Les conflits qui animent les prud'hommes reflètent quotidiennement notre histoire sociale. L'audience en bureau de jugement est publique. Régulièrement, une journaliste de L'Express assiste aux débats.

Publicité

Paris, tribunal des prud'hommes, section encadrement, le 26 janvier 2017, à 13h30.

Le président, assisté d'une conseillère et de deux conseillers, ouvre l'audience en appelant à la barre l'avocat de Bertrand Reuzeau, ancien footballeur professionnel français qui a poursuivi sa carrière comme formateur au PSG. Le litige porte sur la fin de son contrat de travail. Le club de première division est représenté par une avocate.

Le président: "Nous vous écoutons."

L'avocat de Bertrand Reuzeau: "Mon client était directeur du centre de formation du PSG. Il est entré à ce poste le 1er juillet 2005 et demande la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l'employeur. Il a quitté le club le 4 juillet 2016. Il est directeur de la formation et de la préformation."

Le président: "Quelle est la nature du contrat de travail?"

L'avocat de Bertrand Reuzeau: "Un CDD puis un CDI, puis des avenants... "

Le président le coupe: "Je ne comprends pas. Il est en CDD ou en CDI?"

L'avocate du PSG: "Mon confrère a le don d'embrouiller les choses, alors que c'est simple: un premier CDD complété par un CDI puis des avenants signés à chaque saison.

L'avocat de Bertrand Reuzeau sort une liasse imposante de documents: "Vous voulez savoir combien de contrats et avenants ont été signés en 10 ans?"

L'avocate du PSG: "Ce n'est pas la question, monsieur le président nous demande de préciser la nature du contrat. La Fédération Française de Football a un rôle délégataire et doit homologuer les contrats, donc les CDI et CDD se superposent. C'est l'article 106 de la charte de football. Il doit nécessairement avoir un CDD d'entraîneur."

Le président le coupe: "On part donc sur un CDD qui se poursuit par un CDI avec des avenants."

L'avocate du PSG: "Oui."

LIRE AUSSI >> Quand l'avenant au contrat de travail est-il obligatoire?

L'avocat de Bertrand Reuzeau: "A l'été 2015 mon client apprend par la presse que le PSG va recruter un directeur technique pour la formation. Son employeur exige qu'il signe un avenant pour modifier son contrat de travail. On veut lui imposer de nouvelles conditions de travail. Ses fonctions modifiées consisteraient à participer et non plus à diriger. Bertrand Reuzeau refuse. Nous avons aussi saisi la commission juridique de la Ligue de football professionnelle: elle ne s'est pas prononcée."

Le président: "Que se passe-t-il à la suite du refus?"

L'avocat de Bertrand Reuzeau montre une nouvelle masse de documents: "J'ai tout un stock d'échanges de courriers. La DRH veut notamment rassurer mon client sur ce qui a été dit dans les médias. "Tu gardes tes responsabilités", lui écrit-elle. Mais en même temps, il reçoit un mail hallucinant de la même DRH qui s'est trompée de destinataire. Je vous le lis : "ci-joint le projet que je compte envoyer à Bertrand Reuzeau. L'idée est de formaliser son changement de fonctions. Pour le cas où il ne jouerait pas le jeu, cela nous [au PSG] coûterait 600.000 euros. Nous l'avons vu il y a trois ans". Depuis 2013, le coût de la rupture est évalué. Mon client saisit le conseil des prud'hommes. Puis son successeur arrive."

LIRE AUSSI >> Article 700, départage, référé... Le glossaire des prud'hommes

Le président: "Comment la relation de travail se termine-t-elle?"

L'avocat de Bertrand Reuzeau: "Il a normalement exécuté son contrat de travail puis comme la presse a fait écho de ses difficultés avec le PSG, il est contacté par d'autres clubs. Bertrand Reuzeau a eu une carrière professionnelle, a connu 8 présidents, il notifie son départ par un courrier du 4 avril 2016."

L'avocate du PSG: "Il conserve son salaire..."

L'avocat de Bertrand Reuzeau: "Le salaire ne fait pas tout. Il est parti à l'AS Monaco. Cela faisait 10 ans qu'il était au PSG. Son palmarès parle pour lui: il a été champion de France avec les moins de 17 ans et avec les moins de 19 ans, je peux vous citer trois internationaux qui ont été formés par lui - et on nous dit qu'il n'est pas bon? De qui se moque-t-on? Il ne veut pas rester dans un placard au PSG!"

