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Journée internationale de la femme

[Portrait]Turquie: Yasemin Öz ou la résistance en dépit de l’hostilité

Yasemin Öz est de toutes les causes. Militante féministe très impliquée au sein de la communauté LGBT d’Istanbul, cette avocate de 43 ans est depuis déjà plus de vingt ans engagée au sein de la société civile turque. Elle tente de rester optimiste sur l’avenir du mouvement progressiste de Turquie malgré une période de grande tension et un environnement de plus en plus hostile.

Yasemin Öz, avocate et activiste LGBT en Turquie.
Yasemin Öz, avocate et activiste LGBT en Turquie. ©Y.Öz
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De notre correspondant à Istanbul

C’est en 1995, sur les bancs de la faculté de droit de l’université d’Ankara, que Yasemin Öz commence à militer, d’abord pour la revue LGBT Kaos GL qui venait d’être lancée quelques mois auparavant. « Je suis homosexuelle, et c’était à l’époque un véritable tabou en Turquie. Avant 1995, je me considérais comme féministe, j’étais active dans des clubs étudiants, je participais à des manifestations… mais je ne me considérais pas comme militante. Quand j’ai rejoins Kaos GL, je suis devenue militante ».

Une famille à gauche

« Mes parents étaient fonctionnaires – et syndiqués, ce qui n’était pas si évident en Turquie après le coup d’État militaire de 1980. J’ai la chance d’être née dans une famille de gauche, athée et démocrate, où l’égalité entre hommes et femmes était une évidence ». Yasemin Öz obtient son diplôme en 1997, puis commence à travailler dans un cabinet d’avocats. « Je ne pouvais pas choisir mes propres clients, mes propres causes. Donc le jour, je travaillais au cabinet, et le soir et les week-ends, je préparais des dossiers pour des procès concernant des membres de la communauté LGBT, que d’autres collègues avocats plaidaient ensuite au tribunal ».

Le combat LGBT, mais aussi les violences faites aux femmes

Yasemin Öz n’est pas active seulement au sein de cette communauté. Elle a notamment participé à la création de l’Association des objecteurs de conscience et de l’Association de lutte contre les violences sexuelles. « Nous préparons les dossiers des victimes de violences, même si les tribunaux en général n’acceptent pas de nous reconnaître parce que nous ne sommes pas partie prenante à l’affaire. Mais en agissant de la sorte, nous montrons à la Cour que les victimes ne sont pas seules, qu’elles sont soutenues, ce qui peut avoir un effet positif sur le déroulement de leur procès. On dit qu’il y a de plus en plus de violences faites aux femmes en Turquie. Peut-être, mais je pense qu’il y a surtout plus de visibilité justement ces dernières années, grâce à ces actions. La Turquie est un pays patriarcal, les hommes s’attendent à ce que les femmes leur obéissent. Mais les femmes turques revendiquent aujourd’hui davantage leurs droits ».

Pinar Selek, Asli Erdogan... Yasemin Öz s'engage

En tant qu’avocate, elle est également engagée dans plusieurs procès, notamment le procès-fleuve de la sociologue Pinar Selek, condamnée, acquittée et à nouveau condamnée pour « terrorisme » et soutien au PKK. « Je participe aussi, en tant qu’avocate-conseil, à la défense d’intellectuels accusés de terrorisme, comme l’écrivaine Asli Erdogan, par exemple ».

Comment peut-on toujours être résistante en Turquie en 2017, dans un pays qui dérive vers un système politique de plus en plus autoritaire, et qui est sous un régime d’état d’urgence depuis le putsch raté du 15 juillet 2016 ? « Ça devient très difficile », reconnaît Yasemin Öz. « Il y a encore une dizaine d’années, les autorités politiques invitaient par exemple les ONG féministes à participer à des colloques, des congrès… Bien sûr, c’était essentiellement pour faire bonne figure devant l’Union européenne par exemple. Mais désormais il y a une réelle hostilité de leur part. On parle aujourd’hui de « Gongo », des « organisations non-gouvernementales… gouvernementales, qui sont les seules à être reconnues par le pouvoir, et qui tentent – sans succès – d’occuper la place des organisations militantes ».

Gezi, un tournant

Pour Yasemin Öz, la rupture a été marquée lors des événements de Gezi, au printemps 2013. « Le pouvoir a alors commencé à avoir peur de tous les opposants, et à criminaliser, en quelque sorte, toutes formes de critiques, provenant des militants, des intellectuels, des mouvements féministes, LGBT, etc. Gezi leur a fait peur ».

« La Gay Pride a été annulée depuis deux ans, et même pour le 8 mars, on ne sait pas vraiment comment les rassemblements prévus vont pouvoir se dérouler cette année. Et il ne s’agit pas seulement de l’hostilité du pouvoir. L’an dernier, nous avons également appris que Kaos GL était l’une des cibles d’un attentat potentiel des jihadistes de l’État islamique, et les bureaux ont été discrètement déplacés. Désormais, chaque fois que l’on organise un événement, on a cette menace terroriste qui place au-dessus de nos têtes. S’il devait y avoir un attentat lors d’un rassemblement, par exemple lors d’une Gay Pride, ça pourrait tuer durablement le mouvement ».

L'avenir de la Turquie, un combat à long terme

Yasemin Öz ne baisse pourtant pas les bras. « Je n’ai jamais pensé abandonner, parce que je sais que ce pour quoi je me bats est juste. Nous demandons l’égalité, la paix et la justice. C’est tout. Il faut changer ce monde, et c’est impossible de le faire la peur au ventre. Je ne suis pas optimiste sur l’avenir immédiat et je n’attends pas de changements dans les années à venir, mais rien n’est perdu pour toujours : si l’on m’avait dit, en 1995, qu’il y aurait 800 000 personnes dans les rues d’Istanbul pour la Gay Pride, j’aurais éclaté de rire. Et pourtant, près de vingt ans plus tard, c’est arrivé. »

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