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En Italie, les médecins objecteurs de conscience pourrissent l'accès à l'IVG
Manifestation anti-IVG en Italie en 2012.

En Italie, les médecins objecteurs de conscience pourrissent l'accès à l'IVG

Par , correspondante en Italie

Publié le

Pour contrer la tendance des obstétriciens italiens à refuser l'avortement, au nom de leur clause de conscience, le gouvernement démocrate de la région du Latium cherche à recruter des gynécologues pro-IVG.

En France, le délit d'entrave à l'IVG a été adopté en janvier dernier dans un climat houleux. Aux Etats-Unis, le président Donald Trump s'attaque à l'avortement en interdisant le financement d'ONG internationales qui soutiennent les interruptions volontaires de grossesse. Et en Italie, malgré les recommandations de Bruxelles qui a déjà épinglé la péninsule à deux reprises pour violation du droit à l’IVG, l’application de la loi adoptée en 1978 est de plus en plus compliquée.

Les statistiques officielles affirment que le nombre d'avortements légaux a considérablement baissé en 30 ans, passant de 234 801 cas en 1982 à moins de 100 000 en 2014. Selon une étude publiée l’an dernier par le ministère de la Santé, sept obstétriciens sur dix font aujourd’hui jouer la clause de conscience pour des raisons morales, religieuses voire personnelles. Ce chiffre représente 70% du nombre de gynécologues en exercice dans le service public italien. La situation est d’autant plus inquiétante que dans certaines régions comme le Molise (centre), le taux de praticiens objecteurs de conscience est de 83,3% et 80,7% dans le Latium et les Abruzzes. Dans le sud notamment, des hôpitaux, faute de médecins, ont interrompu les IVG. Plusieurs rapports du ministère mais aussi d’associations de gynécologues pro-IVG soulignent le retour des avortements clandestins et en rebond, du taux d’accidents parfois mortels dus à l’utilisation de produits inappropriés comme les médicaments contre l’ulcère à base de misoprostol.

7 obstétriciens sur 10 font jouer la clause de conscience pour des raisons morales, religieuses voire personnelles

Appel à candidatures

Pour inverser une tendance qu’il qualifie d’inacceptable, Nicola Zingaretti, le gouverneur démocrate de la région du Latium, où huit praticiens sur dix font jouer la clause de conscience, vient de lancer un appel à candidatures. Cet appel ciblant le recrutement de deux obstétriciens, spécifie qu’ils devront couvrir les besoins en matière d’IVG de l’hôpital San Camillo, le plus grand établissement romain, conformément à la loi sur l’avortement. Ce critère de sélection excluant a priori les gynécologues objecteurs de conscience a immédiatement alimenté les polémiques sur les interruptions de grossesse.

Du côté de l’Eglise, la conférence épiscopale italienne (Cei) a immédiatement réagi en arguant que "ces recrutements ne respectent pas un droit de nature constitutionnel, celui à l'objection de conscience". La Cei a également rappelé qu'un article de la loi 194 autorise les médecins à faire jouer la clause de conscience pour des raisons religieuses ou personnelles. C'est également l'argument soulevé par Cesare Mirabelli, président émérite de la Cour Constitutionnelle. "L'objection de conscience est un droit fondamental et il ne peut en aucun cas être utilisé comme critère de discrimination pour écarter des personnes voulant participer à des appels lancés dans la fonction publique. La liberté de conscience est un droit inaliénable", affirme Cesare Mirabelli.

La ministre de la Santé, qui ne cache pas ses affinités avec la religion, s’est insérée dans le débat en rappelant que la loi autorise les hôpitaux manquant de personnel à utiliser les petites mains, c'est-à-dire les praticiens en attente de poste fixe, en les rémunérant au coup par coup. Enfin, l’Ordre des médecins de Rome a enfoncé le clou en réclamant carrément, le licenciement immédiat des deux obstétriciens recrutés dans le service de gynécologie de l’Hôpital San Camillo. Selon l’Ordre, « les procédures de recrutement basées sur des critères de discrimination faussent la procédure en elle-même ».

La Fédération nationale des médecins pour sa part a annoncé qu’elle réunirait le conseil pour examiner la situation le 11 mars prochain. En attendant, le gouvernement du Latium qui n’a pas l’intention « de déclencher des guerres de religion mais tout simplement d’appliquer la loi », réfléchit aux prochains recrutements.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne