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Bugeat, ce village de Corrèze qui se réjouit tant d’accueillir une famille de réfugiés soudanais

Dans cette région granitique de moyenne montagne, les 850 habitants espèrent être rejoints par des migrants africains pour l’instant en situation précaire en Israël.

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Publié le 01 mars 2017 à 14h03, modifié le 15 mars 2017 à 01h35

Temps de Lecture 7 min.

Le village de Bugeat, en Corrèze, est situé dans le parc naturel régional de Millevaches en Limousin.

Un pain débordant du cabas, une silhouette sèche glisse hors de la supérette. L’homme hésite un instant, hume le printemps précoce, place du Champ-de-Foire, avant que son dos voûté, racontant des décennies de travail de la terre, ne s’éloigne à pas lents vers la mairie.

Epicerie, café… les deux points de ralliement de Bugeat connaissent un pic d’animation avec les premiers soleils de février. « Et encore, on n’est pas un jour de marché », plaisante le retraité en bleu de travail avant de lancer un petit signe de tête à D’Jo, la tenancière du bar.

Au Café de la Place, institution qui a traversé les siècles dans ce village de Haute-Corrèze, ce sont les « Soudanais » qui sont ce matin au cœur des conversations. Les clients font la liste de ce qui manque encore dans la grande maison où le ménage vient d’être fait pour « la famille », comme ils l’appellent.

D’eux, les habitants de Bugeat ne savent rien, ou si peu… « Ils viennent du Soudan, se sont arrêtés en Israël et risquent d’en être expulsés », résume Pierre Fournet, le maire, un ancien professeur. « Nous avons une maman seule avec ses quatre enfants, dont le plus jeune n’a pas 2 ans. Elle arrivera avec sa mère à elle, deux de ses frères et une sœur tout juste majeure », ajoute-t-il, relisant le courriel qui lui a été transmis avec ces informations.

Les atouts d’une fabrique de champions

En bas, la signature de Jean-Jacques Brot, celui qu’on appelle « le préfet des Syriens », atteste que les autorités françaises sont dans la boucle et que la famille a été classée « vulnérable » par le Haut-Commissariat aux réfugiés de l’ONU (UNHCR).

Paroissiens engagés dans la préparation de l'installation de la famille soudanaise à Bugeat. Ils sont ici réunis dans la salle commune du presbytère, à côté de laquelle la famille sera logée.

Jean-Jacques Brot est un orfèvre de l’accueil, qui ajuste au mieux les offres d’hébergement des communes avec les besoins des arrivants que la France s’est engagée à recevoir. « Pierre Fournet m’avait parlé de ce grand logement vacant début 2015, et l’évêque de Tulle, propriétaire du lieu, m’a plusieurs fois rappelé qu’il souhaitait accueillir », détaille M. Brot à qui il ne restait alors qu’à trouver la famille adéquate…

Sachant qu’un centre consacré aux préparations olympiques était installé dans ce bourg où a vécu Alain Mimoun, champion olympique de marathon aux JO de Melbourne en 1956, M. Brot a tout de suite pensé à Bugeat pour cette famille soudanaise comptant une athlète de haut niveau.

Avec son centre des Mille-Sources, sa pression atmosphérique et ses dénivelés de moyenne montagne, cette commune de Haute Corrèze a les atouts d’une fabrique de champions, elle qui, hier encore, était une terre où l’on taillait la pierre de père en fils dans un paysage de carrières de granit. A moins que l’on ne préfère devenir scieur dans les forêts alentour, l’autre vocation séculaire du lieu.

Tradition d’accueil

Si Bugeat tout entier n’est pas encore passé à l’heure soudanaise, c’est que les montagnards, prudents, préfèrent attendre que les choses soient sûres avant d’en faire état. Il faut dire que le village a été par deux fois échaudé.

« On s’était préparé pour recevoir une famille syrienne, mais le père, ingénieur aéronautique, pensait qu’il pourrait aller travailler chaque jour à Toulouse… Quand ils ont compris qu’on était à 3 heures de Toulouse, ils ne sont pas venus… La seconde fois aussi, il y a encore eu méprise sur notre situation géographique », regrette Pierre Fournet, qui croise les doigts en jugulant les impatiences tant l’accueil, dans l’ADN de son village, affleure dans toutes les conversations.

