Décryptage

Caméras piéton dans la police : la grande improvisation

Le ministre de l'Intérieur, Bruno Le Roux, a annoncé une expérimentation pour «apaiser» les relations entre les forces de l'ordre et la population. Mais cette vieille idée, confrontée à de nombreux obstacles techniques, aura du mal à atteindre les objectifs agités par l'exécutif.
par Ismaël Halissat
publié le 1er mars 2017 à 19h15

A partir de ce mercredi débute une nouvelle expérimentation de caméras piéton dans la police et la gendarmerie pendant un an. L'annonce concerne 23 zones de sécurité prioritaires (ZSP). Cet équipement est promu par le gouvernement comme capable «d'apaiser» les relations entre les forces de l'ordre et la population et de se substituer au récépissé de contrôle d'identité, engagement de campagne abandonné de François Hollande. Accrochés à la veste ou au gilet des agents, ces caméras sont devenues un véritable totem de communication pour les successifs ministres de l'Intérieur. Derrière les annonces, on retrouve surtout beaucoup d'imprécisions et de fausses promesses.

Qu’est-ce qui change à partir du 1er mars ?

Une nouvelle expérimentation a été prévue par les lois du 3 juin 2016 et du 27 janvier 2017. Ainsi qu'un décret du 23 décembre 2016. D'autres détails pour la mise en œuvre sont actuellement en cours d'examen dans un projet de décret transmis au Conseil d'Etat. A l'issue de cette expérimentation, «les directeurs généraux de la police et de la gendarmerie […] remettront au ministre de l'Intérieur un rapport d'évaluation sur l'impact de ces enregistrements systématiques sur le déroulement des interventions», précise un communiqué de Beauvau. Parmi les 23 sites retenus, figurent notamment des ZSP à Paris intra-muros, en petite et grande couronnes, ainsi que dans des départements comme la Haute-Garonne ou bien les Alpes-Maritimes». Les contrôles d'identité y seront en théorie enregistrés automatiquement, a annoncé Bruno Le Roux, alors qu'une première version prévoyait que cela relevait du choix du policier.

Un télégramme interne signé de Jean-Marc Falcone, directeur général de la police nationale, précise cependant que le déclenchement reste «manuel» et qu'en cas d'«impossibilité matérielle de procéder à l'enregistrement en raison d'un dysfonctionnement de la caméra ou d'une capacité insuffisante d'enregistrement, [cela] ne fait pas obstacle à la réalisation du contrôle d'identité et n'affecte pas sa régularité».

Comment cette nouvelle expérience a-t-elle été préparée ?

Pour l'instant, le service des achats du ministère de l'Intérieur n'a pas lancé de nouvel appel d'offres pour cette expérimentation. Seulement 2 600 caméras équipent aujourd'hui les forces de l'ordre en France, soit une infime minorité des effectifs de policiers et de gendarmes. Une inertie d'autant plus étrange que l'équipement actuel n'est pas conforme aux exigences fixées en termes de confidentialité, l'accès aux images n'étant pas sécurisé. Le directeur d'Exavision, Eric Nascimben, société qui a fourni une grande partie de ces caméras, a pourtant proposé au ministère un remplacement du parc pour se conformer au décret adopté en décembre : «Pour l'instant, nous n'avons pas reçu de réponse. En 2011, à l'époque de l'appel d'offres que nous avons remporté, il n'y avait pas cette exigence de confidentialité dans le cahier des charges. Les images des caméras qui équipent les policiers peuvent être lues avec n'importe quel logiciel.» Le ministre a annoncé qu'il y aurait une commande prochainement pour au moins doubler le nombre de ces caméras, sans plus de détails.

Si tout le monde semble avoir été pris de court, l'annonce d'une «généralisation» de ces caméras piéton n'est pas nouvelle. Depuis des années, le gouvernement en a fait son principal argument de communication pour l'amélioration des rapports entre la police et la population. Il y a plus de dix ans, la police «expérimentait» déjà la prise d'images lors d'intervention. Un agent était chargé de jouer les cadreurs avec un caméscope.

Pourquoi les caméras piéton ne peuvent-elles pas remplacer le récépissé ?

En juin, quand le projet de récépissé lors des contrôles d'identité a été définitivement enterré, le gouvernement avait assuré que les caméras piéton allaient s'y substituer. C'est également ce que répétait le ministre de la Jeunesse, de la Ville et des Sports, Patrick Kanner, dans une récente tribune publiée par Libération, sans préciser les détails techniques. C'est pourtant impossible en l'état. Premièrement, le parc de caméras piéton est très loin de permettre d'enregistrer chaque action de la police en France. Par ailleurs, les règles d'accès aux images pour les personnes contrôlées sont particulièrement compliquées. La Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) avait demandé au gouvernement de garantir un accès direct aux vidéos. Elle n'a pas été suivie. Le récépissé, à l'inverse, permettrait aux personnes contrôlées de prouver facilement la matérialité de la fréquence des vérifications d'identité.

Une enquête de Mediapart démontre que le déploiement de ces caméras répond avant tout aux attentes des policiers. Dans les quelques études permettant à Bruno Le Roux d'affirmer que cet équipement contribue «très largement au bon déroulement des interventions», seul le ressenti des agents est questionné.

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