Chine : le confucianisme numérique
Le libéralisme défini par Friedrich Hayek (1889-1992), prix Nobel d’économie (1974), appelle à soumettre la subjectivité démocratique à la loi naturelle des mécanismes de marché. Les chiffres économiques ne sont plus des indicateurs mais des vérités absolues auxquelles il convient de se soumettre. Peu de temps avant sa mort, Hayek prédisait l’essoufflement du politique face à l’endettement exponentiel des États condamnant inexorablement toute forme de filet de protection sociale. Pour affronter cette faillite, Hayek appelle de ses vœux la fin de la « démocratie illimitée » et le basculement vers un « gouvernement aristocratique libéral ». L’entrée de la Chine dans la mondialisation à la fin des années 1990 est précisément le résultat du mariage du libéralisme et de la technocratie confucéenne, produisant une vision certes méritocratique mais également « dirigiste » du développement économique.
Confucius préconisait dès le VIème avant Jésus-Christ, la direction des affaires publiques par des administrateurs sélectionnés au mérite. Les grands mandarins travaillant au service de l’empereur sont ainsi sélectionnés par voie d’examen à partir de l’an 605 de notre ère. La Chine actuelle se veut être dans la continuité de cette méritocratie dirigiste qui incarne selon les gouvernants chinois les « valeurs asiatiques ».
Le numérique comme vecteur d’encadrement social
Il ressort de ce corpus législatif, que la publication de contenus portant atteinte à « l’honneur national » ou « troublant l’ordre économique et social » est sanctionnée. Les plateformes numériques sont désormais tenues de s’assurer de l’identité des internautes qui ne sauraient se cacher derrière des pseudonymes pour « propager des rumeurs ». En cas de demande gouvernementale, les entreprises technologiques sont tenues de partager leurs clefs de chiffrement des communications. Enfin, les données commerciales et les données personnelles doivent être stockées et traitées en Chine ; tout flux sortant du territoire est soumis à autorisation administrative préalable.
La réduction du champ de l’imprévisible
Conceptualisée en 1956 avec les travaux du mathématicien Alan Turing, l’intelligence artificielle combine les mathématiques et l’algorithmique afin de doter les machines de capacités cognitives proches de l’esprit humain. Avec l’apparition des techniques « d’apprentissage profond » (« deep learning »), la programmation s’inspire des neurosciences. Les machines sont mises en réseau sur le modèle des neurones et synapses du cerveau humain. Elles sont alors laissées libres de découvrir et de tirer des conclusions des masses de données mises à disposition. Les ordinateurs apprennent désormais à penser de manière autonome.
Sur cette base, les techniques de ciblage publicitaire s’affinent pour augmenter la probabilité de l’acte d’achat. Dans le domaine de la médecine, l’analyse du génome et des comportements humains permet de probabiliser le risque de certaines maladies. Les systèmes de traitement automatisés du langage donnent naissance à des assistants virtuels dotés de capacité de dialogues toujours plus poussées. Enfin, application emblématique de l’intelligence artificielle, le véhicule s’affranchit désormais de son conducteur.
Derrière ces applications, se dessine la volonté de créer des mécanismes de réduction de l’incertain et du doute. Puisque la quantité d’informations nécessaires pour prédire un événement est égale au logarithme de l’inverse de sa probabilité (Claude Shannon), le traitement du déluge de données numériques par des algorithmes toujours plus perfectionnés est appelé à réduire l’imprévisible. Le numérique est donc aujourd’hui érigé comme une sorte de « surmoi » ayant la vertu d’optimiser et de prédire la vie humaine (lire Eric Sadin, la Silicolonisation du monde – l’irrésistible expansion du libéralisme numérique, 2015).
L’intelligence artificielle, les algorithmes et plus généralement les modèles d’affaires numériques s’inscrivent dans une quête d’inspiration confucéenne et libérale (au sens d’Hayek) d’une machine à gouverner automatisée et structurée par les lois objectives de la probabilité (voir La Gouvernance par les nombres d’Alain Supiot, 2015). La croissance et les modalités de gouvernance chinoises ont et auront plus que jamais le numérique pour ossature.
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