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Enfants, époux, cousins : un député sur six emploie un proche comme collaborateur

Au moins 103 dĂ©putĂ©s, sur 572, ont des liens familiaux avec leurs assistants, selon l’enquĂŞte des DĂ©codeurs.

Par , et

Publié le 27 février 2017 à 13h19, modifié le 28 février 2017 à 13h12

Temps de Lecture 6 min.

L’affaire Fillon a mis en pleine lumière le rĂ´le des assistants parlementaires et relancĂ© le dĂ©bat sur une pratique assez rĂ©pandue : l’emploi par les parlementaires de membres de leur famille, pour des fonctions pas toujours très bien dĂ©finies.

Dans un souci de transparence, l’AssemblĂ©e nationale a publiĂ© mardi 21 fĂ©vrier la liste actualisĂ©e des 2 039 collaborateurs des 572 dĂ©putĂ©s en activitĂ©. On y dĂ©cèle assez facilement des noms de familles similaires qui font prĂ©sumer des liens familiaux, sans qu’ils soient prĂ©cisĂ©s explicitement dans le document (bien que l’AssemblĂ©e dispose de cette information, dĂ©clarĂ©e par les dĂ©putĂ©s mais non publique).

Quelques jours auparavant, Le Monde avait lancĂ© une opĂ©ration baptisĂ©e #TransparenceAN, invitant tous les dĂ©putĂ©s Ă  dĂ©clarer des liens familiaux avec leurs collaborateurs. Après une semaine, près de 200 d’entre eux ont rĂ©pondu. En croisant toutes ces donnĂ©es ainsi que le travail de nos confrères (en particulier l’enquĂŞte rĂ©alisĂ©e par Mediapart en 2014 et la presse rĂ©gionale), nous aboutissons Ă  un panorama non exhaustif, mais significatif, des liens qui unissent les dĂ©putĂ©s Ă  leurs collaborateurs.

Entre un et huit collaborateurs par député

Un dĂ©putĂ© dispose d’un crĂ©dit de 9 561 euros par mois prĂ©vu pour rĂ©munĂ©rer jusqu’à cinq collaborateurs Ă  l’AssemblĂ©e nationale ou dans sa circonscription d’origine. Mais il est libre d’en embaucher moins ou davantage. La seule limite rĂ©side dans le fait de ne pas allouer plus de la moitiĂ© de cette somme en salaire Ă  un membre de sa famille directe.

La plupart des députés emploient trois ou quatre collaborateurs
Seuls trois députés n’emploient qu’un seul assistant parlementaire, et six partagent leur enveloppe entre sept ou huit personnes

Il apparaĂ®t que la plupart des dĂ©putĂ©s ont choisi de travailler avec trois ou quatre collaborateurs. Seuls trois dĂ©putĂ©s se contentent d’un seul assistant : il s’agit de Jean-Claude Fruteau (PS, La RĂ©union), Roger-GĂ©rard Schwartzenberg (PRG, Val-de-Marne) et de… François Fillon (LR).

L’équipe la plus étoffée est celle du député (Parti écologiste) de Loire-Atlantique, François de Rugy, qui bénéficie d’une enveloppe majorée en tant que vice-président de l’Assemblée nationale et emploie huit personnes. Plusieurs présidents ou vice-présidents de commissions disposent de six ou sept collaborateurs.

Si l’on peut calculer qu’avoir quatre ou trois collaborateurs permet de les rĂ©munĂ©rer entre 2 300 et 3 200 euros brut chacun en moyenne, la liste publiĂ©e par l’AssemblĂ©e ne prĂ©cise ni le temps de travail ni le salaire de chacun. Or, il arrive parfois que certains assistants n’effectuent que quelques heures par mois, comme nous l’avons appris avec le questionnaire #TransparenceAN : un collaborateur de Christine Pirès-Beaune (PS, Puy-de-DĂ´me) n’est employĂ© que quatre heures par semaine, quand celui d’Yves JĂ©go (UDI, Seine-et-Marne) travaille très prĂ©cisĂ©ment 12,7 heures hebdomadaires et que trois assistants de Jonas Tahuaitu (LR, PolynĂ©sie) se partagent un temps plein…

Quant Ă  Karine Gautreau et Jessica Masson, qui travaillent Ă  (quasi) temps plein au siège du Parti socialiste depuis 2014, elles sont toujours assistantes parlementaires du dĂ©putĂ© et premier secrĂ©taire du parti, Jean-Christophe CambadĂ©lis… mais Ă  raison de trente heures par mois, pour « quelques centaines d’euros Â» de rĂ©munĂ©ration mensuelle.