Du haut de ses 68 ans, dont quarante au conseil municipal, le maire est le pivot du projet, à la jonction des trois groupes pro-accueil animés ayant chacun ses propres motivations. La rencontre de la générosité laïque du conseil municipal, d’un élan évangélique autour du groupe de prière du dimanche de la paroisse, et d’une ouverture associative portée par le Secours populaire, a créé une dynamique unique au cœur du plateau de Millevaches, qu’on croyait condamné à une ruralité montagnarde fermée à l’étranger.

« Si on était dans la situation de cette famille, on apprécierait une main tendue. » D’Jo, patronne du Café de la Place

A moins que ce goût d’aider les plus faibles ne soit gravé plus profondément encore dans la pierre du village. « Déjà, pendant la guerre, des familles belges et du nord de la France qui fuyaient les Allemands ont trouvé asile ici. Des juifs aussi », rappelle le maire en contemplant, gravés dans le marbre, les noms des douze personnes emportées par la rafle qu’a connue la bourgade en avril 1944.

« Première naissance au village depuis cinquante ans »

L’accueil, c’est aussi celui de la dizaine de familles britanniques et d’un Australien qui ont acquis des maisons ici, permettant au village de se maintenir au-dessus des 850 habitants. Et puis dernièrement, Bugeat s’est enrichi d’une famille kosovare, avec ses six enfants.

La naissance du dernier, début 2017, a d’ailleurs permis d’enregistrer « la première naissance au village depuis cinquante ans ou plus », rappelle Anita Cavalli, la première adjointe. Julietta, la maman, a accouché au domicile de la femme qui les héberge, sous l’œil inquiet d’un jeune pompier volontaire.

« Quand on peut aider, il faut le faire », souligne D’Jo en servant ses cafés. « Si on était dans la situation de cette famille, on apprécierait une main tendue », ajoute-t-elle, avant que Liliane Ortin, pour qui l’accueil est aussi une évidence, ne confie que dans ses cauchemars nocturnes, elle voit parfois ses « petits-enfants en errance sur les routes, comme ça » ; une image qui glace le groupe.

Philosophe, François Counil, le musicien du lieu, estime que « ça va faire parler pendant quinze jours, et puis ils feront partie du village ». Le manager du groupe Rambo, qui s’est produit au Hard Rock Café, à Paris, et qui vient de jouer en première partie d’Au Bonheur des dames, a vu s’ouvrir peu à peu le Bugeat traditionnel, hier plus renfrogné.

« Evidemment, ils seront observés au début, à cause de leur peau foncée, mais ça passera vite », ajoute une autre Bugeacoise, qui se réjouit que la famille soit chrétienne. « C’est triste à dire, mais je pense que ça aidera à leur intégration », souffle-t-elle.

Traumatisme des fermetures de classes

L’arrivée en cours d’année de quatre enfants à scolariser permettra-t-elle de sauver la quatrième classe de l’école que l’inspection académique projette de fermer ? « On n’ose pas trop poser la question, parce que notre motivation à accueillir est bien plus profonde que la lutte pour une classe. Mais bon… Cela changera quand même un peu la donne », estime Anita Cavalli, ex-directrice d’école en région parisienne revenue en Corrèze pour sa retraite.

La coupe du bois et la taille du granit, les deux activités séculaires de Bugeat, en Corrèze, où est attendue une famille de réfugiés soudanais.

Dans la commune, qui a, quelques années durant, hébergé le plus petit collège de France (deux classes), le traumatisme des fermetures est bien ancré. On n’est plus en 1848, au temps où Bugeat enflait à vue d’œil avec l’arrivée de la route reliant Limoges à Ussel ou Tulle, ou quand le train s’est arrêté là, trente-cinq ans plus tard.

A ce moment-là, la ville comptait plus de mille habitants et une vingtaine de débits de boisson. On allait danser chez Jabouille, au Grand Cerf, deux fois par mois, sur les airs des violoneux. C’était aussi l’heure de gloire de l’Hôtel des Voyageurs, dont il ne reste plus qu’une enseigne aux couleurs passées.

