Paris, sa banlieue, l’Afghanistan et le RER A

Elise Richard
6 min readFeb 16, 2017
Image : nbellemon

Nous sommes en janvier. Il fait froid. La météo annonce une chute importante des températures entre aujourd’hui et le milieu de la semaine à venir. C’est dimanche. La copine, son chouchou de 4 ans (à peine) (tout juste) et moi nous retrouvons sur le quai du RER A à Charles de Gaulle — Étoile. Chouchou a sorti sa plus belle doudoune pour l’occasion, sa mère a mis un chapeau pour protéger ses oreilles et moi je suis enroulée dans une écharpe de 2 mètres de long. On est prêt :

on part en banlieue.

Pile à l’heure pour choper le 14h35 nommé ZEUS en direction de Saint Germain-en-Laye (notre terminus), nous franchissons les portes du train et choisissons de monter à l’étage de ce duplex roulant. Juste à notre gauche 3 places faisant face à deux personnes et plusieurs dizaines de sacs de course. On se fraie un chemin non sans s’excuser. Le couple lui s’assure de ne pas faire déborder l’ensemble de son paquetage sur nos sièges en moquette au code couleur discutable. Chacun de son coté et les vaches sont bien gardées dans le respect urbain de ceux qui vont partager une proximité un brin trop proche pour des inconnus. Reste que, à nos pieds, s’étendent des denrées alimentaires diverses et variées, de quoi, nous l’apprendrons plus tard, nourrir une famille de 8 personnes pour quelques jours.

Chouchou, tout à ses 4 ans et dans l’indifférence générale de la réalité de notre situation (nous sommes à plus de 30 minutes d’arriver chez les copains où nous allons gouter) s’exclame ainsi :

J’ai faim !

La copine, peu avare en bonne blagues et traits d’esprits face à sa progéniture répond alors en souriant et dans un geste ironique à destination de tout ce qui est devant nous, à porté de main :

Bah, vas-y !

Nous rigolons de concert face à cette répartie pleine d’esprit (c’est dimanche, mois de janvier, il fait froid, on part en banlieue prendre le gouter… bon) quand, l’homme en face de nous ajoute son sourire à l’édifice de notre bonne humeur et répond

Mais oui, sers-toi !

Se tournant alors vers la femme à ses côtés il lui explique (j’imagine) la situation dans une langue qui nous est étrangère. Cette dernière, assise pile en face de Chouchou, s’enjoint alors à lui et nous montre des bananes, prêtes à être mangées.
La copine et moi-même répondons d’un non non c’est bon, merci beaucoup mais ça va aller à l’unissons. Chouchou lui ne dit rien et louche sur les bananes. La femme commence à en sortir une du sac où elle était sagement rangée.
Les figures adultes / d’autorité au près de l’enfant de 4 ans continuent d’insister, gênées : Non, non, vraiment. Sa mère d’ajouter à destination de son fiston : On va arriver chez les copains dans une demi heure et on va manger le gouter. Qu’est ce qu’on va dire à tatie si tu n’as plus faim en arrivant ? Non, non…

En quelques secondes la banane est épluchée. Chouchou est partagé entre l’autorité maternelle, la faim, l’attrait du fruit jaune et le regard bienveillant de la dame tenant vers lui l’objet de toutes les attentions. Il ne sait plus vraiment que faire. Rapidement cependant, alors qu’il tend la main vers la banane pour se l’approprier, se dessine sur ses lèvres le sourire que je lui connais bien : le sourire de l’enfant qui ne fait pas vraiment ce qu’il faut mais à qui, il le sait, on pardonnera bien volontiers.

Le « merci » timide murmuré et la banane disparue dans l’estomac de Chouchou, la glace est brisée. La femme ne parle pas français, son mari, lui, est arrivé d’Afghanistan il y a deux ans. Depuis quelques semaines, à peine, sa femme et leurs 6 enfants ont pu le rejoindre. À 8, ils vivent dans moins de 40 mètres carrés. La vie étant assez chère dans la banlieue huppée que distribue le RER où nous nous trouvons, régulièrement il vient donc à Paris chercher les bons plans et la débrouille pour nourrir sa famille à moindre frais.

