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Humiliation, exploitation... le calvaire des étudiants à l’hôpital

Une centaine d’élèves infirmiers, aides-soignants ou internes en médecine dénoncent dans un livre les « violences gratuites » infligées par leur hiérarchie.

Par  et

Publié le 02 mars 2017 à 06h39, modifié le 02 mars 2017 à 16h33

Temps de Lecture 4 min.

Ayant eux-mêmes connu de très fortes charges de travail lorsqu’ils étaient internes, certains chefs de service reconnaissent parfois sous-évaluer le phénomène de la souffrance des étudiants en santé.

Humiliation, déshumanisation, exploitation… La formation des soignants à l’hôpital peut parfois ressembler à une « descente aux enfers ». C’est cette maltraitance au cœur d’un lieu pourtant consacré aux soins qu’ont accepté de raconter une centaine d’élèves infirmiers, aides-soignants ou internes en médecine dans Omerta à l’hôpital (éditions Michalon, 320 pages, 21 euros), de Valérie Auslender, médecin généraliste attachée à Sciences Po. L’ouvrage sort en librairie jeudi 2 mars.

De façon anonyme, tous exposent la façon dont ils ont pu se voir interdire d’aller aux toilettes, de s’asseoir ou de déjeuner, comment ils ont été victimes de harcèlement moral, d’abus de pouvoir, de violences verbales ou physiques, ou encore de sexisme.

« Peur et dégoût »

« Les violences en stage, on n’en parle même plus après quelques années, ça fait partie du tout, du pack “études de médecine” et de toutes les épreuves que ça comprend », témoigne une interne en médecine, qui dénonce les « violences gratuites » exercées par la hiérarchie. « Je peux vous assurer que si j’avais su tout ce qui m’attendait, jamais je n’aurais ne serait-ce que songé à passer ces fichus concours », confesse une étudiante infirmière pour qui les trois années de formation ont carrément été un « supplice ». Un médecin généraliste se souvient, pour sa part, de l’un de ses stages d’internat comme d’un « milieu de travail hostile », où il avait « peur et dégoût » à se rendre le matin.

Bien sûr, tous les étudiants en santé n’ont pas été confrontés à de telles situations de souffrance, aiguës et destructrices. « Ces témoignages ne peuvent avoir de valeur généralisatrice, car ces violences n’ont pour l’instant jamais fait l’objet de véritables enquêtes chiffrées d’envergure mais ils sont symptomatiques de la souffrance des soignants due à la dégradation de leurs conditions de travail », explique Valérie Auslender. Mais dans le secteur, l’existence de telles situations – même minoritaires – ne semble étonner personne.

« Manque de formation des tuteurs »

En 2015, plus de 85 % des étudiants infirmiers qualifiaient de « violentes » les relations avec les équipes encadrantes, rappelle Clément Gautier, le président de la Fédération nationale des étudiants en soins infirmiers, le syndicat qui avait mené ce sondage auprès de 3 500 étudiants infirmiers. En cause, selon lui, un « manque de formation des tuteurs de stage dans les hôpitaux », qui est venu s’ajouter à des conditions de travail déjà dégradées.

En renforçant le rôle des encadrants dans l’apprentissage des pratiques, la refonte des études d’infirmiers de 2009 a amené les étudiants à interroger, plus qu’avant, les pratiques de soins, et donc à poser plus de questions aux titulaires. Consacrer du temps aux stagiaires « peut être considéré comme de l’énergie perdue dans des équipes qui manquent déjà d’énergie », commente Bénédicte Lombart, infirmière, cadre de santé et docteure en philosophie pratique et éthique hospitalière.

La parole est plus retenue du côté des directeurs d’institut de formation en soins infirmiers et pour les aides-soignants dont sont issus ces étudiants. « Ces situations n’arrivent pas si souvent que cela », relativise Florence Girard, directrice de l’établissement d’Ussel (Corrèze) et présidente de l’Association nationale des directeurs d’école paramédicale.

Très fortes charges de travail

En cas de difficultés récurrentes d’encadrement dans un même service, après une écoute attentive des étudiants « il peut nous arriver de fermer un terrain de stage alors même que c’est une denrée précieuse », concède-t-elle. Reste qu’il n’est pas toujours facile pour l’étudiant de témoigner quand les équipes encadrantes doivent valider, à la fin du stage, les compétences acquises…

La situation des étudiants en médecine n’est pas plus enviable. « L’internat repose beaucoup sur le compagnonnage et le donnant-donnant, commente Olivier Le Pennetier, président de l’Intersyndicat national des internes. Ceux qui peuvent exercer ces pressions psychologiques sont aussi ceux qui vont leur apprendre leur métier. »

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Ayant eux-mêmes connu ces très fortes charges de travail lorsqu’ils étaient internes, certains chefs de service reconnaissent parfois sous-évaluer le phénomène. « Il faut dire que nous avons connu des services avec des patrons tout-puissants qui se comportaient comme Dieu sur Terre, une charge de travail monumentale et des horaires déments », constate Didier Samuel, chef du service d’hépatologie à l’hôpital Paul-Brousse et doyen de la faculté de médecine de Paris-Sud.

Une enquête sur l’état de santé des étudiants et jeunes médecins publiée par le Conseil national de l’ordre des médecins, en juin 2016, a en partie permis de révéler l’ampleur du problème côté internes. Alors que leur temps de travail à l’hôpital est désormais théoriquement plafonné à quarante-huit heures par semaine, plus de la moitié (56 %) des 4 000 internes ayant répondu au questionnaire disait dépasser ce plafond hebdomadaire. Près d’un quart (23,5 %) d’entre eux jugeait, par ailleurs, leur état de santé mauvais ou moyen, et 14 % reconnaissaient avoir déjà eu des pensées suicidaires.

Lire notre entretien avec Jean-Luc Dubois-Randé : La maltraitance des étudiants de santé, « une problématique ancienne »

« Humiliation fréquente et acceptée »

Le milieu hospitalier « est, de fait, dur et peu tolérant avec les plus faibles », commente le cardiologue Jean-Luc Dubois-Randé, doyen de la faculté de médecine de l’université Paris-Est-Créteil et président de la conférence des doyens de médecine, qui juge que « l’humiliation y est fréquente et a été longtemps acceptée. » La parole est aujourd’hui plus libre, mais, selon lui, il existe encore « peu de lieux d’échanges en dehors de la classique médecine du travail » et de certaines initiatives locales.

« La bonne nouvelle, c’est que l’on parle plus qu’avant de la qualité de vie au travail », assure le docteur Rémi Salomon, chargé de cette question au sein de la commission médicale d’établissement de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris. Parmi les pistes d’amélioration envisagées, il estime qu’« il faudrait que les chefs de service aient une formation au management au moment de leur nomination ». Une formation qui figure au programme de la « stratégie nationale d’amélioration de la qualité de vie au travail » à l’hôpital annoncée par la ministre de la santé, Marisol Touraine, en décembre 2016. Un plan qui pourrait vite montrer ses limites au regard de l’impact des économies demandées chaque année au secteur.

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