​Une journaliste accusée d’apostasie pour un éditorial sur la politique de santé publique au Soudan

Reporters sans frontière (RSF) s’inquiète des graves menaces qui pèsent contre la journaliste soudanaise Shamael al-Nur, qui a publié le 2 février dans le journal indépendant El Tayar un article remettant en cause les politiques de santé publique du gouvernement. Elle est depuis menacée, notamment par voie de presse, par des islamistes radicaux qui la traitent d’apostate, une accusation pouvant valoir la peine de mort dans le pays régi depuis 1983 par la Charia.

Le 2 février 2017, la journaliste soudanaise Shamael al-Nur publiait dans El-Tayar son éditorial quotidien, intitulé “La Manie de la vertu” dans lequel elle dénonçait “l’obsession des régimes islamiques pour les questions de vertus, d’habillement des femmes et d’apparences, plus que pour les questions de santé et d’éducation”. En effet le budget de l’Etat soudanais alloue moins de trois pour cent à ces secteurs {ndlr}. “Il est facile de couper les dépenses de santé mais bien plus difficile pour le ministère de la Santé de distribuer des préservatifs”, concluait-elle.


Depuis, la journaliste fait face à de nombreuses et violentes attaques. El Tayeb Mustafa, le directeur du journal El-Sina, et oncle du président Omar el-Béchir a menacé la journaliste déclarant qu’il fallait empêcher les “vers de terre de son espèce” de corrompre les valeurs du pays. Le 16 février, Mohamed Ali al-Gazouli, un imam radical connu pour son soutien à Al-Qaïda, s’en pris à la journaliste dans les colonnes du même journal. Le lendemain, il appelait ses fidèles à “se lever pour protéger leur religion” et menaçait de poursuivre la journaliste pour apostasie devant les tribunaux.


“Publier ce type de menaces par voie de presse est intolérable et montre bien l’arbitraire qui gouverne la liberté de la presse au Soudan, déclare Cléa Kahn-Sriber responsable du bureau Afrique de RSF. Après avoir interdit à la presse de parler des réformes économiques ou du conflit au Darfour, il serait maintenant impossible aux femmes de parler de leur santé ? En revanche menacer publiquement une journaliste ne semble poser aucun problème! Nous demandons aux autorités soudanaises de prendre toutes les mesures nécessaires pour protéger la journaliste et l’équipe du journal El-Tayar et de condamner ces appels à la haine et à la violence. “


La journaliste a porté plainte contre Mustafa Al-Tayeb, l’accusant d’appel à la haine et à la radicalisation. El Tayar a soutenu sa journaliste en demandant sa protection par les autorités policières. A la connaissance de RSF aucune mesure n’a été prise pour l’instant.


Pour Faisal ElBagir, coordonnateur du Journalists Association for Human Rights (JAHR), la réaction est d’autant plus violente que l’article a été écrit par une femme. “Si un homme avait écrit cet article, il n’aurait pas suscité une réaction aussi féroce”


Le journal El Tayar a déjà chèrement payé son ton indépendant. En plus de voir régulièrement ses numéros saisis par les autorité, son rédacteur en chef, Osman Mirghani avait été sauvagement attaqué et battu jusqu’à perdre connaissance en juillet 2014, après avoir évoqué lors d’un débat radio la normalisation des relations avec Israël. Son journal a été fermé par les services de sécurité soudanais en décembre 2015, après un éditorial critiquant le ministre des Finances. En mai 2016, il a de nouveau été suspendu pendant quatre mois sans aucune justification.


Rappelons que le président Omar el-Béchir est sur la liste 2016 des prédateurs de la liberté de la presse de RSF et que le Soudan occupe l’une des dernières places (174e sur 180) dans le Classement 2016 de la liberté de la presse établi par RSF.

Publié le
Updated on 22.02.2017