Un prêtre du diocèse de Bayonne, soupçonné de faits de pédophilie, a été mis en examen le 7 juin

"Sans les délais de prescription, ce ne sont pas sept, mais 70 plaignants qui feraient face au père Preynat dans ce procès" estime François Devaux, président d'une association d'aide aux victimes (Photo d'illustration)

afp.com/OLIVIER MORIN

Dans Eglise, la mécanique du silence, à paraître ce mercredi, Daphné Gastaldi, Mathieu Périsse et Mathieu Martinière, racontent comment les membres du clergé ont soigneusement passé sous silence les affaires de pédophilie au sein de l'Eglise. Parmi les prêtres concernés, Bernard Preynat, du diocèse de Lyon. François Devaux est l'une de ses victimes. Il se bat aujourd'hui pour une tolérance zéro et dénonce la responsabilité des autorités religieuses.

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Je suis l'une des victimes du père Bernard Preynat. C'était en 1991, j'avais 11 ans. Le père Preynat dirigeait le groupe de scouts de Saint-Luc, près de Lyon. À l'époque, je ne me suis pas senti victime. Je n'avais aucune conscience de ce qu'était le désir, la sexualité. Je ne réalisais pas la gravité de ses actes. Au contraire, j'éprouvais une forme de fierté de retenir l'attention d'un homme reconnu par tout un quartier. Moi, l'enfant difficile, le turbulent, la forte tête qui galérait à l'école, j'étais le protégé d'un homme respecté et estimé au sein de cette communauté bourgeoise de l'agglomération lyonnaise.

C'est en m'entendant "me vanter" auprès de mon frère aîné de cette relation privilégiée que mes parents ont compris. Les baisers sur la bouche, la main qui monte sur ma fesses, les enlacements... Ce qui m'apparaissait alors comme un attachement innocent a immédiatement alerté mes parents.

Dix mois de combat

Ils ont tout de suite entamé une démarche auprès du supérieur de Preynat, puis auprès du diocèse de Lyon pour faire congédier le père Preynat. Nous sommes en mai 1991. En février 1992, Preynat est toujours là.

Alors qu'il s'apprêtait à partir en voyage d'hiver avec une partie des enfants scouts, ma mère a envoyé un courrier recommandé -à lire sur le site de La Parole libérée- à l'archevêque de Lyon, le cardinal Decourtray, lui annonçant que si aucune mesure n'était prise, mes parents se résoudraient à porter l'affaire en justice. Les efforts de mes parents ont fini par payer. Preynat a enfin été écarté du contact d'enfants après 10 mois de combat et "recasé" aux petites soeurs des pauvres.

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Les fidèles l'ont soutenu. À l'époque seulement une ou deux autres victimes se sont manifestées et mes parents ont subis les foudres de nombreux paroissiens et une très forte pression sociale. Moi, j'étais dans ma bulle d'insouciance que mes parents ont préservé avec un vrai sens de la protection parentale.

Nous avons constaté le départ du prêtre. Le Cardinal Decourtray avait tenu ses promesses. L'affaire réglée, j'ai donc pu reprendre le cours de ma vie tranquillement. Je n'ai pas la sensation d'avoir autant été impacté que d'autres victimes, sans doute grâce à l'écoute, la confiance et la détermination de mes parents. Beaucoup d'autres enfants non pas eu cette chance. De nombreux parents ont privilégié leur religion à l'écoute des souffrances de leur enfant.

Faire éclater la vérité

Tout a resurgi en octobre 2015, lorsque j'ai été contacté par un enquêteur qui suivait le père Preynat pour d'autres faits d'agressions sexuelles sur mineurs. C'est là que j'ai découvert qu'il n'était pas, comme je le supposais, reclus dans une bibliothèque ou décédé, mais responsable de six paroisses autour de Roannes. Il officiait alors à nouveau auprès d'enfants, en contact quotidien avec eux. Face à l'irresponsabilité des institutions religieuses, je suis tombé des nues.

Pendant ces 25 années écoulées, je m'étais marié et avais eu trois filles. Savoir qu'elles étaient à moins de 30 kilomètres de cet homme, exposées à ce danger, comme des milliers d'autres enfants, est devenu le puits sans fond d'une détermination absolue à vaincre ce mal sociétal. C'est à ce moment-là que j'ai décidé d'entamer mon combat public qui me semble être un devoir citoyen, ma responsabilité d'homme, de mari, de père, d'oncle... Avec Alexandre et Bertrand, deux autres victimes de Preynat, nous avons formé l'association La parole libérée pour faire éclater la vérité.

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Notre but: mettre les responsables face à leurs fautes, non pas en vue d'une condamnation, mais plutôt en vue d'une prise de conscience, afin que jamais plus cette irresponsabilité ne soit tolérée. Le cardinal Barbarin, archevêque de Lyon et primat des Gaules, n'a cessé de noyer le poisson, mais il savait, probablement comme tout les cardinaux qui l'ont précédés. Le diocèse savait. Et personne n'a bougé. Il aura fallu une incroyable pression pour faire évoluer les choses, et pour autant, aujourd'hui ceux qui n'ont pas dénoncé sont toujours en poste, sans que cela pose problème.

La tolérance zéro doit être appliquée

J'ai revu le père Preynat lors de ma confrontation judiciaire. Il m'est apparu comme un pauvre homme. Je ne veux ni ses excuses, ni lui donner mon pardon car je le considère comme atteint pathologiquement. Par contre, le silence inhérent à ces affaires de pédophilie me révulse.

Je ne pardonne pas l'impardonnable, je n'explique pas l'inexplicable, je ne m'arrange pas avec l'inarrangeable. C'est ce genre de comportement qui participe à la pérennisation de ce fléau. Il faut cesser d'essayer de comprendre. Il n'y a rien à comprendre. La pédophilie est un crime. La tolérance zéro doit être appliquée. Le pape doit prendre ses responsabilités en demandant des procès canoniques et en relevant les évêques et les archevêques qui ont fauté de responsabilités qu'ils ne peuvent plus assumer.

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Une préface dans un livre ne suffit pas, surtout quand le prêtre en question n'a pas été défroqué. Tous les pays où l'Eglise est implantée sont touchés. Trop de flous restent sous silence: George Pell, le Cardinal Law, Monseigneur Di Falco... L'Église ferme les yeux de peur de ternir son image de marque, mais ces évêques, cardinaux, prêtres que tant de fidèles adulent ne sont que des hommes. Ils doivent être jugés comme tels.

Nous sommes dans un état laïc où la loi républicaine prime sur la loi canonique. Ces criminels doivent répondre de leurs actes. C'est une simple question de justice, de bon sens, de morale, et d'amour de son prochain.

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