La première partie des Etats généraux de l’alimentation (EGA) touche à sa fin, avec le discours d’Emmanuel Macron attendu mercredi 11 octobre. Voulus par Nicolas Hulot, le ministre de l’écologie, et ouverts le 20 juillet, les EGA s’ajoutent aux tractations annuelles qui ont déjà lieu entre les acteurs de la filière.
Chaque année, le dernier jour du mois de février sonne la fin des négociations entre la grande distribution et ses fournisseurs, qu’ils soient petits producteurs rassemblés en coopérative ou grands groupes industriels internationaux. Ces tractations, souvent conflictuelles, doivent notamment fixer pour l’année suivante les tarifs des produits achetés par la grande distribution pour garnir ses rayons.
Comment les négociations sont-elles organisées ?
Ces discussions sont encadrées par la loi de modernisation de l’économie, adoptée en août 2008, ainsi que par la loi Sapin 2, adoptée en décembre 2016.
Avant le 30 novembre de chaque année, les fournisseurs doivent envoyer leurs conditions générales de vente (CGV) aux centrales d’achat des distributeurs. A partir des prochaines négociations, la loi Sapin 2 obligera les fournisseurs à indiquer dans ces CGV le « prix prévisionnel moyen » des principales matières premières agricoles qu’ils utilisent. Une disposition qui vise à restaurer la confiance entre les parties prenantes de la négociation.
La loi Sapin 2 entend également assouplir les règles de contractualisation. Elle permet aux parties négociantes de conclure une convention portant sur plusieurs années (au lieu d’une seule précédemment). Les modalités d’évolution du prix de vente aux distributeurs y seront indiquées, par exemple sur la base « d’un ou de plusieurs indices publics reflétant l’évolution du prix des facteurs de production ».
Ces tractations ne portent pas que sur les prix, mais aussi sur la disposition des produits en rayon. Dans un contexte de concurrence forte entre les industriels, être présent à hauteur d’yeux ou en tête de gondole est crucial.
Il arrive que les distributeurs et les fournisseurs ne parviennent malgré tout pas à se mettre d’accord avant le dernier jour du mois de février. Le produit est alors retiré du magasin. « Il est normal que certains produits quittent les rayons, il faut faire place aux innovations. Mais certains distributeurs pratiquent ces déréférencements en cours de négociation, sur des produits loin d’être en fin de cycle de vie. Le distributeur montre ainsi au fournisseur le manque à gagner si l’accord n’est pas signé pour l’inciter à baisser son prix », explique Richard Panquiault, directeur général de l’Institut de liaisons et d’études des industries de consommation (ILEC), qui réunit soixante-dix multinationales et entreprises nationales de grandes marques.
Pourquoi ces négociations suscitent-elles autant de tensions ?
Au-delà des pratiques illégales, la pierre d’achoppement des tractations reste la détermination du prix de vente.
A une semaine de la fin des négociations 2017, seuls un tiers des adhérents de l’ILEC se sont mis d’accord avec les distributeurs. « Signer plus vite ne signifie pas signer dans de bonnes conditions malheureusement pour certaines entreprises […]. Certaines entreprises cèdent ou signent car le rapport de force avec leur client est particulièrement défavorable », souligne l’Association nationale des industries alimentaires (ANIA).
Selon les fournisseurs, les distributeurs n’entendent pas signer ces accords sans obtenir une baisse de tarif. Une baisse pas toujours en lien avec le cours, très volatil, des matières premières alimentaires.
« Rarement la déconnexion aura paru aussi forte entre prix agricoles et prix alimentaires »
Le prix du lait, par exemple, est fixé librement entre l’entreprise de collecte et le producteur. La plupart des entreprises s’appuient sur des indicateurs tels que le prix du lait en Allemagne, le prix pratiqué par leurs concurrents (comme Lactalis) ou le prix des débouchés industriels laitiers (comme le beurre ou la poudre de lait).
