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Affaire Fillon : pourquoi le parquet a changé d'avis

Après avoir choisi la semaine dernière de prolonger l’enquête préliminaire, la chef du PNF a ouvert vendredi une information judiciaire. Les coulisses d’une décision précipitée.

Laurent Valdiguié , Mis à jour le
Eliane Houlette a changé ses plans concernant l'affaire François Fillon.
Eliane Houlette a changé ses plans concernant l'affaire François Fillon. © Sipa


Eliane Houlette a changé ses plans concernant l'affaire François Fillon (Sipa)

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Un retournement de situation dû à un concours de circonstances : telle est l'incroyable équation de l'affaire Fillon, qui frappe à nouveau le candidat de la droite , au moment où celui-ci pensait sa reconquête enfin lancée. Vendredi soir, au bout d'une journée haute en suspense, le Parquet national financier (PNF) a annoncé l'ouverture d'une information judiciaire sur les soupçons d'emplois fictifs de l'épouse et des enfants de François Fillon et plusieurs autres délits. Huit jours plus tôt, Eliane Houlette, chef du même PNF, annonçait par communiqué qu'elle "n'envisage[ait] pas un classement sans suite" mais poursuivait l'enquête préliminaire ouverte après les révélations du Canard enchaîné.

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Pour le camp Fillon, persuadé que les poursuites étaient gelées au moins jusqu'à l'élection présidentielle, cette subite accélération constitue une douche froide . Elle impose surtout un calendrier judiciaire devenu incontrôlable : celui des trois juges d'instruction qui seront désignés en début de semaine pour conduire les investigations. Avec à la clé un risque de convocation pour François Fillon et ses proches, voire de mises en examen - ou même de gardes à vue, que le choix d'une information judiciaire ouverte contre X rend juridiquement possibles.

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Les délits financiers de plus de douze ans seront prescrits

Quatre fronts judiciaires ­attendent le candidat, dès lors que le PNF vise quatre infractions distinctes . Le "détournement de fonds publics" et son "recel" concernent les deux emplois fictifs que Penelope Fillon est suspectée d'avoir occupés de 1988 à 2013 auprès de deux députés de la Sarthe (son mari et le suppléant de celui-ci, Marc Joulaud), ainsi que les emplois de deux des enfants du couple comme assistants au Sénat. L'"abus de bien social" et son "recel" ciblent les rémunérations versées à Penelope Fillon par la Revue des deux mondes, propriété de l'homme d'affaires Marc Ladreit de Lacharrière, pour des prestations de conseil et des "notes de lecture" controversées. Les magistrats retiennent en outre un soupçon de "trafic d'influence" qui renvoie à la ­remise de la grand-croix de la Légion d'honneur à Marc Ladreit de ­Lacharrière le 31 décembre 2010 par François Fillon, alors que celui-ci était Premier ministre. Selon les enquêteurs, cette distinction pourrait avoir été une contrepartie de l'emploi de Mme Fillon à la Revue des deux mondes. Enfin, l'infraction de "manquement aux obligations de déclarations la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique", également visée par le PNF, concernerait une omission dans les déclarations de patrimoine de François Fillon devant cette même Haute Autorité.

"Sur ces quatre délits, après l'enquête préliminaire, le parquet considère que les doutes sont suffisamment sérieux pour déclencher une information judiciaire", estime un spécialiste. Le rapport remis la semaine dernière par la police financière à Eliane Houlette visait déjà, semble-t-il, des éléments à charge susceptibles d'être retenus contre les époux Fillon.

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Rebondissement

A ce moment-là, pourtant, la dirigeante du PNF avait opté pour la poursuite de l'enquête préliminaire – contre l'avis du parquet général de Paris, qui préconisait de confier l'affaire à des juges d'instruction.
Selon nos sources, le choix de la magistrate était alors de laisser la police finir ses investigations sans changer de cadre juridique pour se réserver la possibilité de délivrer, à terme, une citation directe devant le tribunal correctionnel. "Eliane Houlette considère que dans les affaires relativement simples, qui ne nécessitent pas de commission rogatoire internationale complexe, le devoir de la justice est de passer rapidement, sans s'enliser dans les dossiers", confie un proche de la magistrate. Dans ce scénario, l'enquête sur M. et Mme Fillon se serait vraisemblablement terminée après la présidentielle. L'annonce de vendredi soir est donc le fruit d'un renversement de tendance.

