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Billet de blog 22 février 2017

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Quand Francois Fillon voulait privatiser les courses

Ayant succédé à Joël Le Theule comme député de la Sarthe et également Maire et Président de la société de courses locale, François Fillon acceptait un moment d’assurer là aussi la continuité. D’autant plus que la région compte beaucoup d’électeurs, propriétaires, entraîneurs, éleveurs ou simples turfistes.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Ayant succédé à Joël Le Theule comme député de la Sarthe et également Maire et Président de la société de courses locale, François Fillon acceptait un moment d’assurer là aussi la continuité. D’autant plus que la région compte beaucoup d’électeurs, propriétaires, entraîneurs, éleveurs ou simples turfistes. Une clientèle qui n’est pas négligeable pour un « politique ». Par la suite, alors Premier Ministre, il était sollicité par son ami Daniel Augereau pour que lui soit confié une mission dont il fixait les lignes directrices.

La Tribune hippique publiait en exclusivité en juin 2012, les objectifs du rapport :

-Les adaptations nécessaires de l'institution au regard des statuts actuels, et notamment la pertinence du statut associatif des sociétés de courses

-L’impact du développement des paris hippiques sur l'organisation des courses et le fonctionnement des sociétés. Une loi datant d'un an, à l'époque, a en effet autorisé ce type de paris.

Lorsque cette initiative était annoncée, beaucoup de connaisseurs du milieu avaient « fait la moue » se montrant réservés sur la personnalité du missionné qui, précédemment n'était jamais apparu comme un réformateur, ayant même en 1983 manifesté une certaine réticence, sinon de l'opposition, au décret Rocard qui a démocratisé l'institution : notamment en ouvrant les comités aux socio-professionnels et en donnant part égale dans tous les domaines au trot par rapport au galop jusqu'alors prédominant.

Ces réserves étaient considérées par Daniel AUGEREAU comme injustes ou partisanes, pourtant nul ne devait ignorer que l'initiative du Chef du gouvernement était motivée, en partie au moins, par le désir de faire plaisir à un homme politique de sa terre d’élection et une négociation d'un siège au Conseil Régional du Grand Ouest.

Parallèlement, un quarteron de dirigeants de sociétés de province s’estimant « mal servis » par le pouvoir hippique central espérait obtenir des retombées des conclusions du rapport.

Le rapporteur ne semblait nullement ému par des objections et oppositions y compris celles des Présidents et Comités de direction de France Galop, du Cheval Français et du PMU. Seul, le soutenait Édouard de ROTHSCHILD à titre personnel.

En avant et en arrière

Daniel AUGEREAU a toujours cherché à jouer, la plupart du temps sans succès, un rôle politique à droite, candidat à la Députation, à la mairie de Nantes et plus largement dans les pays de Loire. Mais il est également très impliqué dans le milieu sportif, à la tête de Synergie, une société d’interim florissante, il sponsorise les courses hippiques et l’équipe du FC Nantes.

Pourtant, la conclusion mais surtout la concrétisation des propositions qu’il avait émises allaient être classées sans suite en raison de l’opposition qu’elles suscitaient, taxées de l’ébauche sinon l’officialisation statutaire d’une sorte de privatisation que repoussaient vivement les dirigeants du trot, très attachés au bénévolat et au principe de la loi de 1901. Paradoxalement, François FILLON lui-même imposait cette marche arrière.

