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CENTENAIRE 14-18

Grande Guerre : le sort controversé des prisonniers allemands au Maroc

envoyée spéciale à Casablanca – À des centaines de kilomètres des champs de bataille européens, le cimetière militaire de Casablanca, au Maroc, a gardé une trace étonnante de la Première Guerre mondiale. Une centaine de prisonniers allemands y ont été enterrés.

Le carré allemand dans le cimetière militaire de Casablanca
Le carré allemand dans le cimetière militaire de Casablanca Stéphanie Trouillard, France 24
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À l’est du centre-ville de Casablanca, le cimetière de Ben M’Sick offre aux visiteurs un panorama impressionnant. À perte de vue, ce sont des milliers de tombes de familles juives ou chrétiennes qui s’étendent sur plus d’un kilomètre. Ce lieu regroupe aussi un carré militaire français, le plus important du Maroc avec 12 384 sépultures. Sur des croix ou des stèles blanches, on peut lire les noms de marins morts au combat lors de la Seconde Guerre mondiale ou encore de tirailleurs sénégalais et de soldats maghrébins tués lors de la période dite de "pacification" lors du protectorat français (1912-1956).

Un peu plus à l’écart, dans le fond du cimetière, d’autres croix aux couleurs plus sombres, impeccablement alignées, attirent l’œil. Gustav, Wilhelm, Kurt, Hermann, Hans, Karl, Franz. À quelques mètres des tombes françaises, tous les prénoms sont germaniques. Il s’agit du carré militaire allemand, qui contient les corps de 120 soldats morts en captivité lors de la Première Guerre mondiale. Que faisaient-ils au Maroc, à des centaines de kilomètres du front européen ?

Le carré allemand dans le cimetière militaire de Casablanca

Une main d’œuvre allemande

Ces Allemands ont été envoyés en Afrique du Nord à la demande du général Lyautey, alors résident général de France au Maroc. Au début du conflit, le futur maréchal réclame un contingent de prisonniers pour remplacer la main-d'œuvre française absorbée par les besoins de l'armée. Sa demande est acceptée et les premiers soldats allemands prisonniers débarquent en février 1915. Au total, près de 5 500 hommes sont répartis dans une vingtaine de camp dans le pays au cours de la Grande Guerre. "Ils étaient principalement utilisés pour des travaux de construction ou de réfection des routes", décrit l’historien allemand Markus Pöhlmann de l’Université de Postdam. Des cartes postales de l’époque montrent ces prisonniers travaillant également dans des mines, creusant des tranchées ou portant des pierres au milieu des ruines du site archéologique de Volubilis, près de Meknès.

Mais ces travaux manuels ne sont pas vraiment du goût des autorités allemandes, qui se plaignent de ce traitement. "Elles ont émis des critiques pour deux raisons. Tout d’abord, selon la convention de La Haye, les pays belligérants devaient garder les prisonniers sur leur sol. Or le Maroc, qui était un protectorat, n’était pas considéré comme un territoire français. Deuxièmement, les autorités allemandes considéraient que les conditions de vie en Afrique du Nord étaient particulièrement difficiles pour les prisonniers européens".

Les prisonniers allemands au Maroc dans les archives de la Croix-Rouge

"Sans pitié contraints au travail"

Rapidement, une campagne virulente est ainsi lancée dans la presse outre-Rhin. En juin 1915, plusieurs journaux, dont le Frankfurter Zeitung, se déchaînent sur le sort de ces captifs et parlent "d’une honte pour la nation française" : "Avec l’été qui s’avance, la température s’y élève le jour à 50 et même 60°. Nos braves soldats dépourvus de casques coloniaux sont obligés d’exécuter sous cette chaleur ardente les travaux les plus pénibles. (…) Les Français ont interné en Afrique même des malades et des blessés qu’ils ont sans pitié contraints au travail".

Pour tenter de désamorcer la crise, une délégation neutre du comité international de la Croix-Rouge est envoyée pour inspecter les camps. Selon l’ouvrage "Les prisonniers allemands au Maroc" publié en 1917 en France pour répondre à "la campagne de diffamation allemande", son rapport est plutôt favorable : "Le traitement des prisonniers de guerre au Maroc doit être considéré comme tout à fait satisfaisant, et les craintes qu’on a pu avoir ne nous paraissent pas justifiés, après examen fait sur place". Un médecin de la Croix-Rouge constate d’ailleurs que le nombre de décès est faible : "Au total, 105 prisonniers sont morts au Maroc, dont 100 de maladies et d’accidents, et cinq lors d’une tentative d’évasion".

Des lettres de soldats allemands adressées à leur famille et publiées à bon escient par les autorités françaises étayent cette thèse. "En Afrique, je me plaisais mieux qu'en France. Je supportais mieux la chaleur que le froid humide d'ici", raconte l'un d'entre eux envoyé à Lorient, en Bretagne, après son passage au Maghreb. "Moi personnellement, j'aimerais mieux être au Maroc qu'ici. On pouvait encore acheter des œufs ou des omelettes, toutes choses qui font défaut ici, parce qu'ici c'est si cher", décrit aussi l'un de ses camarades, qui après avoir été captif en Afrique, s'est retrouvé dans un camp de prisonnier à Roanne, dans la Loire.

Une cérémonie commune

Mais malgré les conclusions rassurantes de la Croix-Rouge, la polémique ne faiblit pas. En représailles, les autorités allemandes décident même d’envoyer plusieurs milliers de prisonniers français dans des régions marécageuses et isolées de l'Empire. Ce chantage finit par faire plier l’armée française, qui rapatrie en Europe les captifs allemands au cours de l’année 1916.

De leur passage au Maroc, il ne reste plus que ce carré militaire dans le cimetière de Ben M’Sick. Cent ans après, très peu de recherches ont été effectués sur leur séjour. Un manque d’intérêt que regrette l’historien Markus Pöhlmann : "Il y a encore beaucoup à faire sur ce sujet en Allemagne. Cela montre que nous continuons de voir la Grande Guerre comme un conflit européen et que nous sous-estimons sa dimension mondiale". Le souvenir de ces prisonniers est pourtant toujours entretenu. Chaque année, le 11 novembre, jour de l’armistice, Français et Allemands se rassemblent ensemble au cimetière de Ben M’Sick pour une cérémonie commune.

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