Que s'est-il passé? Un premier grain de sable est survenu lundi, avec la publication dans Dalloz Actualité, une revue juridique spécialisée, d'un article signé par deux avocats d'affaires, Christophe Ingrain et Rémi Lorrain. Son titre : "Réforme de la prescription pénale : les conséquences (in)attendues de l'application immédiate de la loi". Dans ce texte austère et documenté, les deux avocats alertent sur les effets d'une loi votée dans l'indifférence quasi générale le 16 février. Selon eux, ce texte, un des derniers du quinquennat Hollande, menace de provoquer une "purge" dans une foule d'affaires judiciaires en cours. En effet, le nouveau régime de la prescription en matière ­pénale fixe désormais l'impossibilité de poursuivre la plupart des délits financiers au-delà de douze ans après la commission des faits – alors qu'il prévoyait jusqu'ici une prescription de trois ans, mais à compter de la découverte des faits. Plusieurs anciens (et actuels) juges d'instruction, dont Eva Joly, y ont vu "un mauvais coup" porté aux enquêtes sur la délinquance politico-financière. Quoi qu'il en soit, à compter de la promulgation de ce nouveau texte (qui n'a même pas fait l'objet d'un recours devant le Conseil constitutionnel), mardi prochain au plus tôt, les délits financiers de plus de douze ans seront prescrits.

Une amnistie déguisée pour des procédures existantes?

Mais quid des enquêtes en cours? Ce nouveau dispositif, par un concours de circonstances, menaçait-il l'affaire Fillon, où les premiers emplois contestés sont bien antérieurs à 2005? L'alinéa 4 voté par les parlementaires précise que la loi "ne peut pas avoir pour effet de prescrire des infractions qui, au moment de son entrée en vigueur, avaient valablement donné lieu à la mise en mouvement où à l'exercice de l'action publique". A première vue, le texte n'est donc pas une amnistie déguisée pour des procédures existantes - ce qu'assure au JDD le ministre de la Justice, Jean-Jacques Urvoas . Sauf que pour Mes Ingrain et Lorrain, cet alinéa a été très mal rédigé par les services de la chancellerie. En invoquant "l'action publique", il vise les "ouvertures d'information ou les renvois en correctionnelle", mais négligerait les enquêtes préliminaires.
Eliane Houlette semble s'être rendu compte en milieu de ­semaine de l'incertitude que ce flou faisait peser sur le dossier Fillon. Elle en a conclu que, faute d'ouverture d'information ou de renvoi en correctionnelle, une partie des faits visés pourrait se trouver prescrite dès l'entrée en vigueur de la nouvelle loi. Jeudi, la magistrate a averti le parquet général de sa volonté d'ouvrir une information judiciaire au plus vite. "Une décision logique compte tenu de l'insécurité juridique que fait courir la loi du 16 février sur ce dossier", explique un expert.

En évoquant dans son communiqué de vendredi "l'exigence de la mise en œuvre de l'action publique résultant de l'article 4 de la loi adoptée définitivement 16 février 2017", la chef du PNF a tenu à donner la clé de son revirement. "Toute la journée, on lui a suggéré de gommer ce passage, expliquant qu'il n'était pas possible d'avoir l'air de critiquer une loi dans un communiqué", confie au JDD une source haut placée. C'est ce qui explique que, après avoir été annoncé pour le début de l'après-midi, le communiqué a été plusieurs fois retardé, jusqu'au début de la soirée.

Le destin judiciaire de la famille Fillon va ainsi se retrouver entre les mains de trois juges d'instruction. Et même si les avocats du candidat et de son épouse, Antonin Lévy et Pierre Cornut-Gentille, se sont félicités de la mise en œuvre "d'une procédure sereine" conduite par "des juges indépendants", François Fillon doit maintenant intégrer un nouveau paramètre : le risque d'une convocation, voire d'une mise en examen (même s'il paraît faible compte tenu des délais) en pleine campagne.

Source: JDD papier

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