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Le désespoir des réfugiés de la guerre du Yémen: «Ici, on meurt peu à peu»

La guerre au Yémen a tué plus de 10 000 civils, selon l'ONU, déplacé trois millions de personnes à l'intérieur du pays et forcé des milliers à l'exil.

Quand Oum Yasser est arrivée dans la rue, il n'y avait plus de maison. Plus de maison, plus de mari. Les bombes qui pleuvaient sur Aden, dans le sud du Yémen, avaient fini par toucher son immeuble. C'était en mars 2015, le début de l'entrée en guerre de la coalition arabe menée par Riyad pour contrer l'avancée des rebelles chiites houthis qui contrôlaient de vastes pans de territoire yéménite, dont la capitale Sanaa.

«C'était la misère, on ne trouvait ni à boire ni à manger», raconte Oum Yasser dans la tente du camp de réfugiés où elle vit aujourd'hui. Le visage très rond entouré d'un hijab rouge, elle reste toujours digne même quand elle décrit la peur permanente, les combats, la fuite.

«L'avion frappe ici, tu pars là-bas, l'avion frappe là, tu dois partir de l'autre côté.» Elle quitte Aden un mois plus tard. Direction le port, la mer, la seule issue possible. «C'était comme dans un film. A un moment, ils ont bombardé une voiture devant nous. Je n'ai pu ni crier, ni parler, ni pleurer. Je regardais comme un robot.»

Elle monte finalement dans un bateau avec son fils adolescent. Le navire qui les précède est touché par un obus, envoyé par les houthis, pense Oum Yasser. «La mer est devenue rouge, pleine de sang.»

Le vent qui rend fou

Son bateau à elle traverse et arrive de l'autre côté du détroit de Bab al Mandeb, à Djibouti, ancienne colonie française. Le petit pays voisin, très pauvre, ouvre ses portes aux réfugiés qui accostent en nombre dans la région d'Obock, village de pêcheurs et de passeurs. Depuis, Oum Yasser vit dans le camp de réfugiés de Markazi, à quelques kilomètres du centre-ville. Mais ce n'est toujours pas «une bonne vie».

Ici, c'est un désert. Du sable, de la poussière et un vent terrible: le khamsin. «Un genre de tourbillon, explique Oum Yasser. Tu n'arrives pas à faire à manger, tu n'arrives pas à dormir, tu n'arrives pas à supporter la chaleur», plus de cinquante degrés en été.

Ils sont près de 1500 réfugiés à vivre dans ce camp géré par l'Agence des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR) et l'Office national d'assistance aux réfugiés et sinistrés (ONARS, entité gouvernementale djiboutienne). La guerre au Yémen a tué plus de 10 000 civils, selon l'ONU, déplacé trois millions de personnes à l'intérieur du pays et forcé des milliers à l'exil. Beaucoup sont passés par le camp de Markazi où s'alignent des dizaines de tentes et de drôles de maisonnettes – un nouveau type d'hébergement d'urgence. «On a plus d'intimité, mais il y fait horriblement chaud en été», se plaint une réfugiée. Au centre du camp, des balançoires et un bac à sable, pas très loin des tentes usées qui abritent l'école. Des gamins dépenaillés chahutent, des chiens aboient parfois pour chasser les babouins qui s'aventurent dans le camp. Deux cliniques, quelques épiceries de fortune. Et beaucoup d'ennui.

Amina est désespérée de ne rien faire. La trentenaire, thésarde en biologie à l'Université d'Aden, n'en peut plus, se sent pleine de rage et impuissante. «Je veux reprendre le cours de ma vie», martèle-t-elle. «On devient fous ici, on meurt peu à peu», ajoute sa mère Houda. Cette famille de la classe moyenne, qui a tout perdu en quelques jours et vit au camp depuis deux ans, n'a toujours pas digéré le choc. «On vivait comme des princes et maintenant on vit comme des mendiants», tempête Houda. Son fils aîné, traumatisé par la guerre et les bombardements incessants, alterne entre apathie et crises de nerfs. Il a tenté deux fois de se tuer.

«Faites-nous sortir d'ici!»

«Je veux aller n'importe où, mais sortir de cette prison», répète Amina. «Prison», un terme utilisé par beaucoup de réfugiés ici. Surtout depuis que les habitants du camp ont besoin d'une autorisation préfectorale pour quitter Obock, une mesure récente. «Tous les pays nous ont fermé leurs portes», continue Houda. «S'il vous plaît, il faut faire savoir que les Yéménites sont des gens civilisés, et qu'il faut nous sortir d'ici.»

Au début, la famille a vécu huit mois à Djibouti ville, la capitale, mais personne n'a trouvé de travail et tout était trop cher. Ils ont dû revenir à Markazi. Nassira Ali Ahmed, son mari et leurs dix enfants vivent, eux, dans la capitale. Une banlieue lépreuse, un quasi bidonville en bordure d'un cimetière abandonné. Est-ce vraiment mieux qu'au camp de Markazi? La famille doit compter sur la solidarité du voisinage, car il n'y a pas de travail. Pas d'eau, peu d'électricité. Quelques murs de tôle sur une parcelle donnée par des voisins. «Mais au moins, on n'a pas peur. Grâce à Dieu, on est vivants, on a à boire, à manger», souligne Nassira, une femme de 39 ans au sourire facile. La famille vient de la ville portuaire de Mokha, dans le sud-ouest du Yémen. Une des zones actuellement les plus touchées par le conflit, reprise à la mi-février aux houthis par les forces progouvernementales.

«Grâce à Dieu, ici on n'a pas peur», répète Nassira. Des gamins et des voisines aux voiles colorés se sont rassemblés dans la pièce minuscule, mais propre, qui sert de chambre. Un bruit assourdissant vient du ciel, très proche. «Ici, on n'a pas peur des avions», dit Nassira. Ça ne fait pas si longtemps que les enfants ne tressaillent plus quand ils passent au-dessus de leur tête.