on essaie de leur proposer la première permanence la plus proche de chez eux."

Elodie Jauneau a aussi créé des "google alert" sur chacune des 13 villes pour ne rien manquer de l'actualité de la circonscription. Ce matin, deux dépêches d'Essonne Info retiennent son attention : des assistantes maternelles mobilisées à Saint-Germain-lès-Corbeil pour la création d'une "maison des assistantes maternelles" et des agents du secteur postier en grève à Ris-Orangis. "Je vais les mettre dans le paraphe de Romain pour qu'il voit les articles. Il voudra peut-être rencontrer certaines personnes", explique la collaboratrice.

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10 heures : "Le jeudi, c'est le Républicain de l'Essonne"

"Le jeudi, c'est le Républicain de l'Essonne", lance Elodie Jauneau, en se dirigeant vers l'entrée de la permanence pour récupérer le journal hebdomadaire local. Elle fait le point sur les performances des sportifs du coin - un judoka cette fois. "Je le note et suggère au député d'envoyer une lettre de félicitations." Au courrier, il y a aussi une lettre de remerciement du maire d'Etiolles pour la subvention accordée au titre de la réserve parlementaire à la rénovation du cimetière de la ville et une invitation de l'association TransAides à une exposition le 25 février au château de Draveil. Le député devrait s'y rendre. Et sa collaboratrice aussi. "Je le suis partout. Il n'y a pas un déplacement sans que quelqu'un nous interpelle sur tel ou tel sujet", raconte-t-elle.

(JDD.fr)

Le tout est classé. Dans trois pochettes : une "courrier", une autre "invitation" et une dernière "M'en parler" pour les dossiers plus urgents. Elodie Jauneau emporte le tout lors de la réunion hebdomadaire où est calé l'agenda du député. Quand cela ne peut pas attendre, elle envoie les documents par mail à son collègue à l'Assemblée pour qu'il les ajoute au paraphe de Romain Colas.

10h45 : "D'habitude, c'est plus tôt, là il était très occupé"

Justement, Thomas Borel, son homologue de l'Assemblée nationale, l'appelle. "D'habitude, c'est plus tôt, mais là il était très occupé." Le député Romain Colas, membre de la commission des Finances, doit faire trois interventions dans l'hémicycle dans la journée : sur la Corse, l'autoconsommation et la production d'électricité d'origine renouvelable, et le potentiel fiscal des communautés d'agglomération. "On s'appelle à peu près 25 fois par jour comme on interpellerait un collègue dans le même bureau. Notre travail est complètement connecté", explique Elodie Jauneau. C'est pour ça qu'elle se dit "atterrée" à propos de l'affaire Penelope Fillon : "Quand j'entends dire que la collaboratrice à Sablé-sur-Sarthe ne travaillait pas avec son binôme à l'Assemblée, c'est impossible!" Pour preuve, elle évoque entre autres le nombre de courriers en transfert entre le Palais Bourbon et la circonscription. "C'est comme si on me demandait si je connaissais Thomas Borel, c'est lunaire."

Si elle travaille en circonscription, elle a aussi un badge (renouvelable tous les ans) pour pénétrer dans l'Assemblée nationale. "En trois ans, j'y suis peut-être allée 50 fois. C'est très peu", indique-t-elle. Mais "il suffit d'une fois pour qu'un badge soit nécessaire".

10h55 : "Je suis sur le Twitter de mon député, j'hallucine!"

Au planning de sa journée : nuisances sonores dues à l'aéroport d'Orly, désert médicaux sur la circonscription et dossier RER D. "Il n'y a pas d'ordre particulier. Mon planning n'est pas calibré à la minute près." Il va d'ailleurs se voir chamboulé. "Je suis sur le compte Twitter de mon député, j'hallucine total de ce que je lis!" A la suite de propos racistes de plusieurs twittos, Romains Colas a supprimé une photo d'élèves de sa circonscription venus visiter l'Assemblée nationale le 25 janvier et répondu en cinq courts messages. "Ça mérite un communiqué de presse et pas juste cinq tweets d'affilée. Je veux bien me mettre dessus. Demande-lui par sms", dit Elodie Jauneau à son collègue Thomas Borel. Quelques minutes plus tard, Romain Colas la rappelle, la collaboratrice prend des notes.