De gauche à droite

Il n’est pas impossible que ce débat d’idées rebondisse après les présidentielles et les législatives. Toutefois, la question la plus importante pour les ressortissants et les dirigeants hippiques reste de sortir d’une spirale de régression des recettes. Après avoir flirté sans grand résultat avec la gauche ou dite telle au pouvoir, les dirigeants de la filière espèrent trouver des solutions et un appui de l’exécutif à venir. Principalement chez les Républicains. Ils arguent de rapports privilégiés notamment avec les maires très hippiques : Eric WOERTH à Chantilly, Jacques MYARD à Maisons-Laffitte et Gérard LARCHER dans l’Essonne. Ce dernier aurait déjà fait des promesses précises à « ses amis des courses ». Ils en auront bien besoin sinon pour une éventuelle diminution du taux de TVA qui toutefois dépend davantage de l’Europe que du gouvernement français. Mais ils devront eux-mêmes trouver des solutions pour sortir d’une situation financière inquiétante due en grande partie à une régression du chiffre d’affaires du PMU : dans l’exercice précédent, en dessous de 10 milliards alors que la Française des Jeux avoisine 15 milliards. Il est reproché aux dirigeants de l’organisme collecteur de paris et à ses mandants de vivre au-dessus de leurs moyens ne voulant pas diminuer des allocations qui ont augmenté considérablement depuis le début du siècle mais obtenues de façon artificielle en multipliant l’offre pour susciter la demande. La clientèle de base a suivi un moment puis, les jeunes surtout, n’ont pas mordu à l’hameçon comme nous l’avons déjà expliqué. Les effets de campagne de promotion, de publicité et de communication, avec pour partenaire principal TF1, paraissent très onéreux, bien peu producteurs et adéquats à leur cœur de cible. Une différence qui se situe aussi dans le fait qu’un match de football mobilise les spectateurs ou téléspectateurs pendant deux heures minimum tandis que la course, la plus passionnante soit elle, se dispute pendant moins de 5 minutes.

Une locomotive française

Cette année, le train hippique bénéficie pourtant d’une locomotive véritablement extraordinaire avec le formidable vainqueur du Prix d’Amérique, Bold Eagle. En 4 décennies de turf, je n’ai jamais vu un tel phénomène. Pendant la première moitié de la course, il semble trotter moins vite que ses adversaires comme s’il se désintéressait de la compétition. Ensuite, dans le dernier kilomètre, drivé par Franck NIVARD, un partenaire aussi étonnant et impassible que lui, il change de vitesse et gagne presque au ralenti, battant tous ses adversaires ainsi que les records chronométriques de ses prédécesseurs.

Contrairement à son nom, et à sa filiation (il est fils de Ready Cash), Bold Eagle est un « cheval français » suivant en l’occurrence l’appellation de la société organisatrice des courses de trot en France, celle-ci jouant la carte tricolore sans pour autant fermer les frontières à la concurrence européenne. Les chevaux de la communauté se voient proposer 20% des recettes, mais pas plus. Ils en profitent allègrement mais n’amputent pas pour autant à la même hauteur les allocations de ceux que l’on appelle aussi les « Normands ».

Les scandinaves se montrent pointilleux sur la lutte anti-dopage (cobalt) et le laxisme d’autorisation de prête-noms d’entraîneurs après leur éviction professionnelle.

La guerre du sperme aura-t-elle lieu ?

