Il a d’abord fait attendre plus de deux heures le « roi Momo », laissant planer sur le Sambodrome où défileront les écoles de Samba un climat d’angoisse mêlé d’ennui. Quand soudain, un peu après 20 heures, il a finalement décidé de ne pas venir arguant d’un prétexte – « ma femme est malade » – digne du héros des « 400 coups ».
Vendredi 24 février, Marcelo Crivella, maire de Rio de Janeiro depuis janvier, a préféré envoyer sa secrétaire à la culture, Nilcemar Nogueira, remettre les clés de la ville au souverain de carton afin d’ouvrir les festivités du Carnaval plutôt que de se compromettre.
L’édile, fraîchement élu, est évangélique. Et son austère religion ne voit pas d’un bon œil ces réjouissances où, cachés derrière leur masque, les Cariocas s’oublient dans l’alcool et la débauche. Depuis plusieurs semaines, déjà, sa présence était sujette aux doutes. Il se murmurait que le membre de la très puissante Eglise universelle du royaume de Dieu, s’apprêtait à voyager à Jérusalem ou en Afrique.
Une des principales attractions touristiques de la ville
« Le péché au Carnaval, c’est de ne pas danser la samba », rappelle pourtant le quotidien O Globo, samedi. D’autres maires ont déjà, par le passé snobé, les festivités depuis l’inauguration du Sambodrome en 1984. Mais jamais en début de mandat, souligne le journal brésilien.
« C’est comme si une personne vous invite à dîner chez elle, et part en voyage juste avant de se mettre à table. Ça ne se fait pas. Avant d’être évangélique, il est maire », s’étouffe Alfredo Lopes, président de l’association brésilienne de l’industrie hôtelière de l’Etat de Rio.
« C’est triste et préoccupant, s’alarme Luiz Antonio Simas, historien spécialiste du Carnaval de Rio. Le maire ignore le poids symbolique de la fête pour la culture de la ville et dénigre la pertinence du Carnaval, y compris pour des raisons économiques. »
Au-delà de faire partie de l’ADN de la « Cidade maravilhosa », le Carnaval est devenu l’une des principales attractions touristiques de la ville. Malmenée par la crise et l’austérité, l’ancienne capitale brésilienne espère attirer cette année plus d’un million de visiteurs.
Montée en puissance du lobby évangélique
Le défi, certain diront le mépris, affiché par l’édile envers l’événement ne fait qu’effrayer un peu plus ses adversaires inquiets de la montée en puissance du lobby évangélique au Brésil.
Pendant la campagne municipale, certains Cariocas s’étaient déjà étranglés en prenant connaissance des propos tenus par l’ancien chanteur de Gospel vis-à-vis de l’homosexualité, qualifiée de « terrible mal » ; de la religion catholique, « une doctrine démoniaque » ; ou des cultes africains, « esprits immondes ».
Le quinquagénaire, défenseur des thèses créationnistes, s’en était excusé, évoquant une erreur de jeunesse, prenant soin, lors de sa prise de fonction, d’assurer aux plus angoissés qu’il ne remettrait pas en cause le Carnaval.
Promesse tenue, souligne Brand Arenari, sociologue et auteur d’une thèse sur l’influence des évangéliques dans le monde. « Depuis son arrivée à la mairie de Rio, Marcelo Crivella adopte une posture d’homme de la classe moyenne, de religieux modéré. En ne se rendant pas au Carnaval, il suit cette voie », affirme-t-il.
De fait, loin de rejouer « Le combat de Carnaval et carême » du tableau de Pieter Brueghel, métaphore de l’affrontement entre catholiques et protestants, jouisseurs et éteignoirs, Marcelo Crivella s’efface, laissant Rio à son exubérance et à ses excès. Au moins pendant quelques jours.
Voir les contributions
Réutiliser ce contenu