11h05 : les nuisances aériennes, "un sujet majeur"

Le prochain coup de fil sera pour un ancien pilote, spécialiste du dossier des nuisances aériennes et habitant de Soisy-sur-Seine. "C'est un sujet majeur de la circonscription." L'objectif : caler une réunion en vue de la présentation du nouveau processus de concertation. "Un projet de modification des trajectoires de vols au départ d'Orly a été prise sans concertation avec les élus. […] Après une levée de boucliers, on a obtenu une remise à plat."Mais ce n'est qu'une première étape.

11h15 : dossier désert médicaux

Le député a interpellé la ministre de la Santé, Marisol Touraine, sur la question des déserts médicaux. Une commune de la circonscription est particulièrement touchée : à Saint-Pierre-du-Perray (10.000 habitants), il n'y aura plus de médecin généraliste à partir du mois de juin. La collaboratrice passe des coups de téléphone pour faire un état des lieux. Car Romain Colas souhaiterait que cette ville soit inscrite sur "la liste prioritaire des communes en souffrance" qui doit être publiée par le ministère.

11h30 : "On est un service public de proximité"

Le téléphone sonne. Cette fois, c'est une habitante de la circonscription qui a été agressée l'année dernière et demande de l'aide dans les démarches administratives. Et du "lien social". "On est en quelque sorte un service public de proximité. C'est aussi ce que j'aime ici : on rencontre plein de gens différents, c'est du concret", assure Elodie Jauneau, dont le numéro de téléphone portable est affiché sur la porte d'entrée de la permanence. Reçoit-elle beaucoup d'appels? "Oui, mais c'est fait pour ça."

 

(JDD.fr)

12h20 : "Après un démarrage de journée qui pourrait paraître diesel, tout s'accélère"

La collaboratrice a envoyé une proposition de communiqué de presse au député. "C'est un exemple type de chamboulement de journée. Après un démarrage qui pourrait paraître diesel, tout s'accélère", explique Elodie Jauneau, qui a préféré annuler le déjeuner prévu ce midi.

12h30 : pause déjeuner

Du coup, ce sera sandwich à la boulangerie voisine et déjeuner au bureau, où au mur on retrouve l'affiche "La France tranquille" de François Mitterrand, la liste des premières femmes députées ou encore le poster du gouvernement Cazeneuve. L'occasion aussi de regarder, de retour au bureau, l'intervention de Romain Colas sur les modalités de mise en oeuvre de la future collectivité unique de Corse à partir de 2018.


13h50 : "Ah ça, c'est la sonnerie du boss!"

Romain Colas la rappelle pour les dernières corrections du communiqué de presse, où le député "dénonce les propos orduriers de la fachosphère" qui "s'est déchaînée sur Twitter". Le texte sera envoyé aux médias locaux et nationaux, publié sur son site et sur les réseaux sociaux.


14 heures : "Vous savez, on fait tout ce qu'on peut"

Nouvel appel d'un habitant de la circonscription sur un dossier compliqué le concernant. La collaboratrice prend note : "On va voir ce qu'on peut faire, mais vous savez qu'on est un peu bloqué sur ce dossier. On fait tout ce qu'on peut."

15 heures : dossier RER D

La question de la fachosphère réglée, il est temps de passer aux autres dossiers. Notamment celui du RER D. Des modifications prévues sur la ligne vont impacter les trajets quotidiens des habitants de la circonscription. Elodie Jauneau doit préparer un courrier pour les maires de cinq villes concernées afin de "dire que le député est attentif au sujet, peut être un relais et qu'il est hors de question que des habitants soient délaissés sans contre-propositions". Parmi les compromis acceptables : des ruptures de ligne avec changements "quai à quai" et la mise en place de navettes. Suit appel à son collègue de l'Assemblée pour ajouter ces courriers au paraphe afin que le député les signe lui-même rapidement. "On attend beaucoup dans ce métier", indique la collaboratrice.

