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Sexisme : être athlète dans un milieu d’hommes, c’est du sport

Haltérophilie, kickboxing, boxe, rugby ou crossfit, dans les disciplines encore majoritairement considérées comme masculines, certaines femmes peinent à être reconnues. Entre des rémunérations au rabais et des préjugés qui perdurent, elles se battent pour exister en tant que sportives.
par Inna Omarova
publié le 6 mars 2017 à 20h26

Le sport est-il l'un des principaux bastions du sexisme ? Libération a recueilli les avis de 22 personnes, au hasard dans la rue, à Paris et Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine), pour connaître la perception du grand public (femmes et hommes) sur les femmes qui pratiquent des sports dits «virils». La méthode n'est pas scientifique, mais donne un portrait robot de sportive riche en stéréotypes :

- Elle transpire beaucoup.

- Elle ne porte pas de maquillage.

- Ses cheveux sont courts.

- Ses gestes et sa voix sont masculins.

- Elle est poilue.

- Elle fait environ 70 kilos pour 1,80 m. - Elle n’a pas d’enfants.

- Elle trouve difficilement un copain. - Elle est bisexuelle…

L'auteure de ces lignes a elle-même subi ces clichés en Russie et en France, lorsqu'elle faisait de l'haltérophilie et du crossfit, une discipline d'un genre agressif, qui sert d'entraînement aux pompiers… Est-ce que les mentalités ont changé en ce début de XXIe siècle, dans des sociétés dites «modernes» ? Force est de reconnaître que non, au vu des réponses recueillies dans la rue.

Une étude parue aux Presses universitaires de Cambridge en 2016 parvenait à la conclusion que les hommes étaient deux à trois fois plus mis en avant que les femmes dès qu’il était question de sport. Les chercheurs avaient dépouillé 160 millions d’articles de journaux, de messages sur les forums et les réseaux sociaux en langue anglaise. Le résultat est imparable : le sport reste associé aux hommes. Et, lorsqu’on consent à parler des femmes, les mots employés ne sont pas ceux de la performance : on estime qu’elles ont «du mérite», qu’elles «participent»…

Les formes de discriminations dans le sport sont multiples : accès compliqué à certaines disciplines, rémunérations inéquitables. Mais aussi remarques sexistes venant de sources variées : hommes et femmes, personnes du milieu sportif (entraîneurs, concurrents), et plus particulièrement, de celles et ceux qui ne connaissent pas le sport.

Ce climat est lourd pour Katerina, Lori, Maily et Valeria, les quatre sportives que nous avons interviewées, afin de confronter leurs expériences (lire ci-contre). Toutes évoluent à haut niveau, s'entraînent ou concourent douze à vingt heures par semaine, sans pour autant être des stars mondiales. Elles représentent quatre disciplines «viriles» : le kickboxing, le rugby, la boxe et l'haltérophilie. Et viennent de trois pays : la France, l'Ukraine et la Russie - trois sociétés très différentes, mais où, apparemment, le sexisme dans le sport est communément présent. Nos quatre témoins racontent leur quotidien de femmes et athlètes, vivant pour leur sport (mais pas de leur sport). Contre les stéréotypes, animées de leur énergie et de leur passion.

Maily Nicar : «Pour les non-boxeuses, je suis trop masculine»

Française, 25 ans. Double championne de France de boxe moins de 69 kilos. Vice-championne d'Europe moins de 75 kilos.

«Les femmes ne sont acceptées dans la boxe que depuis une vingtaine d’années, avec l’ouverture des compétitions en 1999. Mais nous percevons la même prime que les hommes. Les réflexions liées à mon sport sont plutôt sur le ton de la blague :

«Ah ? Tu es boxeuse ? Alors je ne vais pas commencer à te taper !»

Un jour où j’affrontais un homme sur le ring, son entraîneur me dit :

«J’ai peur pour toi.»

Comme s’il était évident qu’il allait me dominer ! Mais les choses les plus désagréables à entendre proviennent des femmes elles-mêmes, des non-boxeuses évidemment. Elles me disent :

«Tu n’es pas assez fine et trop musclée.»

Pour elles, je suis trop masculine !

Dans ce sport, on parle beaucoup du physique, des blessures, de toutes les traces que nous laissent les combats. Parfois j'entends : «Tu n'as pas de cicatrice au visage. C'est bizarre. Ça veut dire que tu ne dois pas bien boxer !» La blessure fait peur. Mes parents sont inquiets que je boxe. Mais c'est parce que je suis leur fille, pas parce que je suis une femme en tant que telle. J'assume le fait de ne pas avoir envie d'être blessée.» (Photo DR)

Valeria V. : «En haltérophilie, les filles forment comme une famille»

Russe, 26 ans. Haltérophilie catégorie 69 kilos. Championne de Moscou 2015.

«Aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours adoré soulever du poids. Quand j’étais petite, je voulais toujours aider ma mère au jardin, en portant des arrosoirs remplis d’eau. A 11 ans, je manipulais des poids de 3 ou 4 kilos… L’haltérophilie passe pour un sport masculin mais je ne souffre pas de remarques sexistes sur mon physique. La plupart du temps, les hommes que je croise me font plutôt des compliments. Dans les salles où on se prépare, l’ambiance est calme également. Il y a une moitié de filles : nous formons comme une famille, nous pouvons nous protéger les unes les autres. Quelques personnes racontent que les filles dans le sport sont toutes lesbiennes, je ne suis pas d’accord. Chez nous, il n’y en a pas. Nous avons des hétéros et d’autres, comme moi, sont bisexuelles.

«J’ai commencé à gagner de l’argent assez jeune avec le sport, mais pas assez pour en vivre - je travaille à côté comme projectionniste. En 2015, sur une compétition, nous nous sommes rendu compte que les hommes gagnaient deux fois plus que nous. Après avoir protesté, nous avons obtenu gain de cause. L’inégalité financière est la principale forme de sexisme que je rencontre.» (Photo DR)

Katerina Belkina : «Je n’arrive pas à vivre assez de mon sport, mais je vis pour ça»

Ukrainienne, 24 ans. Kickboxing catégorie moins de 48 kilos. Championne d'Ukraine 2016.

«Trop peu de femmes pratiquent le kickboxing. Pendant une compétition, je rencontre une à deux adversaires

[chez les moins de 48 kilos],

alors qu’un homme à catégorie équivalente

[moins de 51 kilos] 

affronte cinq à six adversaires. Ceci explique que les femmes reçoivent moins d’argent. Par contre, lorsque je remporte un combat, l’Etat ukrainien me verse une prime dont le montant est égal à celui des hommes. Et ça, c’est une bonne chose.

«Pour le reste, je finance mes déplacements de ma poche - je travaille en freelance comme ingénieure informatique. Je n’arrive pas à vivre assez de mon sport, mais je vis pour ça. Tout le monde sait qu’il fait partie de moi. Y compris mes parents pour lesquels ce n’est pas une véritable activité professionnelle… C’est pourtant avec mon père que j’ai commencé à regarder des sports de combat dans ma jeunesse, avant de développer mon goût des petites provocations à l’école.

«Un jour, un entraîneur m'a dit : «Le kickboxing n'est pas fait pour les femmes.» Je lui ai répondu : »Qu'est-ce qui est fait pour les femmes, alors ?» Je suppose qu'il préfère imaginer la femme élever les enfants ou faire la soupe pour son mari.» (Photo DR)

Lori Ramirez : «On dit que les femmes qui font du rugby sont des «bonhommes»»

Française, 21 ans. Championne de France de rugby à XV cadettes. AC Bobigny 93.

«J’ai découvert le rugby quand j’avais 9 ans, quand je suis tombée amoureuse d’un animateur à l’école primaire ! Comme j’ai changé d’école, je me suis dit qu’il fallait continuer le rugby si je voulais le voir encore. Ma famille m’a accompagnée aux entraînements et aux matchs, mais mon papa avait un peu de mal parce que je jouais contre des garçons à mes débuts. Il ne voulait pas d’une fille «garçonne». Parfois, pour rigoler, on m’appelle «bulldozer». Je trouve ça lourd. Il existe beaucoup de stéréotypes, on dit par exemple que les femmes qui font du rugby sont des «bonhommes».

«Quand les gens me voient, ils changent d'avis, alors ils plaisantent plutôt sur mon activité : «Allez Lori, plaque-moi !» ou «ça doit être excitant de vivre avec une femme qui fait du rugby…»

«Moi, je préfère sortir avec un mec assez sportif, un rugbyman par exemple, ce qui permet de partager la même passion. Le rugby nous coûte de l’argent. On nous demande de faire de la muscu en salle pour nous protéger le corps. Pour le moment, la seule façon de gagner un peu de sous dans mon sport, c’est d’arbitrer des matchs le week-end.» (Photo DR)

Illustration Adjim Danngar Dessinateur tchadien

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