Au Secours populaire, on a déjà préparé du linge de maison dont on se demande s’il plaira aux réfugiés

A la maison préparée pour les Soudanais, Juliette, le chat des voisins, fait le guet sur le perron. On se dit qu’il faudra « tailler la glycine qui recouvre le mur », que ce soit propre.

Pierre Fournet a récupéré des verres pour la cuisine, qu’il transporte dans son panier, nappé d’un torchon, « parce que tous les enfants du monde cassent des verres, enfants de réfugiés compris ». Patricia Maury observe où ira le mieux « le grand meuble de salle à manger qui arrivera vendredi », pendant que d’autres imaginent déjà les conserves de l’épicerie populaire sur les étagères.

Les imaginations vont bon train

En refaisant un tour des chambres, on compte aussi combien de lits manquent avant qu’Elisabeth Fournet ne rappelle qu’elle « a mis de côté un lit d’enfant en osier qui conviendra parfaitement au plus jeune de la famille ».

Jean-Luc Grand, habitant de Bugeat, paroissien et bénévole au Secours populaire. Ici, dans la boutique du Secours populaire de Bugeat.

Dans la boutique du Secours populaire, Jean-Luc Grand, le responsable départemental, attend près d’un tas de couvertures et de linge de maison qu’il a préparé. Mme Fournet et Yvette Nauche touchent les draps de chanvre, se demandant s’ils plairont aux Soudanais. Les imaginations vont bon train.

« Qu’est-ce qu’ils aimeront ? Quelles activités les enfants auront-ils envie de faire ? » se demande-t-on. « Avec qui aura-t-on le plus d’affinités, la jeune femme, sa mère, sa sœur ? », interrompt une autre. « Je pourrai emmener les garçons à la ferme s’ils ont envie », suggère Madeleine Bossonie, dont le fils élève des limousines.

Pour le soutien scolaire, les ex-enseignants du collectif se sentent tout désignés, à moins qu’ils se concentrent sur l’enseignement du français aux adultes. C’est à voir. Déjà, Pierre Fournet fait son cours de conversation français-anglais le mercredi matin.

Car la vie est un peu suspendue à Bugeat, en attendant cette famille inconnue. Vivement qu’ils arrivent, ont envie de dire Yvette, Elisabeth, Mireille et tous les autres.

  • Le village de Bugeat, en Corrèze, est situé dans le parc naturel régional de Millevaches en Limousin.

    Le 26 février

    Le village de Bugeat, en Corrèze, est situé dans le parc naturel régional de Millevaches en Limousin. Sandra Mehl pour "Le Monde"

  • Dans l’une des ruelles désertes du village.

    Le 26 février

    Dans l’une des ruelles désertes du village. Sandra Mehl pour "Le Monde"

  • En termes d'infrastructures, le village dispose, entre autres, d'une gare ferroviaire et d'un centre destiné à l'entraînement des sportifs de haut niveau.

    Le 25 février

    En termes d'infrastructures, le village dispose, entre autres, d'une gare ferroviaire et d'un centre destiné à l'entraînement des sportifs de haut niveau. Sandra Mehl pour "Le Monde"

  • Henri Hoarau, et son épouse Mariane Hoarau, paroissiens engagés dans la préparation de l’installation de la famille soudanaise. Ils habitent à Toy-Viam, à 6 km de Bugeat, depuis leur retraite, il y a six ans.

    Le 25 février

    Henri Hoarau, et son épouse Mariane Hoarau, paroissiens engagés dans la préparation de l’installation de la famille soudanaise. Ils habitent à Toy-Viam, à 6 km de Bugeat, depuis leur retraite, il y a six ans. Sandra Mehl pour "Le Monde"

  • Au premier plan : la partie du presbytère de Bugeat qui restera consacrée aux réunions des paroissiens. Au second plan : la partie où sera logée la famille sud-soudanaise, qui dispose d’un jardin, d’un rez-de-chaussée et d’un étage.

    Le 26 février

    Au premier plan : la partie du presbytère de Bugeat qui restera consacrée aux réunions des paroissiens. Au second plan : la partie où sera logée la famille sud-soudanaise, qui dispose d’un jardin, d’un rez-de-chaussée et d’un étage. Sandra Mehl pour "Le Monde"

  • Des paroissiens impliqués dans la préparation de l’installation des migrants sont ici réunis dans la salle commune du presbytère, près de là où la famille sera logée.