Lui était traducteur pour la France là-bas. Pour l’armée en tous cas. Il est passé par Berlin, Londres, Paris et d’autres villes encore mais c’est la capitale française qu’il préfère. Il parle anglais, français et la langue locale de ses origines. Il cherche parfois ses mots mais son accent est impeccable. De temps à autre il se tourne vers sa femme pour traduire des bribes de notre conversation. Elle, doit tout apprendre. Leurs enfants aussi.
Il est heureux d’être ici, heureux d’avoir pu être accepté au sein de ce pays qu’il trouve si accueillant, heureux de contribuer comme il peut à l’intégration de sa famille en travaillant quelques heures par jour au McDonald de Passy… Les beaux quartiers, à quelques pas de la tour Eiffel, emblème ultime de cette capitale qu’il est si fier de partager avec sa femme et ses 6 enfants, y compris le dernier d’un an et demi qu’il n’a pas pu connaitre avant de les quitter 2 ans plus tôt.

Il faudra tout refaire, tout reconstruire. Les enfants les plus âgés devront s’adapter, apprendre la langue pour entrer au collège, au lycée. Pour les plus jeunes, on imagine, ce sera plus facile. En vérité on n’en sait rien. Nous trois, là, on allait juste manger la galette de rois à Saint Germain-en-Laye. Bien-sûr c’est Chouchou qui aura la fève. Il triche toujours un peu avec ce même sourire que je lui connais bien.

Nous trois, là, les plus grandes surtout, ça faisait plusieurs mois qu’on ne nous avait pas parlé de l’Afghanistan dans nos media. Il m’a fallut quelques secondes, en entendant ce monsieur m’expliquer être « traducteur pour l’armée française », quelques secondes pour me souvenir que c’est en 2014 (deux ans donc… ces fameux deux ans) que « nous », la France, nous sommes retirés de ce conflit qui me semble si loin.

C’est son statut de traducteur qui lui a permis de reconstruire sa vie ici. Sans le dire, peut-être parce qu’on ne dit pas les évidences, on comprend entre les lignes que rester, c’était trop dangereux, c’était risquer sa vie. On comprend dans les sourires et les regards échangés le soulagement d’avoir pu réunir sa famille. On comprend dans les intonations que vivre à 8 dans moins de 40 mètres carrés, c’est bien le dernier des problèmes et ça n’empêchera surtout jamais de partager une banane avec un chouchou de 4 ans (tout juste) (à peine).

Arrivés à destination, nous avons portés avec eux, pour quelques mètres, ces kilos de denrées alimentaires prêtes à nourrir tout ce petit monde.

Certes une banane manquait à l’appel.

Chouchou se souviendra peut-être, ou pas, qu’une gentille dame lui a épluché et donné une banane. Parce que la vie est ainsi faite et que c’est tant mieux comme ça, la générosité de ce couple et la bienveillance de leur sourire n’ont eu pour lui, rien d’anormale.
La copine et moi on se souviendra sûrement encore pour quelques mois de cette générosité face à un enfant qui leur rappelait l’un des leurs. Parce que la vie est ainsi faite, et c’est bien dommage car ça n’a rien à voir, elle tranchait rudement avec notre insouciance de parisiennes, comme un miroir de soucis qu’on espère ne jamais connaitre.

La copine et moi on se souviendra sûrement de cet homme qui nous disait sa joie de vivre dans ce pays qui l’a si bien accueilli. Pour service rendu ça nous semblait finalement une évidence.

En vérité, il est loin d’être la norme. 60% de refus t’expliquera la vidéo ci-dessous.
Et ça, tu vois, je ne l’aurais pas su sans cette rencontre du RER A.

xxx

Originellement publié sur mon blog www.somethingtodowithstars.com.

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Elise Richard

Écriveuse de bonnes aventures en quête du juste mot, tempo, support et format.