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Bernard Pivot : «Twitter, c'est la liberté et la démocratie»

L'écrivain Bernard Pivot publie La mémoire n'en fait qu'à sa tête chez Albin Michel. KENZO TRIBOUILLARD/AFP

INTERVIEW - Le président de l'académie Goncourt est un fidèle adepte du réseau social. Il revient pour Le Figaro sur sa passion pour la langue française et nous divulgue ses conseils pour publier de bons mots en 140 caractères.

«Ce qui se conçoit bien, s'énonce clairement», disait un jour Nicolas Boileau. École de la concision, du divertissement et de l'exercice stylistique, Twitter a tous les attributs pour honorer les préceptes de l'ancien écrivain dix-septièmiste.

Ce n'est pas Bernard Pivot qui dira le contraire. le maître ès aphorisme manie comme nul autre l'art de la rhétorique en 140 signes sur Twitter. Plus qu'un support créatif, le réseau social est la représentation et la pratique virtuelle de la «démocratie».

Le président de l'académie Goncourt, auteur de Les Tweets sont des chats et de La mémoire n'en fait qu'à sa tête, publié en février par Albin Michel, revient pour Le Figaro sur cette agora qui permet «la contrainte créative».

LE FIGARO - Vous tweetez sur tout type de sujet: l'orthographe, les écrivains, le sport, la nourriture, l'actualité et même la politique. D'où vous vient cette passion pour le réseau social?

Bernard Pivot - Je me rappelle très bien quand cela a commencé. C'était au lendemain de Noël, en 2013 ou 2014. J'étais dans ma maison de famille du Beaujolais et je m'interrogeais sur le printemps arabe. «Comment font tous ces gens pour se retrouver à un même endroit sans se confronter à la police?» L'un de mes gendres, qui est très féru de réseaux sociaux, m'a répondu qu'ils parvenaient tous à se rejoindre grâce à Twitter. Cela m'a fasciné et je me suis laissé prendre au jeu. La diffusion du message instantané est impressionnante.

« Ce qui m'intéresse avec Twitter, c'est l'exercice de style et l'exercice mental »

Que représente Twitter pour vous?

Twitter est un réseau choral qui n'est composé que de choristes. C'est un réseau avec des centaines de milliers de gens mais déconnectés les uns des autres. Il nous permet de rester chez nous. C'est formidable. Vous faites ce que vous voulez. C'est la pleine liberté et la démocratie.

Vos tweets répondent à un exercice stylistique très codifié. Vous ne faites ni apocope, ni abréviation. Vous respectez toujours la syntaxe, l'orthographe, la grammaire... Comment composez-vous vos tweets?

Tout est possible. Le matin ou le soir. Dans le train, en lisant la presse, en écoutant la radio, en regardant la télévision... D'un seul coup je tombe sur un mot et je le note. Parfois j'écris mon tweet tout de suite. Tenez, prenez le tweet que j'ai fait sur le match de football du Psg-Barça (l'interview a été réalisée le 14 février dernier, ndlr). J'ai écrit: «Le très grand exploit du PSG, c'est d'avoir donné tort, un soir de la Saint-Valentin, aux couples qui avaient choisi le dîner amoureux.» Les couples amoureux qui avaient choisi de dîner ensemble et de ne pas rester devant leur poste de télévision ont eu tort! C'était une première et je l'ai fait remarquer dans mon tweet.

Toutefois, j'écris mes tweets, en général, le matin car j'ai l'esprit frais. C'est très agréable. Je me réveille vers 7h, je prends mon café, j'écoute la radio et je compose. Cela me prend environ trois quarts d'heure par jour.

Vous arrive-t-il d'écrire vos tweets en amont, sur du papier?

Il m'arrive d'écrire mes tweets sur le papier mais ce n'est pas toujours le cas. Quand ils concernent les politiques, je les rédige avant de les poster. En revanche, quand il est question d'un mot ou d'un jeu de mots, je l'écris directement. Prenez le tweet sur François Fillon par exemple: «Il croyait avoir une main sur le manche du pouvoir alors que ce n'était déjà plus que la queue d'une casserole.» À l'origine, le texte était trop long. Je l'ai donc écrit sur du papier pour le ramener aux bonnes dimensions.

Justement, que pensez-vous des 140 caractères imposés par Twitter?

Je trouve cela formidable. S'il n'y avait pas 140 signes, je ne serais pas sur Twitter. Ce qui m'intéresse, c'est à juste titre l'exercice de style et l'exercice mental. L'exercice de style m'oblige à respecter la syntaxe, l'orthographe, la grammaire, la ponctuation, etc. L'exercice mental m'astreint à retenir une idée, une image, un mot, une saillie et à en faire un tweet. Il m'est rarement arrivé de penser que le fait de s'exprimer en 140 signes était un affadissement ou une entrave à la liberté.

« Que vos tweets soient à votre image ! »

C'est donc une contrainte créative...

Oui, je retrouve avec Twitter le jeune garçon que j'étais lorsque je travaillais au Figaro Littéraire. Quand je devais écrire trois, quatre, cinq lignes et ôter les mots qui dépassaient... Ça, ça m'a tout de suite plu. J'aime cette idée de résumer une pensée et y mettre de l'humour. Écrire un tweet, pour moi, c'est comme avoir une sorte de déclic.

Quel conseil donneriez-vous pour faire un bon tweet?

Cela dépend de ce que l'on en attend. En ce qui me concerne, lorsque je tweete, je compose des textes qui me ressemblent. On y retrouve ce que je suis, des mots un peu ironiques, un peu drôles, un peu loufoques, un peu sérieux. Donc, si j'avais un bon conseil, je dirais: «Qu'il soit à votre image!»

Dans votre nouveau livre La mémoire n'en fait qu'à sa tête (Albin Michel) vous résumez en une dizaine de quatrains autant d'œuvres classiques. Un prodige! Seriez-vous capable d'en faire de même vous concernant? Cette fois-ci en vous limitant à un mot...

Si je savais me résumer en un mot, cela voudrait dire que je ne suis pas très énigmatique. Ou alors, si j'en étais capable, le mot choisi serait faux. Je ne peux pas dire «Lyonnais» par exemple, même si je viens de Lyon. Paris m'a bien trop transformé. En revanche, je ne peux pas non plus dire «Parisien», car ce n'est pas vrai. Non, un mot, c'est trop réducteur. Toutefois, je pense que je pourrais me résumer en 140 signes...

Et si vous étiez en mesure de changer un mot de la langue française, lequel choisiriez-vous?

Je voudrais bien mettre un accent circonflexe sur le mot «amour». Ainsi, les jeunes gens sauraient que l'amour monte, arrive à un point culminant et ensuite, fatalement redescend.

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