En raison des victoires, non seulement de Bold Eagle mais aussi de ses compatriotes, la plupart nés et élevés dans le grand Ouest, surtout la Normandie, l’Anjou Maine et la Bretagne, les saillies de nos reproducteurs sont très recherchées. L’insémination artificielle est autorisée tout en étant très cadrée, mais jusqu’à maintenant et probablement pour longtemps le transport de sperme d’étalons trotteurs reste interdit. Un débat sur ce sujet extrêmement animé par Pierre JULIENNE, a eu lieu à la veille du Prix d’Amérique, le GAET (Groupement pour l’Amélioration de l’élevage du trotteur français) a présenté une pétition sur ce sujet. Avec pour principaux arguments selon lesquels le feu vert serait bénéfique aux éleveurs au niveau économique (moins de frais de déplacement), écologique (moins de kilomètres à parcourir en France et à l’étranger) et au niveau social pour donner à tous les éleveurs les mêmes chances d’accéder à une génétique de haut niveau. Il était plaidé également que le transport de paillettes éviterait les pathologies infectieuses et améliorerait parallèlement les conditions de travail, dans les haras chargés en étalons. Etait mise en cause aussi la possibilité pour l’éleveur de choisir entre une saillie naturelle et une insémination avec une semence transportée. Il faut dire que de façon non avouée, sinon avouable, la prédominance des haras normands qui tiennent à garder la main mise sur la quasi-totalité de la jumenterie française suscite beaucoup de jalousies. Le texte distribué lors de cette réunion évoque enfin un abus de position dominante. Le Président du Cheval français, Dominique de BELLAIGUE, a évidemment répondu avec véhémence à ses interlocuteurs qui sont, pour la plupart, ses ressortissants en défendant une thèse absolument contraire. L’argumentation s’appuyait sur le risque d’ouvrir la boîte de pandore « de voir la spécificité du trotteur français voler en éclats ». Toujours fougueux pour défendre ce qu’il estime la bonne cause, il accusait même les dirigeants du GAET de sombrer dans « l’escroquerie ».

Ce débat n’est pas anecdotique mais pose si l’on peut dire un problème de fond, non pas entre les anciens et les modernes, mais plutôt sur les dossiers européens voire internationaux. D’une part, le libéralisme sans limite et, d’autre part, le nationalisme au bon sens du terme.

François PINAULT, simple turfiste

Du côté du pur-sang, les choses sont très différentes avec un système absolument libéral et international. Les grands propriétaires sont en majorité « citoyens » des Emirats, d’Angleterre, d’Irlande, des Etats-Unis, du Japon. Richissimes, ils achètent et font courir le gratin des chevaux, issus assez fréquemment de géniteurs ayant fait carrière sur les hippodromes français ou des différents continents. Les propriétaires français de base se contentent de courir en obstacle et seuls quelques investisseurs courageux jouent la carte « tricolore », parfois avec succès, mais aussi des moyens moindres.

Le meilleur exemple en est M. Augustin NORMAND, ayant quitté la sphère financière pour devenir propriétaire-éleveur à part entière. Il en a été récompensé avec le succès de deux champions « Le Havre » et « La Cressonnière », entraînés par Jean-Claude ROUGET. Très jeune, celui-ci, après avoir appris le métier, auprès de son père, à Senonnes en Mayenne, s’est installé à Pau, où, doué et travailleur, il a assez rapidement connu une très grande réussite. Peu à peu, il a gravi toutes les marches du podium peut être grâce à son imagination, intuition et travail. Des propriétaires classiques, comme les frères Wertheimer ou l’Aga Khan, sont devenus ses clients mais son plus grand titre de « gloire » réside dans une méthode originale : il achète aux enchères, particulièrement à Deauville, des jeunes poulains d’un an constituant ainsi un stock en vente libre pour tous les demandeurs. Comme dans un libre-service. Ainsi, un marchand d’art réputé, Philippe SEGALOT, client chez Jean-Claude ROUGET, a-t-il convaincu le richissime homme d’affaires breton, François PINAULT, de déclarer ses couleurs de propriétaire pour acheter 3 poulains de deux ans que Jean-Claude ROUGET s’était approprié justement aux ventes de Yearling en 2016 pour 275 000 euros. Une somme qui ne ruinera pas M. PINAULT et n’apportera pas grand-chose à la communauté hippique mais permettra seulement aux médias, en cas de victoire de sa casaque, de faire parler des courses dans la rubrique people –un point c’est tout-.

Le navire du galop prend l’eau, plombé par les millions engloutis dans le chantier de rénovation de Longchamp, par une communication exagérément élitique, l’entretien de 6 hippodromes et trop peu d’économies de gestion.

Edouard de ROTHSCHILD, son Conseil de direction dominé par les cooptés, ses sociétaires, ont bien du pain sur la planche pour redresser la situation avant qu’il ne soit trop tard.

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