    Le 25 février

    Des paroissiens impliqués dans la préparation de l’installation des migrants sont ici réunis dans la salle commune du presbytère, près de là où la famille sera logée. Sandra Mehl pour "Le Monde"

  • L’hôtel des voyageurs, situé au centre du village, est à présent fermé. D’autres commerces ont baissé leur rideau ces dernières années, comme la boucherie du village.

    Le 25 février

    L’hôtel des voyageurs, situé au centre du village, est à présent fermé. D’autres commerces ont baissé leur rideau ces dernières années, comme la boucherie du village. Sandra Mehl pour "Le Monde"

  • Le père Bertrand Rougon, 81 ans, dans la salle de rencontres du presbytère, qui restera destinée aux paroissiens. La famille soudanaise occupera le reste du bâtiment, mis à sa disposition par l’évêché. Derrière lui, une carte de la Corrèze (gauche), et une carte de la Palestine (droite).

    Le 25 février

    Le père Bertrand Rougon, 81 ans, dans la salle de rencontres du presbytère, qui restera destinée aux paroissiens. La famille soudanaise occupera le reste du bâtiment, mis à sa disposition par l’évêché. Derrière lui, une carte de la Corrèze (gauche), et une carte de la Palestine (droite). Sandra Mehl pour Le Monde

  • Jean-Luc Grand, habitant de Bugeat, paroissien et bénévole. Ici, dans la boutique du Secours populaire, située sur la D979 traversant le village et assurant la liaison entre Clermont-Ferrand et Limoges.

    Le 25 février

    Jean-Luc Grand, habitant de Bugeat, paroissien et bénévole. Ici, dans la boutique du Secours populaire, située sur la D979 traversant le village et assurant la liaison entre Clermont-Ferrand et Limoges. Sandra Mehl pour "Le Monde"

  • Un des matelas donnés par les paroissiens et les bénévoles associatifs.

    Le 26 février

    Un des matelas donnés par les paroissiens et les bénévoles associatifs. Sandra Mehl pour "Le Monde"

  • Laurence Rédon gère l’épicerie sociale Du bleu dans le gris à Bugeat. Les murs de ont d’ailleurs été repeints dans cette couleur afin de redonner de l’espoir aux personnes précarisées qui la fréquentent. Retraitée et habitant le village avec son mari, Michel, elle est aussi paroissienne et s’implique dans la préparation de l’accueil de la famille soudanaise.

    Le samedi 25 février

    Laurence Rédon gère l’épicerie sociale Du bleu dans le gris à Bugeat. Les murs de ont d’ailleurs été repeints dans cette couleur afin de redonner de l’espoir aux personnes précarisées qui la fréquentent. Retraitée et habitant le village avec son mari, Michel, elle est aussi paroissienne et s’implique dans la préparation de l’accueil de la famille soudanaise. Sandra Mehl pour "Le Monde"

  • Dans l’une des chambres du presbytère où sera logée la famille soudanaise, des meubles, des lits, des couvertures et du matériel pour jeunes enfants ont déjà été installés.

    Le 26 février

    Dans l’une des chambres du presbytère où sera logée la famille soudanaise, des meubles, des lits, des couvertures et du matériel pour jeunes enfants ont déjà été installés. Sandra Mehl pour Le Monde

  • Michel Redon, époux de Laurence, responsable de l’épicerie sociale Du bleu dans le gris, participe aussi à l’installation de la famille soudanaise. Ici, dans sa villa, sur les hauteurs de Bugeat.

    Le 25 février

    Michel Redon, époux de Laurence, responsable de l’épicerie sociale Du bleu dans le gris, participe aussi à l’installation de la famille soudanaise. Ici, dans sa villa, sur les hauteurs de Bugeat. Sandra Mehl pour Le Monde

  • Le fait que la famille soit chrétienne devrait faciliter son intégration.

    Le 26 février

    Le fait que la famille soit chrétienne devrait faciliter son intégration. Sandra Mehl pour "Le Monde"

  • Le 26 février

    Sandra Mehl pour "Le Monde"

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