16 heures : "A des années-lumière de Penelope Fillon"

Du classement, du rangement… Parallèlement, la conférence de presse des avocats de François Fillon se prépare. Dans le bureau d'Elodie Jauneau, pas de TV, mais les pushs de son téléphone la tiennent informée. "Je suis à des années-lumière de Penelope Fillon. […] Je gagne 2.400 euros net par mois et j'ai un treizième mois." Sur cette affaire, une autre question l'interpelle : celle des preuves du travail effectué. "En 2016, on a envoyé 983 courriers d'interventions du député par voie postale à des particuliers. Et par mail, avec ma collègue (absente ce jeudi), on a dû faire 350 envois chacune de ce type." Et d'ajouter : "Il y a vraiment un échange avec les gens, on n'est pas juste une chambre d'enregistrement."

16h15 : "J'en apprends tous les jours"

Une nouvelle question écrite à Marisol Touraine est en préparation. "C'est son moment, il y a des phases comme ça", ironise la collaboratrice. Le député a été saisi par une association qui demande la reconnaissance de la cystite interstitielle comme pathologie invalidante. Une pétition a été lancée (1.237 soutiens vendredi midi). "Quand je vous dis que j'en apprends tous les jours", commente Elodie Jauneau.

16h30 : "C'est de la diffusion d'informations"

Cet après-midi, le député reprend la parole sur deux sujets dans l'hémicycle : l'autoconsommation et la production d'électricité d'origine renouvelable, et le potentiel fiscal des communautés d'agglomération. D'un côté, Elodie Jauneau reprendra le script et la vidéo de l'intervention de Romain Colas pour la mettre en ligne sur son site et sur Dailymotion. De l'autre, Thomas Borel fera le compte-rendu de la seconde intervention pour un envoi au président du Grand Paris sud et aux maires de la circonscription. "C'est de la diffusion d'informations qui peut leur être utile."

17h20 : "Des fois ça marche. Je ne te promets rien"

C'est la première fois - et la seule de la journée - que la porte d'entrée de la permanence s'ouvre. L'homme, que connaît la collaboratrice, vient pour deux choses : demander de l'aide pour un cousin qui a un visa d'installation mais ne parvient pas à obtenir un rendez-vous à la préfecture pour déposer un dossier de première demande de carte de séjour. "On peut faire un courrier à la préfecture. Des fois ça marche, des fois non. Je ne te promets rien." Il souhaite aussi proposer ses services pour la campagne des législatives à venir. Romain Colas se présente, sous son nom cette fois. "Il partira en campagne tardivement. On est déjà tellement présent qu'on ne peut pas faire grand-chose de plus", explique la collaboratrice parlementaire, qui se voit comme "la porte d'entrée de Romain Colas".

(JDD.fr)

17h45 : "On n'est pas mal, j'ai bien avancé"

La fin de journée se précise. "On n'est pas mal, j'ai bien avancé", dit Elodie Jauneau, qui attend toujours un appel d'un élu de la circonscription sur le dossier des nuisances sonores. Petit tour sur la boîte mail : "Je vais finir ce que j'avais commencé ce matin…" C'est aussi le moment de regarder les différents éléments envoyés par le gouvernement (L'Essentiel et Les questions d'actualité) et le groupe socialiste à l'Assemblée (revue de presse numérique et hebdomadaire). "Ça permet de faire le point sur des actus qui auraient pu légitimement nous échapper." Dans L'Express de la semaine, un dossier est consacré à l'absentéisme des parlementaires. Elodie Jauneau le lit, affligée face au non-investissement de certains qui participe au discrédit de la classe politique : "On n'en peut plus des histoires comme ça…"

18h20 : fermeture de la permanence

Le rideau métallique se ferme. La collaboratrice fait le point sur sa journée : "La moitié de mes journées, c'est ça. En mode course de fond avec des dossiers qui durent." Avant de rentrer chez elle, elle doit encore passer voir une vieille dame qui ne comprend pas la hausse sur sa feuille d'impôts. "C'est très rare, ça a dû m'arriver deux fois de faire ça." Après un mois de janvier chargé, entre les vœux et l'organisation de la primaire de la gauche (elle est aussi conseillère municipale d'opposition à Yerres et secrétaire fédérale), Elodie Jauneau va prendre une semaine de congés : "Je vais redécouvrir mon appartement!"

Source: leJDD.fr

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