« En 2050, les bidonvilles accueilleront 3 milliards d’habitants »

En Afrique du Sud , la ville du Cap compte nombre de quartier précaires. [Andrea Willmore/shutterstock.com]

Pierre-Arnaud Barthel est chef de projet de la division Collectivités locales et développement urbain à l’Agence Française de Développement. Il participera jeudi 16 mars à la conférence ID4D « Slum is beautiful ? Repenser les quartiers précaires» organisée à Paris par l’AFD. Cette interview est publiée en partenariat avec le blog de réflexion sur le développement ID4D.

Comment peut-on définir la notion de bidonville ?

Il y a une définition de l’ONU Habitat qui cible une zone dotée d’un accès insuffisant à l’eau, à l’assainissement, où la structure du logement est très faible avec des matériaux de construction peu solide et qui est en surpopulation.

À l’inverse, certains vocabulaires stigmatisent, comme « quartiers illégaux », « favelas », tandis que certaines dénominations sont plus douces comme en Tunisie  qui utilise le terme « quartiers populaires ».

En revanche, à l’Agence française de développement, nous utilisons davantage la notion de quartier précaire, qui permet d’envisager toutes les formes d’exclusion : l’exclusion urbaine, c’est-à-dire des quartiers mal desservis et mal raccordés aux zones d’emploi. Des quartiers d’exclusion sociale, mais aussi d’exclusion foncière, où les habitants ont peu ou pas accès  à la propriété foncière. L’exclusion du système de fiscalité et enfin l’exclusion environnementale.

Le dénominateur commun à toutes les formes du quartier précaire, c’est l’absence de réponses sociales, par exemple au travers du logement social. Comme il n’y a pas d’offre légale adaptée aux moyens des familles, les habitants créent de manière non planifiée leur propre quartier. Et parfois faute de place, les gens choisissent des zones  précaires pour s’installer, comme le bord de rivières, ou le bord des falaises comme à Rangoun et Addis-Abeba, ce qui ajoute la précarité  environnementale aux autres formes de précarités.

Ce phénomène des quartiers précaires touche tous les continents, des plus développés comme l’Europe, comme ceux en voie de développement comme l’Afrique ou l’Asie. La précarité urbaine est-elle déconnectée du niveau de développement ?

Oui, c’est un phénomène mondial. Les bidonvilles sont  d’ailleurs réapparus dans l’hémisphère Nord, et surtout en Europe dans les années 2000. Les quartiers précaires ont une racine commune au Nord et au Sud, qui sont les logiques de spéculation de financiarisation de l’immobilier. Ces pratiques ont accentué l’iniquité dans l’accès au logement et raréfié les offres adaptées aux moyens des familles. La faiblesse de la réponse publique et l’accentuation des migrations sont aussi des explications communes.

Aujourd’hui, on estime qu’un milliard d’habitants vivent dans les quartiers précaires dans le monde. Cette population a tendance à s’accroitre,  et va vers les 3 milliards d’habitants en 2050,  en corrélation avec la courbe de l’urbanisation qui s’accentue.

Cependant, les pays les plus affectés par le phénomène des quartiers précaire sont les pays les moins avancés (PMA) et les pays en crise. Par exemple au Tchad, au Soudan, ou en Centrafrique, qui font partie des pays les plus pauvres du monde, 90% de la population urbaine vit dans des quartiers précaires. Dans les pays plus développés, la proportion de la population urbaine vivant dans des quartiers précaires oscille entre 30 à 60%. Le niveau de développement d’un pays et le nombre d’habitants vivant dans des quartiers précaires sont largement corrélés.

Quel rôle jouent les politiques foncières de la puissance publique dans le développement des bidonvilles ?

Il y a des solutions pour régulariser les habitants de ces quartiers en leur donnant des titres de propriété. Mais il y a surtout un travail sur la planification des villes à effectuer : aider les villes à avoir des outils  de gestion de l’espace public plus transparents, des règles de construction plus claires, sur ce qui devrait être constructible ou non par exemple. Accompagner les villes c’est justement le rôle des banques de développement comme l’AFD.

Concrètement, quelle réponse faut-il apporter : raser ces quartiers pour construire des nouveaux logements plus solides et plus sains, ou chercher à améliorer les conditions de vie des populations de ces quartiers ?

Notre approche à l’AFD a été assez militante sur ce sujet. Nous faisons partie des bailleurs qui poussent depuis le début des années 2000, pour la remise à niveau et le développement in situ, et non pour la logique de la démolition. Cependant, lorsqu’on se retrouve face à un quartier précaire construit sur un étage en plein milieu d’une ville, il y a une certaine contradiction. Nous défendons une mise à niveau des quartiers, mais aussi une ville dense pour des raisons de durabilité. Mais ce sont des quartiers très évolutifs, donc l’idée c’est d’accompagner leur évolution.

Les  quartiers précaires répondent aussi au besoin de logement accessible d’une partie de la population urbaine. Sans eux, la puissance publique est-elle capable de répondre aux besoins de logement grandissants ?

Aujourd’hui, le quartier précaire est un mode d’urbanisation dominant. Dans certains pays, ce que construisent les habitants et les lotisseurs clandestins est parfois plus efficace que les politiques publiques. Dans certaines situations, heureusement que les quartiers précaires existent. Par exemple, sans les quartiers précaires, la ville du  Caire serait déjà deux fois plus étalée ! Si on pousse le raisonnement, les quartiers précaires sont parfois plus économes en ressources et en densité.

La réponse publique, c’est parfois des villes nouvelles dans le désert, mal insérées, loin des zones d’emploi. Certains projets de logement public, quand ils existent, visent plutôt des logements de masse loin des zones d’emploi et consomment beaucoup de foncier. Cela permet de faire la démonstration que sans planification, on peut quand même loger la planète.

Le quartier précaire, c’est une forme d’avenir dans la construction urbaine, ce qui est important c’est qu’ils soient ensuite accompagnés par la puissance publique, et qu’ils soient raccordés au reste de la ville.

Le quartier précaire, c’est une réponse qui a sa logique. C’est aussi une réponse qui a ses limites. Au Caire, dans le quartier d’Imbaba, la production du quartier s’est faite de manière efficace, progressive et adaptée aux moyens des gens. Mais sa limite est qu’il a été rattrapé par l’urbanisation. Certains quartiers précaires qui étaient en périphéries se retrouvent ensuite en ville, ce qui entraine des phénomènes de congestion. Il faut alors  démolir certaines habitations pour retracer le quartier.

L’expansion non contrôlée de ces quartiers ne risque-t-elle pas à terme de créer de mégalopoles  impossibles à connecter ?

Une ville mourra d’elle-même si elle n’a pas de mobilité. Il y a une solution sur laquelle les villes essaient de travailler pour enrayer l’expansion urbaine, notamment des capitales qui peuvent atteindre 20, 22 ou 25 millions d’habitants.  Il s’agit de la  politique pour développer les villes intermédiaires. Dans ce cadre, il faut travailler sur le volet emploi, car les gens qui migrent vers les capitales économiques le font pour trouver un emploi. Il faut aussi  travailler sur le renforcement des réseaux et des services de base de ces villes secondaires.

Par exemple, en Éthiopie, le gouvernement développe des parcs industriels thématiques dans différentes régions du pays. C’est une initiative qui vise à créer de l’emploi hors de la capitale, Addis-Abeba qui compte aujourd’hui 4 millions d’habitants, et en comptera 8 millions d’ici 10 ans.

Cela n’empêchera pas la création de quartiers précaires, car ils se développeront aussi dans les villes secondaires, mais cela limitera les mégalopoles.

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