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Twitter, nouvel ami des sans-abri

C’est l’heure de la débrouille connectée. SDF à Paris, Christian et Hervé cumulent sur le réseau social des milliers de followers leur apportant soutien, travail et chaleur humaine.

Thomas Liabot , Mis à jour le
Christian, mardi, sur les quais du canal Saint-Martin à Paris.
Christian, mardi, sur les quais du canal Saint-Martin à Paris. © Jérôme Mars pour le JDD

 

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Christian, mardi, sur les quais du canal Saint-Martin à Paris. (Jérôme Mars pour le JDD)

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Ce n'est pas la pluie qui les a réveillés ce matin-là, comme tant d'autres fois, mais le jet d'eau d'un agent de la mairie de Paris. Christian et Hervé, deux quadragénaires, ont passé la nuit abrités dans l'entrée de l'Espace Jemmapes, le long du canal Saint-Martin, et, ce 7 décembre à l'aube, les cartons sur lesquels ils ont dormi et leurs duvets sont trempés. Le thermomètre flirte avec 0 °C. "Hervé était hors de lui, j'ai eu le réflexe de prendre une photo et de la partager sur Twitter", explique Christian. "Toutes mes couvertures sont mortes grâce au jet d'eau d'un gars de la Ville de Paris… voilà comment on traite les #SDF", écrit-il peu après 8 heures. Son message est partagé plus de 400 fois sur le réseau, suffisant pour que la solidarité s'organise. Dans la journée, Matthieu enfourche sa moto et apporte à Christian un duvet et une couverture. "Je voulais les donner depuis quelque temps déjà et cette opportunité m'a paru évidente, raconte ce vidéaste de 40 ans. La plupart de nos contacts sur les réseaux sociaux sont virtuels", regrette-t-il, s'estimant heureux d'avoir pu agir cette fois-ci de façon "immédiate" et "humaine". La mobilisation a aussi eu le mérite de faire réagir la municipalité. "C'est rapidement remonté à la hiérarchie", confie-t-on à la mairie de Paris, tout en évoquant un geste "involontaire" de l'agent de propreté. Des excuses ont été présentées et des duvets neufs distribués.

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"Une dame m'a apporté un carton avec 25 tee-shirts"

Inscrit sur Twitter en avril, @Pagechris75 – son nom d'utilisateur sur le réseau – ne tweetait que très rarement jusqu'à fin novembre. C'est son ami Hervé, @croisepattes pour les intimes, qui l'y a poussé. "J'ai fait une connerie, sourit-il aujourd'hui. Maintenant, il est toujours sur son téléphone et ne répond même plus à mes SMS. Alors je lui écris sur Twitter." Équipés de smartphones donnés par des amis, les deux hommes s'acquittent tous les mois d'un forfait de base à moins de 10 euros. Mais la rue a souvent raison de leur portable. L'an dernier, Christian a dû changer six fois de téléphone avec ses maigres revenus. Hervé a plus de chance, le sien le suit depuis plus d'un an, malgré quelques réparations. "Twitter, ça ne coûte rien, si ce n'est un peu de batterie, mais ça peut rapporter beaucoup, raconte Christian. Les utilisateurs me proposent souvent des fringues, de la nourriture. L'autre fois, une dame m'a apporté un carton avec au moins 25 tee-shirts. J'en ai pris un et j'ai refilé le reste à Emmaüs." Cette semaine, un de ses quelque 9.100 abonnés l'a reconnu dans une rue du 10e arrondissement de Paris, où il vit le plus souvent. "Il m'a demandé si j'avais mangé et m'a donné deux tickets restaurant", raconte-t-il après avoir tweeté l'anecdote, photo à l'appui. Le genre d'histoire dont raffolent ses abonnés, qui se multiplient ces dernières semaines.

