Paris : Ionesco à l’affiche du théâtre de la Huchette... depuis 60 ans

 Rue de la Huchette (Ve) lundi. Franck Desmedt, le directeur (à gauche), et Gonzague Phelip l’administrateur (à droite).
Rue de la Huchette (Ve) lundi. Franck Desmedt, le directeur (à gauche), et Gonzague Phelip l’administrateur (à droite). LP/E.S.

    «Tiens, il est neuf heures…». Et justement, derrière la porte minuscule du 23, rue de la Huchette, à Paris (Ve), à cette heure-là ce jeudi soir, le couple Smith aura mangé de la soupe de poisson, avec des pommes de terre au lard et de la salade anglaise, pour la 18 491e fois. Tandis que la première phrase de la plus célèbre pièce d'Eugène Ionesco résonnera encore dans les têtes des 90 spectateurs quotidiens, il sera temps de lever le rideau sur «La poupée sanglante», une création donnée avec autant de succès dans ce théâtre de poche connu dans le monde entier.

    Sur son fronton, l'assemblage de lettres noires forme le même titre depuis le 16 février 1957 : «La Cantatrice Chauve», suivie par «La Leçon». Un record de longévité pour une pièce jouée ainsi dans le même théâtre, sans discontinuer ni lasser, depuis pile 60 ans. Et cela tous les jours, ou presque !

    La petite salle de 90 places est connue dans le monde entier

    LP/E.S.

    Alors ce jeudi soir, ce sera tapis rouge et grand gâteau en carton-pâte, devant le minuscule théâtre de la Huchette. Une soirée VIP à guichets fermés, pour une véritable institution et une Cantatrice qui n'a pas pris une ride ni perdu son public, et suscite toujours autant de débats : on aime ou on aime pas. On cherche des clés où l'on se délecte de l'apparente absurdité d'un texte qui a fait rire et soupirer des générations de collégiens.

    «Il y aura d'autres surprises toute cette année», promet Franck Desmedt, qui dirige la Huchette depuis 2 ans et ne renie pas son amour pour la pièce de Ionesco. «Au tout début, en 1957, elle n'avait pas vraiment pris, et ce n'est que lorsqu'y a été ajoutée La Leçon que cela a commencé à bien marché», raconte-t-il. Allez savoir pourquoi, depuis 6 décennies cela ne s'est pas arrêté. «D'autant que les spectacles sont toujours excellents, les comédiens toujours très très bons», insiste Franck Desmedt.

    «On vient voir cette pièce comme on visite la tour Eiffel… D'ailleurs on reçoit beaucoup de groupes, et pas seulement des groupes de scolaires, qui font 60 % de notre public. Les Américains viennent, et beaucoup de Japonais aussi». Avec la pièce de Ionesco, La Huchette vit une aventure de programmation «qui n'existe nulle part ailleurs, en créant une sorte d'art perpétuel alors que le théâtre est en principe éphémère, estime encore Franck Desmedt. En général, une pièce se joue une saison, parfois deux en cas de succès… mais 60 ans, c'est unique !»

    Plus de 18 000 représentations

    DR/Benjamin Meignan

    Passer la porte du 23, rue de la Huchette, c'est aussi changer d'humeur. C'est passer du quartier Saint-Michel touristique, grouillant et saturé de restaurants, à un cocon familier. «On est une famille !», confirme Gonzague Phélip, aujourd'hui administrateur, mais qui est passé par à peu près tous les métiers, dans cette bulle dont les bureaux sont installés en cave, sous la Seine.

    Incollable sur l'histoire et les anecdotes du lieu, il lui a même consacré un livre, «Le fabuleux roman du théâtre de la Huchette» (Gallimard), et en connaît chaque centimètre carré. «C'est le seul théâtre qui entretient un patrimoine», souligne-t-il. Classé, protégé, La Huchette ne changera jamais de vocation. Comme tous les monuments et salles de spectacles parisiens, le théâtre a vu son public fondre après les attentats. «Moins 20 %…. en 2015 on a souffert, reconnaît l'administrateur. Mais depuis octobre ça repart, en janvier on a même fait les meilleures recettes depuis 4 ans, et pas seulement pour Ionesco : depuis une dizaine d'années, l'équilibre est trouvé, le public vient aussi pour nos créations de 21 heures, qui font l'unanimité», se réjouissent à l'unisson Franck Desmedt et Gonzague Phélip.

    45 comédiens alternent toute l'année

    DR/Benjamin Meignan

    La Huchette en chiffres