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« Le Soudan du Sud est dirigé par une bande de gangsters incompétents »

Pour l’historien Gérard Prunier, la famine qui frappe le plus jeune Etat de la planète est le résultat d’un processus de décomposition du pouvoir.

Propos recueillis par 

Publié le 01 mars 2017 à 09h27, modifié le 01 mars 2017 à 16h34

Temps de Lecture 4 min.

Des femmes et des enfants se font enregistrer pour bénéficier de la distribution de nourriture organisée par le Programme alimentaire mondial à Thonyor, au Soudan du Sud, le 26 février  2017.

La famine a été déclarée au Soudan du Sud lundi 20 février. Les Nations unies estiment que 100 000 personnes sont menacées dans l’Etat de l’Unité, dans le nord du pays. Cette situation marque une nouvelle étape dans la descente aux enfers du plus jeune Etat de la planète. Né en 2011 de la partition du Soudan, ce territoire où vivent 12 millions de personnes et qui possède d’importantes réserves pétrolières a sombré deux ans plus tard dans la guerre civile après que le président Salva Kiir s’était opposé à l’organisation d’élections. Selon les dernières évaluations de l’ONU, qui y déploie 13 000 casques bleus, 7 millions de personnes ont besoin d’aide humanitaire et 3,6 millions d’aide alimentaire d’urgence. Plusieurs millions de personnes ont été déplacées.

En décembre 2016, le conseiller spécial de l’ONU pour la prévention des génocides a alerté sur les crimes dont sont en particulier victimes les Nuer, l’ethnie de l’ancien vice-président Riek Machar, aujourd’hui en résidence surveillée en Afrique du Sud.

Fin connaisseur de la région, l’historien Gérard Prunier livre une analyse critique sur la fabrication de ce nouvel Etat et le nouveau drame qui le frappe aujourd’hui.

Comment expliquez-vous que ce tout jeune Etat porteur d’espoir pour les populations, qui s’affranchissaient de la tutelle du régime d’Omar Al-Bachir à Khartoum, a-t-il pu basculer dans un tel chaos ?

Gérard Prunier Le Soudan du Sud a été donné à une bande de gangsters incompétents et incapables de gérer un Etat. J’ai côtoyé beaucoup de mouvements de guérillas en Ouganda, en Somalie, en Erythrée, au Rwanda. Aucune n’a été aussi brutale envers sa population. Je les ai vus agir tout au long des années 1990. Ces « libérateurs » qui défiaient le pouvoir de Khartoum se comportaient comme des soudards. Ils pillaient les maisons, violaient les femmes, tuaient sans états d’âme ceux qui étaient en travers de leur chemin. Les observateurs étrangers connaissaient la vérité mais ils n’ont rien dit. Moi-même, je n’ai rien dit car nous pensions qu’après toutes les souffrances infligées aux populations du sud du Soudan par les Arabes de Khartoum, la partition du pays était inévitable.

« Riek Machar est assez intelligent pour savoir qu’à long terme la vertu paie mieux que le vice » Gérard Prunier

Portés au pouvoir, ils ont pu à leur guise puiser dans les caisses de l’Etat remplies par les revenus du pétrole et de l’aide internationale.

Quand cela-a-t-il dérapé ?

Dès 2011, la situation a commencé à se dégrader mais quand, en décembre 2013, le président Salva Kiir a limogé le gouvernement de Riek Machar et refusé l’organisation d’élections, tout a explosé. Des massacres ont eu lieu contre des soldats nuer [l’ethnie de Riek Machar] par les Dinka [l’ethnie de Salva Kiir]. Ce sont les deux principales ethnies composant l’armée mais les Dinka, qui constituaient le gros des troupes de l’armée de libération, SPLA (Sudan People’s Liberation Army), ont toujours considéré que le pays leur appartenait. Lorsque le prix du baril du pétrole était élevé, ils n’avaient pas besoin de piller. Avec une solde à 300 dollars par mois, ils étaient parmi les soldats les mieux payés d’Afrique. Mais les cours ont chuté, la production également, et l’inflation dans le pays s’est envolée. Le pillage est généralisé. Ils volent la nourriture, les voitures, violent les femmes…

Ces pillages sont-ils organisés par le sommet de la hiérarchie militaire ?

Non, les officiers n’encouragent pas ces pillages ni ces violences. Mais le pays est en état de désagrégation et d’anarchie. C’est la guerre de tous contre tous. Les Nuer ont fui dans les Etats où les Dinka sont peu présents, comme l’Etat de l’Unité ou du Haut-Nil. Les provinces d’Equatoria, dans le sud du pays, les plus fertiles, sont à leur tour la cible des pillages et c’est pour cela que la famine est apparue. Les soldats ont brûlé une partie des récoltes et les produits ne circulent plus. La situation sur le terrain est très complexe. Ces ethnies de plus petite taille comme les Zandé, les Madi, les Pojulu, sont entrées en rébellion. Le bilan officiel depuis le début de la guerre civile est de 80 000 morts, mais je ne serais pas surpris qu’il atteigne 300 000, voire 500 000 morts. Comme dans tous les conflits de ce type, 80 % des victimes meurent d’épuisement, de faim, de maladies. Pas dans les combats.