Comme celui de la plupart des produits agricoles, le prix du lait a connu une baisse en 2015. Son prix en rayon, en revanche, n’a, en moyenne, pas diminué. L’observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires explique ce phénomène dans son rapport :
« [En] 2015, aucune production agricole traitée par ce rapport n’a couvert (…) ses coûts de production (…) (à l’exception de quelques productions comme les fromages AOC). (…) A l’autre extrême, les prix alimentaires payés par le consommateur ont continué à faire preuve d’une très grande stabilité (…). Rarement la déconnexion aura paru aussi forte entre prix agricoles et prix alimentaires et ceci illustre bien le rôle d’amortisseur que joue particulièrement en France l’aval des filières, industrie et distribution. »
L’étude du cas du lait illustre ce constat.
Des baisses de tarif justifiées, selon un distributeur, qui confiait au Monde en février 2016 :
« Avec la chute des prix du pétrole [divisés par deux entre 2012 et 2015], qui fait baisser les coûts de transport et d’emballage, demander des baisses de prix aux industriels n’est pas totalement absurde. Mais nous ne sommes pas le cartel de Medellín face aux gentils fournisseurs. On a devant nous des grands groupes internationaux comme Coca-Cola, Nestlé, Pampers, etc. »
Les distributeurs s’organisent…
Pour peser encore davantage dans le rapport de force face à leurs fournisseurs, certains distributeurs ont associé leurs centrales d’achat. Au dernier trimestre 2014, trois alliances se sont formées : ITM-Casino, Carrefour-Delhaize, Auchan-Système U.
Pour répondre à la concentration des centrales d’achat des distributeurs, certains fournisseurs s’organisent. En octobre 2015, l’ANIA, qui représente plus de 16 000 entreprises, dont une majorité de PME et de TPE mais aussi des multinationales comme Coca-Cola, Nestlé ou Mars, a créé un observatoire des négociations commerciales.
… tout comme certains fournisseurs
Il vise à rassembler les signalements de ses membres et adresser un courrier collectif aux centrales d’achat dont les pratiques abusives sont avérées et nombreuses, afin de leur « donner l’opportunité d’y remédier en interne ». « Ces actions permettent aux fournisseurs de ne plus être isolés face à des pratiques difficilement dénonciables en cours de négociation. » Début février 2017, 181 signalements ont déjà été effectués et trois courriers, envoyés. « On note une diminution [des mauvais comportements] en 2017 (à date et en tendance) mais [leur niveau est] encore très élevé. »
Les initiatives des fournisseurs contre les pratiques abusives ne sont cependant pas contraignantes sur un plan légal.
Comment la législation tente-t-elle de limiter les pratiques abusives ?
La loi Macron, entrée en vigueur le 6 août 2015, vise à dissuader les distributeurs de continuer les pratiques abusives, faisant passer le plafond des amendes de 2 millions d’euros à 5 % de leur chiffre d’affaires.
Bercy assigne d’ailleurs régulièrement en justice les distributeurs dont les pratiques sont jugées abusives.
En 2015, à la suite de négociations très tendues, Intermarché et Système U avaient été assignés en justice par Bercy pour pratiques abusives. En 2016, c’est au tour de Carrefour.
Malgré les nombreuses assignations, l’efficacité des procédures lancées par le ministère de l’économie reste difficilement mesurable aujourd’hui, du fait de la longueur des procédures et des nombreux recours.
Le 25 janvier 2017, au terme de six années de procédure, la Cour de cassation a condamné le Groupement d’achats des centres E. Leclerc (Galec) à restituer à ses quarante-six fournisseurs 61,3 millions d’euros, ainsi qu’à payer une amende de 2 millions d’euros. Interrogé mercredi 22 février, Bercy affirme que le paiement et la restitution sont « en cours ».
Enfin, il est encore trop tôt pour observer l’effet des nouvelles dispositions de la loi Sapin 2, adoptée en décembre 2016. « A ma connaissance, aucun de nos adhérents n’a signé de contrat pluriannuel en 2017 », constate le directeur général de l’ILEC, Richard Panquiault. « Cela ne veut pas dire que c’est une mauvaise idée. Mais à ce jour, la relation est très conflictuelle entre les acteurs. La confiance n’est pas là pour permettre l’établissement de contrats plus durables ».
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