Décryptage

Les chiffres affolants des soins psy sans consentement

L’étude de la démographe Magali Coldefy publiée ce jeudi montre une augmentation constante des hospitalisations, mais aussi des traitements à domicile obligatoires, autorisés depuis 2011. Et pointe des disparités importantes en fonction des régions.
par Eric Favereau
publié le 15 février 2017 à 20h16

Ce sont près de 100 000 patients qui ont été hospitalisés en psychiatrie sans leur consentement l'an dernier en France. Le chiffre est énorme : 92 000 patients, exactement, enfermés contre leur gré, parfois quelques jours, d'autres fois plusieurs semaines. Soit 12 000 de plus qu'en 2012, comme le révèlent les dernières données sur «les soins sans consentement en psychiatrie» de la démographe Magali Coldefy, publiées ce jeudi dans la revue de l'Institut de recherche et de documentation en économie de la santé. Son travail est saisissant, l'évolution inquiétante. On assiste en effet à une hausse sensible entre 2012 et 2016, mais qui fait suite à une augmentation encore plus forte entre 2006 et 2011, atteignant presque les 50 %.

Au total, depuis dix ans, on peut parler d'un doublement de ces hospitalisations sans consentement. Et parallèlement, durant cette même période, on constate une multiplication des pratiques d'isolement et de contention (lire Libération du 28 mars 2016). Que se passe-t-il donc derrière les murs de nos établissements psychiatriques ? La question des liens entre la liberté et la santé mentale se pose de façon insistante.

Que dit la loi ?

D'abord, un rappel : la psychiatrie est une exception. On l'oublie, mais le consentement est la règle d'or du soin. On ne soigne que librement. C'est la condition indispensable à toute prise en charge thérapeutique. Néanmoins, la législation française prévoit, «en cas de troubles psychiatriques sévères affectant la conscience et le besoin de soins, le recours aux soins sans consentement afin de prévenir le préjudice pour le patient de l'absence de soins».

La législation française sur les soins sans consentement a par ailleurs été modifiée par la loi du 5 juillet 2011 (lire Libération du 30 mai 2011). Y sont réaffirmés les droits des personnes prises en charge dans ces conditions. Et la loi a introduit deux mesures phares : l'intervention du juge des libertés et de la détention dans le contrôle de l'administration des soins sans consentement ; celui-ci, dans les douze jours, doit donner son aval à cette décision. Autre mesure importante, la possibilité, non plus d'une hospitalisation, mais de soins ambulatoires obligatoires : la personne n'est plus internée, mais elle a l'obligation de suivre chez elle un programme de soins avec un suivi régulier à l'hôpital.

Qui sont les personnes visées ?

En 2015, plus de 1,7 million de personnes âgées de 16 ans ou plus ont été prises en charge dans les établissements de santé publics et privés de soins psychiatriques, dont 92 000 sans leur consentement, comme l'a calculé Magali Coldefy : «81 000 ont été hospitalisées au moins une fois à temps plein dans l'année, soit une augmentation de 11 % par rapport à 2012.» Autre donnée : «Alors qu'en 2012, 4,8 % des patients étaient suivis sans leur consentement, ils représentent 5,4 % des patients en 2015.»

Dans une étude précédente, réalisée cette fois-ci en Ile-de-France, Magali Coldefy avait également observé que «les hommes sont surreprésentés, avec 60 % des personnes prises en charge sans consentement, contre 47 % parmi l'ensemble des personnes suivies en psychiatrie».

Plus généralement, dans l'Hexagone, l'âge moyen de ces patients est de 43 ans, ils sont plus jeunes que les personnes traitées en psychiatrie générale, qui ont 47 ans en moyenne. «Les personnes ayant reçu un diagnostic de troubles schizophréniques ou psychotiques représentent près de la moitié des personnes prises en charge sans consentement […]. Les troubles bipolaires (11 %) et de la personnalité (8 %) sont également plus fréquents chez les personnes prises en charge sans leur consentement.» Ces chiffres recensés par la chercheuse confirment ainsi que «ce sont bien les personnes souffrant des troubles psychiatriques les plus sévères qui nécessitent plus fréquemment que les autres, à un moment de leur parcours de soins, une prise en charge non consentie».

Pourquoi une telle augmentation ?

Pour la démographe, au moins deux raisons expliquent cette hausse constante. D'abord, il y a «l'extension des modalités de prise en charge sans consentement aux soins ambulatoires et à temps partiel». On peut contraindre au traitement à domicile, et non plus seulement à l'hospitalisation. Ainsi, en 2015, près de 37 000 personnes ont eu des soins ambulatoires obligatoires, soit 40 % des personnes ayant reçu un traitement sans consentement.

L'autre facteur est l'apparition d'un nouveau mode de placement, avec l'admission en soins psychiatriques pour péril imminent (SPI) : le patient arrive aux urgences et le personnel, plutôt que de chercher un tiers pour éventuellement l'hospitaliser, va le rediriger directement en psychiatrie, sans son consentement. Pour ce faire, il suffit de deux certificats médicaux. Selon la démographe, la banalisation du recours aux SPI par les professionnels s'explique par le fait qu'il s'agit d'une procédure plus simple et moins lourde : «Initialement destinée aux personnes désocialisées ou isolées pour lesquelles il était difficile de recueillir la demande d'un tiers, cette mesure connaît une montée en charge qui dépasse la procédure d'exception.»

Quelle répartition territoriale ?

Au-delà de la question de la pertinence de l’hospitalisation sans consentement, le travail de Magali Coldefy pointe un fait important : les grandes variations en fonction des régions. On observe des taux qui varient dans un rapport de 1 à 10 selon les départements. Ceux présentant des ratios élevés en 2015 sont l’Yonne, le Vaucluse, le Val-de-Marne, les Hautes-Pyrénées, la Corrèze et la Haute-Saône. A l’inverse, certains départements présentent des taux très inférieurs à la moyenne française, comme la Haute-Marne, la Corse, les Hauts-de-Seine, la Saône-et-Loire, le Doubs, l’Eure-et-Loir, les Landes, l’Aude ou encore les Hautes-Alpes.

Plusieurs facteurs expliquent ces disparités. Certains tiennent à l'offre de soins. Ainsi, en Ile-de-France, la population parisienne est parfois prise en charge par des établissements situés en Seine-Saint-Denis, dans le Val-de-Marne ou l'Essonne. Reste que l'importance de ces disparités est surtout due aux caractéristiques socio-économiques des territoires concernés. «Dans une étude précédente, nous avions observé des taux plus élevés d'hospitalisations sans consentement dans les centres urbains, dans les zones marquées par une "fragmentation sociale" et une précarité plus importante. Enfin, il est vraisemblable que les pratiques soignantes, la culture médicale vont intervenir pour expliquer les disparités observées entre établissements, voire au sein même d'un établissement, entre secteurs de psychiatrie», analyse Magali Coldefy. Mais ces différences paraissent s'amplifier. Ce qui pose plus généralement des problèmes d'équité dans l'accès des citoyens aux soins. «En France, les patients sont soignés de manière très différente selon leur lieu d'habitation», conclut la démographe. Et ceci n'est pas propre à la psychiatrie.

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