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C’est « soit le loyer, soit manger », la « dégringolade » d’un chômeur à Nantes

Luc, 53 ans, cuisinier au chômage, raconte les galères en chaîne dans son deux-pièces nantais dont il craint d’être expulsé. Une rencontre #FrançaisesFrançais.

Par  (Envoyée spéciale à Nantes)

Publié le 06 mars 2017 à 11h23, modifié le 24 mars 2017 à 10h45

Temps de Lecture 4 min.

Luc B., à Nantes le 14 février.

La première lettre recommandée est arrivée à la fin du mois de janvier. Après quatre mois de loyers impayés. Le montant de ce que Luc B. doit à ses propriétaires y est inscrit en gras. 2 391,47 euros. « C’est allé tellement vite », soupire le chômeur de 53 ans, l’enveloppe à la main.

Une séparation, un licenciement et, bientôt, peut-être, une expulsion. Dans son deux-pièces à Nantes, il raconte les galères en chaîne, « la dégringolade » qui l’a mené jusque-là. Il s’excuse presque en tirant sur le plaid « cache-misère » posé sur le canapé. C’est qu’il pensait en acheter un neuf, en s’installant. « Et finalement… » Finalement, en juin dernier, quelques mois après s’être séparé de sa compagne, il perd son emploi de cuisinier. Une baisse de chiffre d’affaires pousse ses patrons à se séparer d’une de leurs trois crêperies. « Et moi, j’étais le dernier arrivé… », précise Luc B.

Depuis, il vit avec 500 euros d’allocation de solidarité spécifique (ASS) et 270 euros d’aide au logement (APL). « Dur dur » de s’en sortir, avec un loyer à 575 euros. Certes, concède-t-il en touillant son café soluble, il aurait pu trouver un appartement moins cher dès le début. Mais dans l’urgence post-rupture, il a sauté sur le premier qui se libérait. Désormais au chômage, « même pas la peine d’en chercher un autre ».

Non, il ne profite pas du système pour se la couler douce

Durant ses premiers mois sans emploi, il a bien essayé d’envoyer quelques centaines d’euros par-ci par-là à ses propriétaires, plutôt compréhensifs. Mais, depuis novembre, il a dû se résoudre à un choix : « Soit le loyer, soit manger. » Assurance, mutuelle, Internet, nourriture… Luc B. se sent obligé de justifier chaque dépense pour prouver que non, il ne profite pas du système pour se la couler douce. Il a bien acheté ce jean soldé, « le seul en deux ans », tient-il à préciser. C’est vrai aussi, confie-t-il du bout des lèvres, qu’il joue à l’Euromillion de temps en temps, et s’accorde 20 euros de PMU toutes les trois semaines. « Parce qu’il faut bien tenter sa chance, non ? »

Les dépenses aberrantes ne sont pas celles-là, soutient-il en décrivant le cercle vicieux des frais bancaires qui s’ajoutent aux frais bancaires. Et de raconter les semaines à négocier avec son fournisseur d’accès à Internet pour qu’il accepte enfin de changer la date du prélèvement automatique. « Ils étaient bornés, il fallait absolument que ce soit le 23. » Fin de mois oblige, son compte était vide, le prélèvement refusé… et des frais lui étaient ponctionnés le mois suivant. « Vous voyez le cauchemar. »

Son CV de chef cuisinier traîne sur la table du salon chichement meublé. Luc B. a répondu à des dizaines d’annonces depuis son licenciement, et c’est bien la première fois qu’il se heurte à un tel silence. Voilà trente-deux ans qu’il passe de brasserie en crêperie, en choisissant, parfois, de rester quelques semaines sans activité. Sans s’inquiéter. Il savait que, du jour au lendemain, il retrouverait une place. « Dans la restauration, le boulot, ça ne manque pas. » Alors, cette fois, il ne comprend pas. Ou plutôt, il croit trop bien comprendre. A 53 ans, le voilà « trop vieux, trop cher », selon lui. Pourtant, en fin de carrière, Luc B. prétend à peine à 1 500 euros net par mois.

Vanter ses « avantages de senior »

Ce matin encore, il est tombé sur une annonce au lancement « déprimant » : « Venez rejoindre notre équipe jeune et dynamique. » Le quinqua fronce les sourcils. « Ça veut dire quoi ? A partir de quand on devient inutile ? » Durant les quelques entretiens qu’il a décrochés, il a donc pris les devants, en vantant ses « avantages de senior ». Ses compétences ? Son expérience ? « Non, les avantages fiscaux pour l’employeur… »

Un ami lui a conseillé de reprendre un rythme saisonnier, « comme avant ». Luc B. soupire en évoquant ses souvenirs : « J’étais jeune, j’avais la patate. Là, c’est plus de mon âge de bosser comme un taré. »

Malgré son tee-shirt Smile everyday, il confie avoir des « jours sans ». A rester dans sa chambre, sans bouger, volets baissés. « Et puis le lendemain, faut bien se relever ! » D’autant que la fin de la trêve hivernale approche. « J’y pense souvent quand je croise des SDF. Je me dis que ça pourrait être moi. » Il secoue la tête. Non. Il finira bien par trouver un petit contrat. Pour le moment, il n’a pas encore poussé la porte des Restos du cœur. « Attention, je ne juge pas ceux qui y vont », prévient-il. Lui n’y arrive pas. « C’est de l’orgueil », il le sait bien, mais parfois, il se dit qu’il ne lui reste que ça.

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Sa colère au fond de la gorge, il refuse de la transformer en vote extrême au printemps prochain, à la présidentielle. « Je sais bien ce que le FN pense de mon mode de vie. Pareil pour Fillon. » Luc B. est bisexuel. Il raconte encore, la voix tremblante, son agression homophobe, il y a quelques années. « Alors non merci. » Pour lui, ce sera Benoît Hamon et son revenu universel, qu’il « adore ». Ou Emmanuel Macron. Il ne sait pas encore très bien ce qu’il propose, mais « au moins, il sort du clivage droite-gauche. Et il est nouveau ! » Jeune, et dynamique.

Nous avons rencontré Luc à la suite du message qu’il a laissé sur notre appel à témoignages : « Et vous, qu’est-ce qui vous préoccupe ? » N’hésitez pas à faire comme lui, et témoignez ! Retrouvez également nos grands formats à l’écoute des Français.

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