Plus d’un député sur six emploie un proche

A l’origine de notre enquête #TransparenceAN, nous souhaitions lever l’opacité sur l’emploi d’un proche avec de l’argent public, et vérifier si le choix de François Fillon d’employer sa femme (et ses enfants) était exceptionnel. La réponse est non.

Après notre demande Ă©crite aux dĂ©putĂ©s – dont nous attendons encore plus de la moitiĂ© des rĂ©ponses –, et l’examen de la liste publiĂ©e par l’AssemblĂ©e, nous avons Ă©tabli une liste non exhaustive de 103 dĂ©putĂ©s (soit près de 18 %) qui ont embauchĂ© un ou plusieurs membres de leur famille ; huit d’entre eux en ont mĂŞme salariĂ© deux.

103 députés emploient un collaborateur de leur famille.

La plupart de ces collaborateurs familiaux ont un lien direct avec le ou la députée, qu’il soit de nature conjugale ou filiale. Ce sont les seules relations dont la rémunération est encadrée par les services financiers de l’Assemblée.

Toutefois, nous avons repéré quelques cas plus rares de cousins, frères ou sœur, et même une petite-fille, celle de Francis Hillmeyer (UDI, Haut-Rhin). L’étude des liens familiaux fait aussi apparaître des histoires personnelles de députés qui se sont séparés de leur femme mais continuent à travailler avec elle, ou d’élus ayant épousé leur assistante.

Des liens souvent conjugaux ou filiaux entre les députés et leurs collaborateurs
selon notre enquĂŞte, 110 assistants parlementaires ont un lien familial avec leur employeur.
Source : Le Monde

70 % de femmes

Si la profession d’assistant parlementaire est majoritairement fĂ©minine (59 %), cette proportion est encore accrue parmi les salariĂ©s ayant un lien familial avec le dĂ©putĂ©. On atteint très exactement 70 % de femmes pour 30 % d’hommes.

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La rĂ©partition est assez Ă©quitable entre fils (21) et filles (24), mais est très dĂ©sĂ©quilibrĂ©e lorsqu’on s’intĂ©resse aux conjoints : seules six femmes dĂ©putĂ©es emploient leur mari, alors que quarante-cinq Ă©lus masculins travaillent avec leur Ă©pouse ou compagne.

Parmi les collaborateurs familiaux de l’Assemblée, sept sur dix sont des femmes
Filles, épouses ou cousines forment la majeure partie des assistants parlementaires ayant un lien familial avec leur député.
Source : Le Monde

Aucun groupe parlementaire n’échappe Ă  la pratique des collaborateurs familiaux. MĂŞme parmi les quatorze dĂ©putĂ©s de la gauche dĂ©mocrate et rĂ©publicaine, on trouve un dĂ©putĂ© qui emploie son Ă©pouse. Toutefois, la pratique est nettement plus rĂ©pandue Ă  droite (25 % parmi les RĂ©publicains, près de 30 % Ă  l’UDI) qu’à gauche (11,8 % du groupe socialiste).

Davantage de liens familiaux parmi les députés de droite
Plus de la moitié des députés repérés durant notre enquête (58) appartiennent au groupe des Républicains ou à l’UDI, qui ne représentent pourtant que 40 % de l’Hémicycle.
Source : Le Monde

Trente-six suppléants embauchés

Dès la publication de la liste des collaborateurs par l’AssemblĂ©e nationale, mercredi 22 fĂ©vrier, l’hebdomadaire Marianne a remarquĂ© que l’ancien premier ministre Manuel Valls avait embauchĂ© son supplĂ©ant Carlos da Silva comme collaborateur après son retour dans l’HĂ©micycle. Une situation peut-ĂŞtre Ă©trange, mais ni illĂ©gale ni « unique en son genre Â».

En effet, trente-six suppléants sont actuellement employés comme collaborateurs de leur député titulaire. Une pratique particulièrement répandue au Parti socialiste (21), alors qu’une dizaine de députés Les Républicains (LR) sont concernés.

