Les médias grecs, victimes collatérales de la crise

Alors que la crise poursuit ses ravages en Grèce, les médias subissent les effets de la dégringolade économique. Première victime : l'historique groupe de presse DOL, dont les deux titres de référence, “Ta Nea” et “To Vima” ont disparu des kiosques.

Par Fabien Perrier (à Athènes)

Publié le 16 février 2017 à 16h46

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 03h46

«Nous n'avons même plus la trésorerie pour acheter le papier nécessaire à l'impression des journaux ». Le visage de Kostas Delezos s'assombrit : ce responsable syndical, représentant des journalistes du quotidien Ta Nea vient de sortir d'une assemblée générale agitée, empreinte d'angoisse et d'amertume. Personne ne sait comment réagir à la chute de l'empire DOL, auquel appartient ce titre historique de la presse grecque, mais tout le monde a compris que l'issue risquait d'être fatale. La fermeture du groupe ou de certains de ses titres signifierait la mise au chômage assurée pour au moins 500 salariés. Comme To Vima, l'hebdomadaire du groupe, Ta Nea est à bout de souffle financier. Un dernier tour de rotative a été donné le 8 février. Les journaux, désormais, ne sont plus présents en kiosque. Ils ne subsistent qu'en ligne, écrits par des journalistes auxquels les salaires n'ont pas été versés depuis plus de six mois. Pour la presse grecque, un monde s'achève, et un autre commence. Mais nul ne sait quelle en sera la romance.

Né dans les années 30, DOL était un fleuron des médias grecs. A la base, une famille fondatrice, les Lambrakis. Le père d'abord (Dimitrios),  le fils ensuite (Christos). DOL signifie d'ailleurs « Δημοσιογραφικ?ς Οργανισμ?ς Λαμπρ?κη », « organisme de presse Lambrakis ». Il s'est développé autour du titre To Vima puis de Ta Nea, est également implanté sur Internet avec un site d'actualité, in.gr, et possède des radios comme VimaFM, ou encore des parts dans la chaine de télévision MegaChannel... sans compter les sociétés de distribution de presse, maisons d'édition et régies publicitaires.

Peu avant sa mort, en 2009, Christos Lambrakis, qui n'avait pas d'enfants, cède l'essentiel de ses parts à Stavros Psycharis, son poulain. Celui-ci fait d'abord ses armes journalistiques comme reporter, puis grimpe les échelons dans le groupe jusqu'à devenir directeur du plus grand et plus populaire quotidien, Ta Nea, affichant une ligne de centre-gauche. « Autant Lambrakis était un être gentil, très cultivé, autant Psycharis était désagréable, voire insultant », se souvient Yannis Androulidakis. Journaliste, il a quitté la rédaction en 2012 après avoir mené une bataille syndicale contre la suppression de la convention collective et l'application de contrats individuels – un changement du droit du travail rendu possible en Grèce par les mémorandums qui, depuis 2010, sont signés avec les partenaires européens et le FMI qui et accordent au pays des prêts en échange de politiques d'austérité. Pour les salariés, ces contrats se sont alors soldés par une baisse de salaire de 20% et des pertes sociales importantes. Stavros Psycharis expliquait à l'époque que ces mesures permettraient d'éviter des pertes d'emploi, rappelle Yannis Androulidakis. Mais le patron savait en fait qu'il allait licencier : « Il me l'a dit lors d'un entretien auquel il m'avait convoqué après la publication d'un tract. » C'était à la fin de l'année 2011.

Déjà, le groupe allait mal. L'empire était « un des principaux symboles de la diaploki, c'est-à-dire l'interconnexion entre les intérêts médiatiques, économiques et politiques », explique Nikos Smyrnaios, chercheur à l'Université de Toulouse. Et ce dès la création du groupe. Journaliste spécialiste des médias, Christos Xanthakis précise : « le but premier de Lambrakis était d'avoir de l'influence ». Pour Yannis Androulidakis, « DOL était un faiseur de roi jusqu'au début des années 2000. Il était notamment un soutien de Simitis [Premier ministre de 1996 à 2004 appartenant au Pasok, le parti social-démocrate grec, NDLR] ». C'est notamment à cette période que remontent les racines de la crise actuelle grecque. Et aujourd'hui, les médias en sont, eux-aussi, victimes.

« DOL, comme nombre d'autres sociétés privées, connaît de sérieux problèmes économiques, principalement à cause de la crise, mais aussi à cause des emprunts très élevés qu'avait souscrits le groupe », explique Kostas Delezos. Aujourd'hui, les dettes de DOL atteignent 200 millions d'euros. Une part de ces prêts bancaires a été contractée dans les années 2000, sans présenter les garanties nécessaires, afin que Stavros Psycharis rachète des parts de DOL. « L'époque Psycharis avait une certaine superbe, ironise Kostas Delezos. L'homme avait des amis dans les banques qui lui versaient des emprunts sans assurance. Les banques ont installé Psycharis à la tête du groupe... sans respecter leurs propres règles ! » Avec la crise qui sévit en Grèce depuis 2010, les ventes des journaux et magazines ont chuté, les recettes publicitaires se sont effondrées. « Mais Psycharis a continué à contracter des dettes », explique Christos Xanthakis. Ancien directeur de la rédaction de Ta Nea, Dimitris Mitropoulos rappelle qu'« il existe actuellement des procédures judiciaires contre Psycharis. La banque Alpha lui a prêté de l'argent pour racheter une part du groupe. Il est mis en examen dans cette affaire, ainsi, d'ailleurs, que pour soupçon de fraude fiscale et suite à l'enquête sur la transparence menée par le Parlement. » A partir de juillet 2016, les problèmes ont été flagrants : les salaires n'ont plus été versés aux salariés. En décembre 2016, le groupe devait rembourser 99 millions d'euros. Il ne disposait pas de la somme dans ses caisses.

Ce groupe de médias historiques trouvera-t-il un repreneur ? « Lambrakis a besoin d'une recapitalisation de 25 millions d'euros » affirme Dimitris Mitropoulos. Mais si l'ex-directeur de la rédaction reconnaît qu'il y a une « chute catastrophique du chiffre d'affaires », il n'y voit pas la seule raison de la chute de l'empire. Pour lui, les médias sont attaqués par le gouvernement en place, dirigé par Alexis Tsipras, Premier ministre issu du parti de la gauche grecque Syriza. Cet avis, le chercheur Nikos Smyrnaios ne le partage pas : « le modèle de ces entreprises est faussé originellement car il dépendait de financements soit publics, soit bancaires non liés à l'activité journalistique ou éditoriale. » Avec son sens de la synthèse, Christos Xanthakis résume : « Là où Lambrakis voulait avoir de l'influence, Psycharis, lui, voulait gagner de l'argent. »

A l'évocation d'erreurs potentielles des rédactions, Dimitris Mitropoulos soupire : « Le problème, ce ne sont pas les journalistes. La nouvelle génération est vraiment très bonne. Ce sont les investisseurs. Ceux à venir sont pires que les précédents. »

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