Atomique

Fukushima : la bataille de la France au nom de l'atome

Un documentaire diffusé dimanche dans l'émission «Cellule de crise» expose comment la France a œuvré dès le 11 mars 2011 pour «sauvegarder les intérêts du nucléaire».
par Arnaud Vaulerin, correspondant au Japon
publié le 12 février 2017 à 12h18

L'affaire est entendue. La catastrophe de Fukushima, qui a eu lieu il y a près de six ans, est un «désastre créé par l'homme» comme l'a écrit noir sur blanc Kiyoshi Kurokawa, le président de la commission d'enquête parlementaire. Depuis le 11 mars 2011, les rapports, les investigations, les documentaires japonais et internationaux n'ont pas manqué pour décrire l'enchaînement des faits, l'impréparation, les erreurs en série et la panique qui s'est emparée du pouvoir politico-industriel nippon dans les premiers jours de la pire crise nucléaire depuis Tchernobyl.

Le mérite de cette enquête n'est pas tant dans ce rappel de ces jours de mars ayant donné des sueurs froides à toute la planète et au cours desquels le pire a été évité de peu. Même s'il est toujours nécessaire de se remémorer que les autorités japonaises ont envisagé le scénario catastrophe : une perte totale de contrôle de la centrale de Fukushima-daiichi et une crise nucléaire qui aurait condamné pour des décennies une grande partie du Japon et contraint les autorités à évacuer plus de 50 millions de personnes, comme l'a raconté dans ces colonnes Naoto Kan, le Premier ministre de l'époque.

La journaliste Linda Bendali qui signe cette enquête a certes eu accès des témoins de premier plan dans l'équipe de Naoto Kan, chez les secouristes, les militaires et parmi des membres de Tokyo Electric Power Company (Tepco) qui gère la centrale. Mais si ce documentaire révèle des secrets, c'est surtout sur son volet français qu'il apporte un éclairage bienvenu. En construisant un récit croisé entre le Japon et la France, il expose la «stratégie du gouvernement français pour sauvegarder les intérêts du nucléaire». Et montre comment Paris s'est lancé dans une «bataille diplomatique et industrielle cruciale pour la France».

«Risques de contamination en Europe»

Même si EDF, François Fillon – alors Premier ministre –, ses conseillers et Eric Besson, le ministre de l’Industrie de l’époque ont refusé les demandes d’interview, la journaliste a pu reconstituer le récit côté français. Informé par une source interne à Tepco, l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) fait partie des premiers à avoir été informé de la crise.

A Paris, l'IRSN mobilise son centre de crise avec 40 ingénieurs, des traducteurs pour tenter de comprendre la situation à la centrale et pour faire face à de possibles «risques de contamination dans toute l'Europe». Chez Areva, huit ingénieurs donnent l'alerte en bouclant leurs valises. «Les Japonais ont perdu le contrôle de la centrale», déclarent-ils en quittant le Japon en toute hâte. La panique s'empare des expatriés à Tokyo.

Dès le 12 mars, les explosions causées par l'hydrogène concentré dans les installations de Fukushima et le bricolage des interventions vont faire «très très peur», comme le dit Anne Lauvergeon, alors la présidente d'Areva. La France, pays du nucléaire avec les géants EDF et Areva, voit chuter les cours en bourse de ses entreprises et de l'uranium. Il faut réagir. Les ministères de l'Industrie et de l'Ecologie, l'IRSN et Matignon vont monter au front pour faire «faire baisser la pression et l'angoisse».

Conférence de presse, éléments de langage, audit des réacteurs français, etc. Paris manœuvre pour que le «nucléaire ne devienne pas un sujet de débat» et que «la place de l'atome ne soit pas remise en cause en Europe». Elle s'oppose à la «décision hallucinante de l'Allemagne», selon les mots de Frank Supplisson, directeur de cabinet d'Eric Besson, de débrancher ses centrales. N'hésite pas à menacer ses partenaires européens qui n'ont pas l'heur de partager ses vues. Et fait pression sur ses diplomates.

Beau fiasco français

A Tokyo, l'ambassadeur de France, Philippe Faure, met en ligne un communiqué recommandant aux ressortissants français de s'éloigner quelques jours de la capitale nippone. Le Quai d'Orsay lui intime l'ordre de retirer le texte. Puis, avec retard, Paris dépêche un avion d'aide avec des «tonnes de matériels inutiles», raconte un membre de l'ambassade. «Au pays de Nissan et de Toyota, ce qu'on envoyait c'était du vrac, pas éblouissant», se souvient Philippe Faure.

Le documentaire raconte également un beau fiasco quand l'aide technique française a été refusée par le Japon. Paris a loué un très coûteux Antonov pour acheminer ses robots capables d'intervenir en milieu contaminé, mais Tokyo souhaitait que des experts français viennent les piloter. «Les ingénieurs acceptaient de venir à Tokyo, raconte Linda Bendali, mais pas au pied des réacteurs.» Les Japonais ont décliné l'offre.

Dans cette offensive diplomatico-industrielle, l'Elysée n'a pas été en reste. Nicolas Sarkozy a fait des pieds et des mains pour être le premier chef d'Etat à venir au Japon. Vingt jours après le 11 mars, il débarque à Tokyo et rappelle la nécessité de poursuivre le nucléaire. Naoto Kan accepte finalement de l'accueillir malgré un emploi du temps surchargé. Ce jour-là, «j'étais convaincu qu'il fallait arrêter» l'utilisation de l'atome, déclare aujourd'hui l'ex-Premier ministre devenu l'un des plus ardents militants antinucléaires de l'archipel. Mais face à Nicolas Sarkozy le 31 mars 2011, il s'est tu.

Cellule de crise. De Paris à Fukushima, les secrets d'une catastrophe. Dimanche 12 février à 22h40. France 2. Rediffusion, jeudi 16 février à 1h40.

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