Le cri d'alarme du patron de la FNSEA : «20 000 fermes sont menacées de disparition»

AGRICULTURE. Xavier Beulin, le patron du premier syndicat agricole, la FNSEA, nous livre ses pistes pour sortir l'agriculture française de la crise.

    « Calamités climatiques, contre-performances économiques, drames humains... les campagnes françaises sont éprouvées comme jamais. » A quelques jours de l'ouverture du Salon de l'agriculture (du 25 février au 5 mars, porte de Versailles, Paris XIVe), Xavier Beulin, le patron de la principale organisation de syndicats agricoles, la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles, tire le signal d'alarme dans un livre au titre évocateur* sur l'état de santé du secteur. Rencontre avec celui qui, à 58 ans, dirige aussi Avril, premier groupe agroalimentaire français (6,5 Mds€ de chiffre d'affaires avec les marques Matines, Lesieur, l'alimentation animale Sanders, etc.).

    Quel est le principal danger qui menace notre agriculture ?

    XAVIER BEULIN. La concurrence de nos voisins européens. Aujourd'hui, on importe de l'Union européenne 40 % des poulets consommés en France, et une tomate sur trois. Et toutes les productions sont concernées. Conséquence, sur 400 000 exploitations, 20 000 fermes sont menacées de disparition. Là où il y a des charges de main-d'oeuvre importantes, nous sommes hors jeu, notamment face à l'Allemagne qui travaille beaucoup avec des salariés détachés. La France a aussi surtransposé des normes européennes, creusant encore notre écart de compétitivité.

    Les Français sont, à vous entendre, les grands perdants de l'Europe agricole...

    Dans l'Europe à 28, la règle c'est le marché. Quand vous répondez à un appel d'offres de la grande distribution, le critère, c'est le prix. Or, nous sommes en concurrence frontale avec des pays qui ont fait des choix lourds de modernisation, de robotisation, etc. Prenez le cas du porc : en 2000, la France, l'Allemagne et l'Espagne produisaient 25 millions de porcs chacun ; quinze ans plus tard, la France est à 22, l'Allemagne à 40 et l'Espagne à 46. On nous dit : « Faites du bio ! » Mais le bio, c'est 20 % de notre production. Que fait-on des 80 % de paysans qui font de l'agriculture conventionnelle et ont un rapport qualité/prix très défavorable ?

    Vous évoquez dans un votre livre un péril chinois. De quoi s'agit-il ?

    Les investisseurs chinois veulent acheter 20 000 ha de terres en France. Ils ont commencé. Ils possèdent déjà 100 domaines viticoles et ont acheté 1 500 ha dans l'Indre pour exporter notamment le blé cultivé sur place. Pour éviter cela, les exploitations doivent être gérées par des agriculteurs dotés d'un véritable statut auxquels serait réservé 50 % du capital. Cela devrait suffire à refroidir plus d'un investisseur.

    Les candidats à la présidentielle vont tous passer au Salon de l'agriculture. Exceptés Pompidou et Giscard, peu de politiques trouvent grâce à vos yeux. Même pas Chirac !

    Oui, certains de mes amis m'ont dit : « Tu es dur avec Chirac. » Il avait une aura à Bruxelles mais pas de vision agricole à long terme. On a perdu ça en France. Ne restons pas figés sur le nombre de paysans. Avec l'amont et l'aval, l'agriculture fait vivre 3,2 millions de salariés.

    Vous saluez cependant l'action de Montebourg et de Macron à Bercy...

    Montebourg avait amorcé un diagnostic par filières. Macron s'est inscrit dans la même lignée mais, derrière, le ministre de l'Agriculture, Stéphane Le Foll, n'a rien fait. Globalement, le bilan de ce quinquennat n'aura pas été positif pour l'agriculture.

    Y a-t-il une tentation du FN dans les campagnes ?

    Je ne peux pas le nier. Aux dernières élections, le vote rural — qui n'est pas qu'un vote paysan — s'est largement porté sur le Front national. Pour nous, c'est clair, le discours du FN sur l'Europe est intenable. On ne se trompe pas de combat : l'Europe a beaucoup apporté à l'agriculture française depuis quarante ans. Par contre, il nous faut une Europe plus protectrice pour les consommateurs et les agriculteurs. Le tout-marché a des limites. Il faut revenir, non pas aux quotas, mais à des limitations pays par pays pour des productions comme le lait ou le porc.

    Que proposez-vous pour sortir l'agriculture française de l'ornière ?

    Nous avons fait 13 propositions concrètes à mettre en oeuvre dans les 200 premiers jours du prochain quinquennat. Elles portent sur le soutien à un plan d'investissements de 6 Mds€ sur cinq ans, la mise en place d'une TVA sociale ou encore d'une réforme de la fiscalité, avec un exercice fiscal glissant sur trois ans pour résister en cas de coup dur.

    Etes-vous favorable à des projets du type ferme des Mille Vaches ou des Mille Veaux ?

    Je suis favorable à ce que des agriculteurs puissent se regrouper pour investir ensemble. La ferme des Mille Veaux dans la Creuse, ce sont 40 éleveurs réunis pour construire une étable moderne tout en bois, couverte de panneaux solaires et équipée d'un méthaniseur pour traiter les effluents en bout de chaîne. Cette co-opération ne doit pas être confondue avec un projet purement capitalistique de ferme géante dans la Somme.

    Vous évoquez dans votre livre l'agriculture en ville. C'est une vraie piste d'avenir ?

    Avec la multiplication des jardins partagés et des serres urbaines, on va de plus en plus produire des fruits et légumes en ville. On peut même imaginer, demain, des immeubles autonomes, fonctionnant sur le principe de l'économie circulaire et dans lesquels deux étages seraient réservés à la production agricole. Il faut que nous restions très ouverts sur ces nouveaux sujets.

    * « Notre agriculture en est danger », de Xavier Beulin et Yannick Le Bourdonnec, Ed. Tallandier, 220 pages. 17,90 €.

    L'après-OGM