Les suppléants embauchés comme assistants parlementaires

Quelques « cumulards Â» des liens

Parmi les huit « cumulards Â» employant deux personnes de leur famille, trois Ă©lus LR n’ont pas rĂ©pondu spontanĂ©ment Ă  notre demande d’information : Jean-Pierre Gorges (Eure-et-Loir), qui emploie sa femme et sa fille (et est, par ailleurs, en course pour la prĂ©sidentielle), Marc-Philippe Daubresse (Nord), qui emploie sa compagne et le fils de cette dernière, et Patrice Martin-Lalande (Loir-et-Cher), qui emploie son Ă©pouse et son fils. Les autres nous ont rĂ©pondu dans le cadre de l’opĂ©ration #TransparenceAN ou après nos sollicitations directes.

RĂ©actions et justifications diverses

L’affaire Fillon n’a pas laissĂ© les dĂ©putĂ©s indiffĂ©rents et les rĂ©actions corporatistes suscitĂ©es ont parfois eu pour rĂ©sultat un argumentaire Ă©tonnant. « En canardant en permanence les Ă©lus, vous arriverez Ă  dĂ©goĂ»ter les plus motivĂ©s. Et alors vous verrez ce que c’est de n’avoir plus personne vers qui vous tourner, de vous heurter Ă  des portes qui ne s’ouvrent plus, Ă  des dĂ©cisions absurdes que vous ne pourrez plus faire changer, etc. Il sera trop tard pour regretter Â», avertit ainsi Jacques Lamblin (LR, Meurthe-et-Moselle) sur sa page Facebook.

InterpellĂ© sur l’emploi de sa femme, ValĂ©rie, comme collaboratrice, Nicolas Dupont-Aignan (DLF, Essonne) se justifie : « Si elle ne travaillait pas avec moi, on ne se verrait jamais. Â» Jean-Pierre Gorges (LR, Eure-et-Loir), de son cĂ´tĂ©, expliquait sur RMC : « C’est intĂ©ressant, parce que quand je fais des conneries, elle [sa fille Mathilde] s’autorise Ă  me le dire, contrairement Ă  quelqu’un d’autre qui serait moins franc. Â»

Les rĂ©ponses que nous avons reçues livrent un inventaire Ă  la PrĂ©vert sur les tâches attribuĂ©es Ă  leurs collaborateurs : Pascal Demarthe (PS, Somme) explique que sa femme gère son indemnitĂ© de dĂ©putĂ© et s’est vu attribuer comme « missions complĂ©mentaires Â» la communication et le suivi des pages Facebook et Twitter. Elle assure « les reportages photographiques lors des dĂ©placements en circonscription et le week-end (assemblĂ©es gĂ©nĂ©rales, manifestations, etc.), l’organisation d’évĂ©nements (rĂ©unions publiques, cĂ©rĂ©monie des vĹ“ux, etc.), l’accueil des groupes en visite Ă  l’AssemblĂ©e nationale et enfin elle [lui] sert aussi de chauffeur très souvent Â».

Karine Gautreau, elle, s’occupe de ce que « personne n’est capable de faire Â» dans l’équipe parlementaire de Jean-Christophe CambadĂ©lis (PS, Paris), depuis son dĂ©part Ă  SolfĂ©rino, comme par exemple l’organisation de dĂ©placements dans le 19arrondissement.

Une transparence inachevée

Ces liens familiaux que nous rendons publics ne seront toutefois pas complets tant que les parlementaires ne seront pas tenus de publier ces informations : il y a d’une part tous les dĂ©putĂ©s qui ne nous ont pas rĂ©pondu (ou nous ont menti) et n’ont pas le mĂŞme nom de famille que leurs collaborateurs familiaux.

Il existe aussi une autre pratique critiquée, l’embauche croisée, qui consiste à faire employer son fils ou sa fille comme assistant parlementaire d’un collègue député, pour ne pas avoir à déclarer de liens familiaux. Nous n’avons trouvé que deux cas avérés de députés employant l’une le fils (Edouard Santais), l’autre la fille d’une autre députée (Maryll Vignal), mais ils sont peut-être plus nombreux.

Explorez l'ensemble de nos résultats :

Le collaborateur travaille :

Circonscription En circonscription Assemblée nationale A l'Assemblée

Lien familial avec le député

Suppléant(e) du député

OpĂ©ration #TransparenceAN :

A répondu à l'opération #TransparenceANLe député a répondu

N'a pas répondu à l'opération #TransparenceANLe député n'a pas répondu

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