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Turquie : Recep Tayyip Erdogan en route vers le sultanat

Le projet de réforme constitutionnelle qui doit être soumis à référendum à la mi-avril prévoit le basculement de l’exécutif entre les mains du président sans contre-pouvoir.

Publié le 11 février 2017 à 07h38, modifié le 11 février 2017 à 16h00 Temps de Lecture 4 min.

Le président Recep Tayyip Erdogan, à Aksaray (Turquie), le 10 février.

Les électeurs turcs se rendront aux urnes, le 16 avril, pour décider si oui ou non ils acceptent le renforcement des prérogatives du président Recep Tayyip Erdogan, neuf mois après la tentative de putsch qui a failli le renverser, dans la nuit du 15 au 16 juillet 2016. Vendredi 10 février, le chef de l’Etat a signé la loi modifiant la Constitution, ce qui ouvre la voie à l’organisation d’un référendum pour une « hyperprésidence », une concentration des pouvoirs dans les mains d’un seul homme, à un niveau jamais vu en Turquie.

Dix-huit amendements prévoient le basculement de l’exécutif entre les mains du président, sans aucun contre-pouvoir. Si le oui l’emporte, M. Erdogan pourra gouverner par décrets, décider du budget, déclarer l’état d’urgence, abolir le Parlement, nommer les hauts fonctionnaires, le ou les vice-président(s), les juges, tout en conservant la direction du Parti de la justice et du développement (AKP, islamo-conservateur, au pouvoir).

Le premier ministre, Binali Yildirim, nommé en mai 2016, ne ménage pas ses efforts pour faire campagne en faveur du oui, bien que la réforme prévoie l’abolition pure et simple de sa fonction. « Si Dieu le veut, le système présidentiel mettra fin à la période des coalitions gouvernementales » pour doter le pays d’un « exécutif fort », aime-t-il à rappeler.

« Fermer la parenthèse du kémalisme »

Les partisans de M. Erdogan veulent croire que le nouveau système garantira la stabilité. Le programme semble séduisant à l’heure où la Turquie doit faire face à une situation sécuritaire incertaine, à un essoufflement de sa croissance économique, tout en menant une offensive militaire au nord de la Syrie.

Le gouvernement croit même que les attentats pourraient cesser après le référendum. « Certains agresseurs pourraient créer un climat de peur de façon à ce que les amendements ne soient pas adoptés. (…) Mais si Dieu le veut, une fois que le oui aura gagné, ces organisations terroristes perdront leur voix et leurs motivations », a expliqué le vice-premier ministre, Numan Kurtulmus, le 24 janvier.

Au-delà du costume d’« hyperprésident » que M. Erdogan est pressé d’endosser, un nouveau roman national est en train d’émerger. « On va reconstruire l’Etat à partir de zéro », avait-il prévenu quelques jours après le putsch manqué du 15 juillet 2016. La rupture n’est pas nouvelle. Depuis leur arrivée au pouvoir en 2002, les islamo-conservateurs n’ont qu’une idée en tête : « fermer la parenthèse du kémalisme ». Pour eux, le projet modernisateur de Mustafa Kemal, dit Atatürk, la figure tutélaire du pays, a manqué son but. La laïcité tout comme l’arrimage à l’Occident sont des orientations dépassées.

Si le oui l’emporte, le président turc pourra gouverner par décrets, déclarer l’état d’urgence, abolir le Parlement…

Un nouveau projet de civilisation est proposé. Le principe de laïcité cher à Mustafa Kemal – en réalité un contrôle renforcé du politique sur le religieux – est perçu comme obsolète. L’enseignement religieux est revenu en force, avec 1,2 million d’élèves inscrits dans des écoles de formation d’imams. Ces dernières années, près de 150 000 imams en sont sortis diplômés, alors qu’il n’y a que 80 000 mosquées dans tout le pays. La direction des affaires religieuses (Diyanet) a pris une importance considérable, son budget a quadruplé, le nombre de ses fonctionnaires (120 000) dépasse aujourd’hui en nombre ceux du ministère de l’intérieur. Elle possède aussi sa propre chaîne de télévision, ainsi qu’un numéro vert pour des conseils sur l’observance de la norme islamique au quotidien.

Dans l’esprit d’une large partie des Turcs, les années Erdogan étaient jusqu’ici synonymes de forte croissance économique et de stabilité politique. Mais depuis neuf mois, la donne a changé. La vague de répression qui a suivi le putsch raté (130 000 salariés limogés, plus de 40 000 personnes arrêtées), l’instauration de l’état d’urgence, la mise au pas des médias, l’intrusion du politique partout, y compris dans la gouvernance de la banque centrale du pays, ont refroidi l’opinion publique et douché les investisseurs, dont la Turquie est dépendante pour financer son déficit budgétaire. Depuis 2016, la livre turque a perdu un quart de sa valeur par rapport au dollar.

« Islamo-fascisme »

Organiser un référendum alors que l’état d’urgence imposé au lendemain du coup d’état manqué est encore en vigueur augure mal du caractère équitable de la campagne électorale. « Comment est-ce possible, alors que la liberté d’expression est régulièrement bafouée ? », interroge Ali Seker, député du Parti républicain du peuple (CHP, le parti fondé par Atatürk) pour la ville d’Istanbul. Vendredi 10 février, il a pris part à une manifestation pacifique devant l’université d’Ankara, où des centaines de personnes protestaient contre l’éviction arbitraire, le 8 février, de 330 universitaires et de plus de 4 000 salariés. « J’ai été molesté, alors que je suis un élu. La moindre protestation est réprimée avec la plus grande violence », déplore le député.

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Les policiers sont intervenus avec du gaz, des balles en caoutchouc, et des camions à eau ont même pénétré au sein de l’université. Douze personnes ont été arrêtées. Selon lui, « si le oui l’emporte au référendum, Recep Tayyip Erdogan pourra faire ce qu’il veut. Un seul individu tiendra 80 millions de personnes en otage sans avoir de comptes à rendre ». Les kémalistes, les militants de gauche, les prokurdes voteront non. Merdan Yanardag, écrivain et rédacteur en chef du journal en ligne ABC, proche du courant kémaliste, en est sûr : « Si le oui gagne, la Turquie évoluera vers une forme d’islamo-fascisme. Mais le non est donné gagnant par presque tous les instituts de sondage, et sa victoire marquera le début de la fin du système de personnification du pouvoir. »

Ertugrul Kurkçu, député du parti prokurde HDP (Parti démocratique des peuples) pour la ville d’Izmir, dénonce la stigmatisation systématique des partisans du non et ce, au plus haut sommet de l’Etat : « Le camp du non est ouvertement qualifié de terroriste, l’accès aux médias lui est refusé. Et que vont faire les déplacés du conflit kurde ? Environ un million de personnes ont dû quitter leur domicile dans le sud-est du pays pour cause d’instabilité. Où vont-ils aller pour voter ? »

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