  • Un garçon observe les colis largués par un avion du Programme alimentaire mondial, près du village de Rubkai, au Soudan du Sud, le 18 février.

    Un garçon observe les colis largués par un avion du Programme alimentaire mondial, près du village de Rubkai, au Soudan du Sud, le 18 février. SIEGFRIED MODOLA / REUTERS

  • Près du village de Rubkai, au Soudan du Sud, le 18 février. Quatre jours plus tard, Antonio Guterres, le secrétaire général de l’ONU, a tenu une conférence de presse, pointant le risque de famine dans plusieurs pays du monde et soulignant en particulier la gravité des cas somaliens et sud-soudanais. « Nous sommes face à une tragédie ; nous devons éviter qu’elle devienne une catastrophe », a-t-il lancé, rappelant que tout est encore « évitable si la communauté internationale prend des actions décisives ».

    Près du village de Rubkai, au Soudan du Sud, le 18 février. Quatre jours plus tard, Antonio Guterres, le secrétaire général de l’ONU, a tenu une conférence de presse, pointant le risque de famine dans plusieurs pays du monde et soulignant en particulier la gravité des cas somaliens et sud-soudanais. « Nous sommes face à une tragédie ; nous devons éviter qu’elle devienne une catastrophe », a-t-il lancé, rappelant que tout est encore « évitable si la communauté internationale prend des actions décisives ». SIEGFRIED MODOLA / REUTERS

  • Près de Thonyor, au Soudan du Sud, le 24 février.

    Près de Thonyor, au Soudan du Sud, le 24 février. SIEGFRIED MODOLA / REUTERS

  • Une femme attend son inscription à la distribution de nourriture, près de Thonyor, le 25 février.

    Une femme attend son inscription à la distribution de nourriture, près de Thonyor, le 25 février. SIEGFRIED MODOLA / REUTERS

  • Thonyor (Soudan du Sud), le 26 février. Face à l’urgence, l’ONU, par l’intermédiaire de son Bureau de la coordination des affaires humanitaires, a lancé courant février deux appels pour lever des fonds afin de récolter 825 millions de dollars (780 millions d’euros) pour venir en aide aux plus vulnérables en Somalie et 1,6 milliard de dollars pour le Soudan du Sud.

    Thonyor (Soudan du Sud), le 26 février. Face à l’urgence, l’ONU, par l’intermédiaire de son Bureau de la coordination des affaires humanitaires, a lancé courant février deux appels pour lever des fonds afin de récolter 825 millions de dollars (780 millions d’euros) pour venir en aide aux plus vulnérables en Somalie et 1,6 milliard de dollars pour le Soudan du Sud. SIEGFRIED MODOLA / REUTERS

  • Thonyor (Soudan du Sud), le 26 février. Malgré la sécheresse qui frappe le sud-est du pays, la famine est d’abord d’origine humaine, fruit d’un conflit meurtrier qui ravage le pays depuis quatre ans.

    Thonyor (Soudan du Sud), le 26 février. Malgré la sécheresse qui frappe le sud-est du pays, la famine est d’abord d’origine humaine, fruit d’un conflit meurtrier qui ravage le pays depuis quatre ans. SIEGFRIED MODOLA / REUTERS

  • « Le groupe Al-Chabab n’est pas le seul acteur de ce conflit, déplore George Fominyen, porte-parole du Programme alimentaire mondial au Soudan du Sud. Une multitude de groupes armés incontrôlables aux alliances mouvantes sont impliqués. Cela nous empêche de nous rendre dans plusieurs régions où nous sommes encore obligés de larguer les vivres par avion. »

    « Le groupe Al-Chabab n’est pas le seul acteur de ce conflit, déplore George Fominyen, porte-parole du Programme alimentaire mondial au Soudan du Sud. Une multitude de groupes armés incontrôlables aux alliances mouvantes sont impliqués. Cela nous empêche de nous rendre dans plusieurs régions où nous sommes encore obligés de larguer les vivres par avion. » SIEGFRIED MODOLA / REUTERS

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Quel rôle joue Riek Machar ?

Il n’a aucun contrôle sur ce qui est en train de se passer. Il se trouve en résidence surveillée en Afrique du Sud depuis juillet 2016 après avoir fui pour échapper à une tentative d’assassinat. Il est loin d’être sans torts, mais je continue de penser qu’à condition de l’encadrer fermement, il est certainement l’un des seuls à pouvoir remettre ce pays sur une route qui aille quelque part. Riek Machar est assez intelligent pour savoir qu’à long terme la vertu paie mieux que le vice. Il faut être conscient de ce qu’est le Soudan du Sud. C’est l’un des endroits les plus arriérés de l’Afrique. Ces populations ont toujours été négligées. Elles n’ont reçu aucune éducation.

Les Nations unies ont dénoncé « une des guerres civiles parmi les plus horribles du monde ». Peuvent-elles faire quelque chose ?

Je ne crois plus aux initiatives internationales. Les Américains ont voulu ce pays mais ils n’ont rien vu de ce qui se jouait. Leur responsabilité dans la situation actuelle est massive. La paix est aujourd’hui impossible.

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