Le président: "Quelles sont vos demandes?"

L'avocat de Bertrand Reuzeau: "127.764 euros d'indemnités conventionnelles, 24 mois de salaire comme dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse soit 408.000 euros avec une reconnaissance de sa moyenne mensuelle de salaire à 17.018 euros, six mois de préjudice extrapatrimonial car il a été chassé du PSG, son épouse a démissionné pour le suivre, il a dû vendre sa maison, a été obligé de délocaliser sa famille qui a mal vécu le changement de vie et enfin un préavis de trois mois et 5.000 euros d'article 700."

LIRE AUSSI >> Indemnité de licenciement, de congés payés, de préavis: comment les calculer

Le président (à l'avocate du PSG): "Que répondez-vous ?"

L'avocate du PSG: "Il avait pour fonction de gérer les centres de formation et de préformation des jeunes joueurs, il avait aussi quelques fonctions techniques mais il ne pouvait plus tout faire. En 2013, on lui demande un programme de formation pour les plus jeunes, mais il nous répond qu'il n'a pas le temps. Il faut quelqu'un pour l'aider, on lui adjoint un directeur technique qui ne remplace à aucun moment le directeur du centre de formation. Monsieur Reuzeau a pris acte de la rupture, mais il n'y a pas de manquement suffisamment grave de la part de l'employeur à la poursuite du contrat de travail. D'ailleurs, l'arrivée du directeur technique ne l'a pas empêché de travailler. Il a organisé son départ à Monaco. Cette prise d'acte constitue une démission."

LIRE AUSSI >> Rupture conventionnelle, licenciement, démission... Quelles différences?

La conseillère: "Qui assurait le rôle d'entraîneur jusqu'en 2015?"

L'avocate du PSG: "D'autres entraîneurs, il n'entraînait pas les jeunes, il était directeur du centre de formation."

Le président: "Madame la conseillère, vous voulez une leçon de football? Je vous l'accorde. Monsieur Reuzeau, venez à la barre. Expliquez-nous comment vous avez travaillé au PSG."

Bertrand Reuzeau: "Je donnais la validation des programmes techniques de tous les jeunes selon leur catégorie d'âge puis ces programmes étaient mis en place. Je donnais des instructions, cela faisait 70% de mon travail. J'étais également entraîneur et formateur..."

14h30. Le président: "Nous vous remercions monsieur. Affaire suivante."

Verdict. Le conseil des prud'hommes fixe la rémunération de Bertrand Reuzeau à 17.018 euros. Le PSG est condamné à payer à Bertrand Reuzeau 51.050 d'indemnité compensatrice de préavis (3 mois en vertu de la convention collective) et 5.105 euros de congés payés afférents, 127.764 euros d'indemnité conventionnelle de licenciement, 102.000 euros de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (6 mois salaire) et 200 euros d'article 700.

Prise d'acte de la rupture du contrat de travail: ce que dit la loi

La prise d'acte de la rupture du contrat de travail est faite par le salarié qui souhaite en imputer la responsabilité à son employeur. L'employeur n'a en effet pas le droit d'imposer une modification de son contrat de travail au salarié.

LIRE AUSSI >> Prise d'acte: ce qu'il faut savoir

La modification doit cependant être "grave" et doit empêcher la poursuite du contrat de travail afin de justifier cette prise d'acte. Cette procédure permet au salarié de quitter l'entreprise, mais nécessite des suites au conseil des prud'hommes. Celui-ci devra trancher si cette prise d'acte entraîne une démission privative de sommes dues dans le cadre d'un licenciement et de l'impossibilité d'avoir des allocations chômage par Pôle emploi, ou un licenciement sans cause réelle et sérieuse avec le paiement des sommes dues et d'éventuels dommages et intérêts.

C'est la deuxième solution que le conseil des prud'hommes de Paris a retenu, estimant que la volonté par le PSG de modifier les fonctions de Bertrand Reuzeau et de le remplacer était avérée - décision confirmée matériellement par l'erreur de destination du mail de la DRH. La prise d'acte est jugé fondée lorsque le salarié est écarté de ses fonctions et responsabilités selon deux arrêts de la cour de cassation du 4 novembre 2015, n°13-14.411 et n°13-14.412.

Publicité