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Les perturbateurs endocriniens empoisonnent aussi les logements

L’Union européenne n’a pas réussi, mardi 28 février, à avancer vers une règlementation des perturbateurs endocriniens. Il y a pourtant urgence, car ces substances, qui déstabilisent le système hormonal, ont aussi investi l’intérieur de nos habitations, comme l’explique l’auteur de cette tribune.

Ivan Fouquet, architecte engagé sur les questions environnementales, est membre de l’association ICEB et co-fondateur de la scop d’architecture ’fair’.


Des poissons qui changent de sexe, des grenouilles devenant fluorescentes sous l’effet de la pollution des rivières, des biberons au bisphénol A dangereux pour les bambins (et interdits en France depuis 2015), nous avons tous entendu parler des perturbateurs endocriniens : plus de 200 substances chimiques présentes dans de nombreux produits industriels et capables de dérégler notre système hormonal, avec des conséquences souvent irréversibles sur la fertilité, l’obésité, le diabète, l’autisme, la puberté précoce, l’hyperactivité, les cancers de la prostate et du sein…

La semaine dernière, l’association Générations futures a montré qu’on trouvait d’importants cocktails de ces substances même dans les cheveux des écolos Yannick Jadot, José Bové, Yann Arthus-Bertrand, Nicolas Hulot, etc. Parmi les promesses de campagne de la présidentielle, le candidat socialiste Benoît Hamon propose de les interdire dans l’alimentation. De même, le programme de Jean-Luc Mélenchon vise à « instaurer une politique de santé publique, de santé environnementale et de prévention (lutte contre la pollution, interdiction des pesticides…) »

La Commission européenne cherche à mettre en place la première règlementation au monde sur le sujet. Ce projet de règlementation a connu plusieurs ratés depuis 2013, notamment liés aux pressions des lobbies défendant les intérêts commerciaux des producteurs de plastiques et de pesticides. Mardi 28 février, les pays membres ont encore échoué à se mettre d’accord sur la définition des perturbateurs endocriniens.

Liste de 31 substances classées cancérogènes, mutagènes ou reprotoxiques 

Ces polluants sont partout. Mais ils ne sont pas seulement présents dans l’alimentation, les contenants alimentaires, les cosmétiques et autres produits de soins corporels : nos bâtiments, maisons, immeubles et mobiliers nous exposent aussi largement à ces polluants.

Chacun devrait savoir que l’air intérieur est abondamment pollué par les matériaux de construction, les produits de finition, le mobilier, les textiles : peintures, joints, adhésifs, produits d’étanchéité, enduits, tapis, bois composite… Tous émettent des substances plus ou moins toxiques et présentent des risques pour l’environnement ou la santé. On y retrouve les perturbateurs endocriniens, les formaldéhydes, ainsi que des composés organiques volatils (COV). Nous absorbons ces perturbateurs endocriniens présents dans les finitions ou piégés dans l’air intérieur par contact tactile ou par la respiration.

De nombreux perturbateurs endocriniens sont présents à l’intérieur des maisons.

Les sols en PVC, les moquettes, les dalles acoustiques, les rideaux de douche, les mousses isolantes, les fenêtres en PVC peuvent émettre des esters de phtalates (toxiques à la reproduction, utilisés principalement pour assouplir le PVC). On y trouve aussi des composés organo-étains (immunotoxiques utilisés pour stabiliser le PVC ou tuer les acariens).

Les composés perfluorés (PFC) (probablement cancérigènes, affectant la fertilité féminine, l’hyperactivité chez l’enfant et le taux de cholestérol), sont quant à eux utilisés dans les revêtements antitache, hydrofuge et antigraisse. On les retrouve dans les moquettes, canapés, textiles, vêtements imperméables type Gore-Tex, matériaux en Téflon, retardateurs de flammes, revêtements de conduits ou de câblage électrique.

Les peintures, les colles et les résines peuvent de leur côté contenir des paraffines chlorées à chaîne courte (cancérigènes, utilisées dans les plastiques, les peintures et le caoutchouc).

Les fabricants de mobilier et les produits électroniques emploient aussi des retardateurs de flamme au brome (ignifuges bromés, dits PBDE, qui imitent les hormones thyroïdiennes).

Il existe beaucoup d’autres substances nocives : en 2013, l’Agence nationale de sécurité sanitaire publiait la liste de 31 substances classées cancérogènes, mutagènes ou reprotoxiques utilisées pour la fabrication de mobilier, mais aussi de vernis ou de peinture…

Interdire l’utilisation du PVC 

Sans attendre une règlementation européenne, il est possible d’éviter la mise en œuvre de ces substances dans les bâtiments. Il faudrait interdire l’utilisation du PVC (largement utilisé pour les revêtements de sol plastique, les moquettes, les rideaux de douche et les fenêtres). Le PVC est déjà interdit en Suède, fortement réglementé en Allemagne (interdit à Berlin), en Autriche et au Danemark.

Si la qualité des peintures s’améliore, beaucoup contiennent encore de nombreuses substances nocives. Il est nécessaire aussi d’éviter les produits présentant des traitements imperméabilisants, antitache ou résistants aux flammes, tels que tissus, tapis, rideaux et coussins de mousse de polyuréthane. S’ils facilitent l’entretien, ils contiennent de nombreuses substances toxiques énoncées plus haut.

Des déchets de PVC. Ce matériau est déjà interdit en Suède, fortement réglementé en Allemagne (interdit à Berlin), en Autriche et au Danemark.

Il existe par ailleurs des solutions alternatives aux mobiliers chinois vendus par Ikea. Par exemple, la récupération de meubles anciens ou la fabrication en bois brut plutôt qu’en panneaux de particules.

Plus globalement, une réflexion plus poussée est indispensable aux concepteurs des bâtiments pour éviter ces polluants. Architectes, bureaux d’études et prescripteurs du bâtiment doivent mener des études approfondies sur tous les produits qu’ils emploient dans la construction. Il s’agit aussi de contrer le lobbying des fabricants de sols plastiques, de colles, de fenêtres en PVC, de polystyrène, etc.

La question des perturbateurs endocriniens, comme celle plus générale de la santé dans le bâtiment, est aussi devenue un enjeu de santé publique. Elle est tout aussi prioritaire que la question de l’énergie et des autres problématiques à résoudre (gros consommateur d’eau, de matière et principal producteur de déchets et de CO2.) Étudiée depuis plus de trente ans par les docteurs Suzanne et Pierre Déoux [1], la santé dans le bâtiment est un des défis majeurs du monde de la construction.

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