Le manuscrit original du "Tour du monde en 80 jours" retrouvé

Se poser dans un café tel que le Flore, se plonger dans un roman... Déjà tout un voyage. Jessica Nelson y venait souvent lorsque, étudiante à Sciences po, elle lisait comme une affamée. "Avant d'arriver à Paris, en 1998, j'avais peu lu, je me suis rattrapée."

Et comment! A 36 ans, elle est aujourd'hui tout à la fois auteur, critique et éditrice. Elle vient de publier son troisième roman, Debout sur mes paupières, aux éditions Belfond, est chroniqueuse dans Au Fil des mots, sur TF1 et LCI, et cofondatrice du prix de la Closerie des Lilas. Paradoxalement, l'édition est l'activité qui l'entraîne - elle qui se dit casanière - le plus loin de ses bases germanopratines.

En 2012, avec Nicolas Tretiakow, un ami de Sciences po, Jessica Nelson a monté une maison d'édition discrète aux publications fascinantes. Les Editions des Saints Pères sortent de l'oubli des manuscrits d'écrivains dans leur intégralité, avec une qualité telle que l'encre semble à peine venir de sécher. Des coups de coeur contemporains, comme Hygiène de l'assassin, d'Amélie Nothomb, leur premier opus. Des monuments incontournables, comme A la recherche du temps perdu, de Marcel Proust, ou Jane Eyre, de Charlotte Brontë, en trois volumes.

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Et des découvertes. Le Tour du monde en 80 jours, de Jules Verne, à paraître le 20 mars (1), fait partie de cette dernière catégorie. "Je l'avais cherché il y a quelques années, sans trouver d'autre trace que 40 feuillets conservés au musée de Nantes. Quel bonheur quand nous avons mis la main dessus!" raconte-t-elle, devant un Perrier.

Certains manuscrits s'évanouissent, en effet. Détruits? Sous clef? "Celui de Voyage au bout de la nuit, de Céline, que nous avons publié pour la première fois", a disparu pendant soixante ans, rappelle-t-elle. En plongeant dans le fonds Hetzel, les archives de l'éditeur de Verne, à la recherche d'une correspondance ou d'une note qui en parlerait, Jessica Nelson et son assistante ont découvert, dans un dossier censé contenir des contrats d'édition, le texte intégral du Tour du monde en 80 jours. "Nous avions travaillé sur Vingt Mille Lieues sous les mers et n'avions donc aucun doute sur l'écriture. Il n'a jamais été perdu, personne ne l'a cherché à cet endroit." Dans les marges, l'écrivain fait ses calculs pour que Phileas Fogg tienne son pari.

Chercher un manuscrit est un voyage en soi, dans le temps, dans l'univers d'un auteur, et parfois dans l'espace. Ses recherches ont ainsi emmené l'éditrice à la Morgan Library, sur Madison Avenue, à New York, où elle a tenu dans ses mains les Contes de Perrault (1695), ou à la British Library pour Jane Eyre, première publication internationale de l'éditrice. Elle se rend chez des particuliers, des ayants droit, qui eux-mêmes ne connaissent pas toujours la teneur des archives. En ce moment, Jessica Nelson fouille une masse considérable de documents d'un grand écrivain français dont elle tait encore le nom.

C'est une exposition à la Bibliothèque nationale de France, en 2000, "Brouillons d'écrivains", qui les a convaincus, elle et son associé, d'investir ce créneau. Ils ne voulaient pas publier de simples facsimilés: à travers la numérisation, page à page, ils restaurent le manuscrit comme on restaure un tableau. "La tache de café reste, pas les traces de vieillissement du papier et de l'encre. Chez Jules Verne, il est très émouvant de le 'voir' écrire, explique Jessica Nelson. Quand il trempe sa plume dans l'encrier, l'encre est plus soutenue, puis elle faiblit, et il replonge sa plume..."

Chez Proust, elle a pu vérifier la légende de la madeleine: "On a trouvé dans des cahiers le passage sur la madeleine, avec plusieurs métamorphoses: pain grillé, biscotte, brioche, avant de devenir madeleine."

En tant qu'auteur, Jessica Nelson pourrait être intimidée d'entrer dans le petit laboratoire de ces grands écrivains. Elle assure que, au contraire, être témoin de leur processus créatif les rend plus humains. "Victor Hugo, n'a pas 30 ans quand il écrit Notre-Dame de Paris. C'est bouleversant", observe-t-elle.

Paradoxalement, elle-même ne garde aucune trace des étapes de son écriture. "Je suis du genre à ne pas conserver. Et je n'en ai aucun regret." Comme Baudelaire. Il ne reste rien des Fleurs du mal. Mais elle a quand même trouvé un manuscrit. Les épreuves corrigées de sa main.

(1) Le Tour du monde en 80 jours. Les Saints Pères. 280p., 189¤. Edition limitée et numérotée. www.lessaintsperes.fr/manuscrits/fr