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Billet de blog 28 février 2017

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Disparition d’un seigneur du théâtre : Jean-Pierre Jorris

Acteur chez Vilar au TNP et lors des premiers Festivals d’Avignon, où il incarne le Rodrigue du « Cid » avant Gérard Philipe, Jean-Pierre Jorris a travaillé avec les plus grands.

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En 1985, Antoine Vitez, qui n’avait pas la mémoire courte, distribua Jean-Pierre Jorris dans Lucrèce Borgia (rôle interprété par la grande Nada Strancar), spectacle créé dans la Cour d’honneur du Palais des papes à Avignon. Jorris n’avait pas foulé cette scène depuis longtemps. Fidèle à Jean Vilar, il fut de tous les Festivals d’Avignon, du premier en 1947 jusqu’en 1952. Il y fut Rodrigue, dans Le Cid, avant Gérard Philipe. Plus de trente ans plus tard, il retrouvait la Cour. Il apparut harnaché comme un seigneur, épée au flanc. On le vit pénétrer sur le plateau, poser un genou en terre, s’incliner et saluer silencieusement le mur de la Cour.

En cet été 85, il n’avait pas voulu demeurer dans la fournaise et le bruit avignonnais. Il s’était réfugié à l’écart, sur une terrasse de Vaison-la-Romaine. De là, il toisait les murailles de la cité des Papes. Sur un coin de la table était posée sa brochure malmenée de Lucrèce Borgia. Il l’ouvrit. Spectacle fascinant et incompréhensible que celui de ces pages surchargées de traits rouges, bleus, noirs, parsemées de signes étranges, ronds ou triangles, de phrases soulignées, de griffures illisibles. Que sont devenues ces pages annotées, qui en héritera ? La richesse du théâtre est faite de restes, de débris.

Jeune acteur, élève de Louis Jouvet, il s’appelait Joris Meaulnes en souvenir du héros du Grand Meaulnes d’Alain Fournier, de celui qui un jour entre dans une salle de classe de campagne et tétanise tout le monde. Devenu Jean-Pierre Jorris, il impressionne ses partenaires par sa stature, son regard clair et d’autant plus cinglant. Il avait du feu dans les yeux, une forge dans la gorge. Il bougeait son corps par brassées de gestes amples qu’il suspendait d’un coup d’arrêt, net. Il était un fin connaisseur des arts martiaux et des philosophies asiatiques. Albert Camus, Roger Planchon, Jean-Louis Barrault, Peter Brook, Peter Zadek et Antoine Vitez ont eu l’honneur de le diriger. Avec le temps, son visage s’était creusé de rides orgueilleuses qui semblaient être les stigmates des rôles qu’il avait joués.

A 91 ans, Jean-Pierre Jorris vient de s’éteindre à Paris.

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