Écoutez le premier disque de jazz enregistré il y a pile un siècle

Formé de cinq musiciens blancs, l'Original Dixieland Jazz Band enregistre son 78 tour à Chicago. Ils connaîtront un triomphe mondial.

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Écoutez le premier disque de jazz enregistré il y a pile un siècle
Écoutez le premier disque de jazz enregistré il y a pile un siècle

Temps de lecture : 4 min

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Le 26 février 1917, une bande de musiciens s'engouffre dans les studios du label Victor Talking Machine Company, à Chicago, pour enregistrer le premier disque de jazz de l'histoire. Stupeur, ils sont blancs de chez blancs ! Le cornettiste est blanc, le pianiste est blanc, le batteur est blanc, le clarinettiste est blanc, le tromboniste est blanc. Pas l'ombre d'un Noir, pas même un métis ! Et pourtant, les ventes de leur 78 tours comportant les deux morceaux « Livery Stable Blues » et « Dixie Jass Band One-Step » s'envolent. Avec un million et demi d'exemplaires vendus, ils laissent sur place Enrico Caruso. De la folie. Dans la foulée, les musiciens de l'Original Dixieland Jass Band décident de virer les deux « S » de « Jass » pour les remplacer par deux « z ». Le mot « jazz » était alors une déformation argotique du terme Jizz (sperme), pour indiquer l'énergie, la force.

Mais comment les jazzmen noirs ont-ils ainsi pu se faire coiffer au poteau par une bande de Blancs ? Tout commence à La Nouvelle-Orléans, quand, un soir de décembre 1915, Harry H. James, propriétaire d'un night-club de Chicago, repère dans la rue un orchestre en train de jouer pour faire la promotion d'un match de boxe. Il s'agit du Papa Jack Laine's Reliance Brass Band, dont le cornettiste, Dominic James, dit « Nick La Rocca », l'enchante. Après le match, Harry va saluer le cornettiste, puis le suit au Haymarket Cafe pour le voir jouer avec la formation du batteur Johnny Outha Stein, le Stein's Dixieland Jass Band.

La première nouveauté sensationnelle et musicale de 1917

Harry James tombe sous le charme et convainc l'orchestre de venir à Chicago, où il arrive au début de l'année 1916. Outre le batteur Stein et le cornettiste La Rocca, il est composé du clarinettiste Alcide Nunez, du tromboniste Eddie Edwards, et du pianiste Henry Ragas. Bien qu'un peu pâlot, la formation rencontre un succès immédiat. Bientôt, Stein prend la porte, remplacé à la tête du groupe par Nick La Roca qui engage le batteur Tony Sbarbaro. L'Original Dixieland Jass Band est né.

Le célèbre Al Jolson, qui, dix ans plus tard, deviendra le premier homme à parler au cinéma, leur trouve un impresario et un contrat à New York. La grande vie commence. Dès leur premier concert au Reisenweber Club, le 15 janvier 1917, c'est un véritable carton ! Le New York Times écrit : « La première nouveauté sensationnelle et musicale de 1917. La formation de jazz constitue le dernier engouement qui balaie la nation tel une tempête musicale, et il donne à la danse moderne une nouvelle vie et un nouveau frisson. » Il n'y a que les vrais spécialistes de jazz original pour faire la fine bouche. D'après leurs oreilles, cette bande de Blancs est très loin de rivaliser avec les jazzmen noirs. Ils vont jusqu'à qualifier leurs représentations de caricatures et les accusent d'en faire des tonnes sur scène.

Applaudis par George V, Foch et même Pétain

Mais de pâles copies qui ne se débrouillent pas si mal que ça, puisque, deux semaines plus tard, voilà l'Original Dixieland Jass Band en train d'enregistrer pour le label Columbia. L'enregistrement n'est guère probant. Les bandes finissent à la poubelle. Ce n'est pas pour cette fois. Une deuxième chance est donnée au groupe par le label Victor Talking Machine Company (qui deviendra plus tard RCA-Victor, le label du King Elvis Presley) le 26 février 1917. Cette fois, ils ne se ratent pas. Ils enregistrent le premier disque de jazz de l'histoire. Une vingtaine d'autres morceaux suivront, pour Columbia, qui les récupère vite fait. Tous les labels se disputent désormais l'Original Dixieland Jass Band. Durant des mois, celui-ci est la star des clubs new-yorkais, mais bientôt les groupes noirs lui volent la vedette. Voilà donc les « culs blancs » traversant l'Atlantique en 1919 pour aller astiquer leurs cuivres dans les salles anglaises et retrouver le monopole de la gloire. Le 28 juin 1919, ils enregistrent un triomphe au Savoy de Londres pour le Bal de la victoire. Le roi George V, Foch et même Pétain les applaudissent à tout rompre.

De retour aux États-Unis, la gloire a fléchi, mais demeure jusqu'à ce jour de janvier 1925 où le chef de meute, Nick La Rocca, en pleine dépression, fiche le groupe par terre et retourne tout seul à La Nouvelle-Orléans au volant de sa Buick. Il était temps de laisser la place aux vrais inventeurs du jazz.

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Commentaires (4)

  • Jerry lee lewis

    Pour ceux de passage à NYC, le Village Vanguard à Greenwich Village sur la 7th Av. Un incontournable.

  • coquelicot3

    A cette époque, les enregistrements ne se faisaient pas sur des bandes magnétiques qui n'existaient pas encore !
    On gravait directement un disque qui servait ensuite de matrice en vue de la production.
    C'était encore le cas au début des années 50, avant l'arrivée du microsillon. J'ai participé à un enregistrement à cette époque, dans la chorale où je chantais.

  • guy bernard

    Bel article et beau générique pour Woody Allen !
    c’était l'époque où il fallait passer par un truchement pour rendre une musique noire accessible aux blancs pour cause de tabous.
    mais c'est resté longtemps le cas, avec Gershwin, par exemple, mais aussi avec Elvis Presley dont les ventes de disques n'ont décollées que lorsqu'on a donné le nom de son lycée (blanc) d'origine.
    plus proche de nous, les compositeurs noirs, comme Isaac Hayes et Quincy Jones, étaient interdits de violons, alors qu'ils en avaient rédigé des partitions entières ! Et jusqu'à la fin des années 60 !
    écoutez la longue introduction au violons de "Walk on by" d'Isaac Hayes : c’était une révolution et un manifeste contre une culture sectaire qui imaginait à tort sauvegarder ses intérêts dérisoires en sacrifiant ses tendances naturelles.