Christian touche le RSA, mais ce n'est pas le cas d'Hervé, qui se démène pour trouver des petits boulots. Depuis plus de vingt ans, cet enfant de la DDASS qui "fume depuis [ses] 9 ans" connaît la rue et ses galères. Il peut pourtant se targuer d'une solide expérience dans la restauration, le bâtiment et le graphisme. Sa marque de fabrique sur Twitter : un bonjour personnalisé en fonction de l'actualité et quelques piques en direction des politiques. C'est aussi là qu'il reçoit des propositions pour du travail. "Je préfère ça que faire la manche, je suis utile et je coûte moins cher qu'un pro. Si j'arrive à travailler trois jours dans la semaine, c'est déjà pas mal", commente le gaillard, plus de 5.000 abonnés au compteur. Il y a deux mois, il a rencontré sur le réseau un homme qui l'appelle régulièrement pour des petits boulots : peinture, rénovation, bricolage. Mais pas seulement. "Un soir pendant les fêtes, il se promenait sous les décorations de Noël, il faisait très froid. Il a pensé à moi et m'a appelé pour prendre de mes nouvelles."

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Cette proximité, c'est exactement ce que recherche son compère Christian, qui a renoué le lien avec une partie de sa famille grâce à Internet, même si "c'est compliqué de dire "salut maman, je suis toujours à la rue"". Ancien sommelier, ce Suisse de 44 ans a quitté son pays en 1994. Sans-abri depuis 2015, conséquence d'un divorce et d'une dépression, il a rapidement compris que ses tweets pouvaient faciliter la vie des SDF. "Mi- décembre, mon pote Saïd avait les chaussures complètement ouvertes. J'ai demandé sur Twitter une paire de 42 pour lui venir en aide. Vingt-quatre heures après, c'était réglé", se félicite-t-il.

"J'ai pu parler en face à face à Mélenchon et Cosse"

Fin janvier, c'est l'association Autremonde qui demande de l'aide. L'accueil de jour du 20e arrondissement, qui voit défiler des centaines de personnes en situation précaire, manque de tasses pour distribuer ses boissons chaudes. Christian relaie le message à plusieurs reprises. "Je ne sais pas s'il faut y voir une corrélation, mais nous avons reçu une cinquantaine de mugs", assure Samira El Alaoui, déléguée générale de l'association. "Il a fallu demander aux gens d'arrêter." Hervé résume en une formule : "Quand tu as envie de planter un clou, tu utilises un marteau. Notre marteau, c'est Twitter."

Le réseau social ouvre aussi des portes. Christian a reçu une accréditation de presse pour la présentation du rapport annuel de la Fondation Abbé Pierre, fin janvier. "J'ai pu parler en face à face à Mélenchon et Cosse", raconte-t-il. Il se trouve que la ministre du Logement est une des cibles favorites du duo. "On a annoncé l'ouverture de 134.000 places d'hébergement en 2016, or il y a 143.000 personnes sans domicile. Je lui ai demandé si elle avait un problème avec les maths", poursuit-il dans un grand sourire. Il a tweeté une vidéo accélérée et sans son de la réponse de l'ancienne secrétaire nationale d'EELV, sa manière de dénoncer le "vide" du discours politique. "Les SDF sont des personnes à part entière, il ne faut pas traiter le problème collectivement mais personnellement", estime Hervé. Christian embraie : "L'avenir, ce ne sont pas les grandes associations mais les particuliers, les commerçants." Les mêmes chez qui ils rechargent leurs téléphones tous les jours.

Cette année, Hervé veut trouver un local ou un atelier dans lequel il pourrait s'installer, entreposer des outils et travailler. Christian serait aussi de l'aventure. Sur Twitter, le premier a jeté une bouteille à la mer en espérant qu'un bon samaritain la ramasse et les aide. Ses tweets ont été partagés plusieurs centaines de fois, sans succès pour l'heure. "On pourrait même rénover des locaux. On serait trois avec des activités différentes, on se compléterait, imagine-t-il. Ça ferait surtout trois personnes de moins à la rue." 

Source: JDD papier

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