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Alimentation

Les nouvelles règles officielles de l’alimentation restent loin de la santé écologique

L’Agence nationale de sécurité sanitaire a actualisé son expertise nutritionnelle, insistant par exemple sur la réduction de la consommation de viande rouge. Alors que ce rapport est au fondement du programme national nutrition santé, des ONG environnementales restent sur leur faim. Elles regrettent notamment que l’Agence ne tienne pas compte du mode de production des aliments et de leur degré de transformation.

A l’occasion de la Journée des droits des femmes, Reporterre se met au féminin. Car la règle de grammaire française qui fait que « le mas­cu­lin l’emporte sur le féminin » relève d’une application dans le champ lin­guis­ti­que d’un certain sexisme. Pour ce 8 mars, nos articles ont donc tous été écrits selon la règle « le féminin l’emporte sur le masculin ».


Que mettez-vous dans votre assiette ? Êtes-vous plutôt « pizza-supermarché-pressée » ou « salade-légumes-vapeur-cuisinière » ? Au-delà de nos goûts, de nos moyens et du temps que nous voulons bien lui consacrer quotidiennement, notre alimentation intéresse aussi les pouvoirs publics. Car elle est un excellent moyen de prévenir les « maladies chroniques non transmissibles », en pleine expansion : le diabète, les maladies cardiovasculaires, ou les cancers.

Voilà pourquoi nous connaissons désormais certains slogans aussi bien que le générique de notre dessin animé préféré : « Mangez cinq fruits et légumes par jour » ; « Pour votre santé, évitez de manger trop gras, trop sucré, trop salé ». C’est le résultat d’un patient travail du ministère de la Santé, qui a lancé en 2001 le PNNS — programme national nutrition santé. Ingrédient essentiel de la prévention en matière d’alimentation, il devrait subir dans les mois qui viennent un important changement de régime.

Pour délivrer ses conseils, le programme s’appuie sur l’expertise de l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire), qui a rendu fin janvier un nouvel avis sur « l’actualisation des repères de consommations alimentaires de la population française ». Ce rapport scientifique, lourd d’une centaine de pages et de la participation de dizaines de scientifiques, devrait servir de fondement pour formuler de nouvelles recommandations.

Ainsi, « l’avis de l’agence conduit à des évolutions fortes au regard des recommandations antérieures », avertit-elle dans un communiqué de presse. Notamment, elle préconise d’augmenter notre consommation de légumineuses (pois chiches et lentilles, par exemple) et de céréales complètes. Elle fixe aussi, pour la première fois, une limitation à la consommation de viande hors volaille et invite à diminuer « considérablement » la consommation de charcuterie. Autre nouveauté, l’Anses s’intéresse à la présence de certains contaminants dans l’alimentation comme le plomb, l’arsenic, ou certains pesticides.

La question de l’impact environnemental de notre assiette 

Des conseils qui sont surveillés de près par toutes les professionnelles de l’alimentation, tant nutritionnistes et associations qu’industrielles de l’agroalimentaire. En plus d’être largement diffusés auprès des consommatrices, « ils ont de l’impact sur les travaux des nutritionnistes, notamment celles qui font les menus dans les cantines, et donc sur les achats publics », note Cyrielle Denhartig, responsable agriculture et alimentation au Réseau action climat (RAC).

L’Anses recommande de diminuer la consommation de charcuterie à 25 grammes par jour (contre 39 grammes consommés par jour en moyenne par un homme adulte).

Mais l’évolution est-elle importante ? Pour Denis Lairon, nutritionniste et directeur de recherche émérite à l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale), il faut saluer ce « travail énorme d’expertise », mais se rappeler aussi « l’inertie du système ». L’addition de portions d’aliments et de nutriments pour constituer le régime idéal reste la règle pour beaucoup de nutritionnistes. Et l’orthodoxie nutritionnelle tarde à prendre en compte le mode de production des aliments (toutes les pommes sont-elles identiques ?), ne se demande pas si manger devant la télé ou à table, avec d’autres personnes, change la donne, ne prend pas en compte le volet culturel et psychologique de l’alimentation, ou ne se pose pas la question de l’impact environnemental de notre assiette.

« Le concept d’alimentation durable est pourtant défini par la FAO [Food and Agriculture Organization, l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture] depuis 2010 », note le chercheur. « Les régimes alimentaires durables sont des régimes alimentaires ayant de faibles conséquences sur l’environnement, qui contribuent à la sécurité alimentaire et nutritionnelle ainsi qu’à une vie saine pour les générations actuelles et futures », indique l’institution onusienne.

Sept organisations environnementales [1] qui surveillaient la publication du rapport de l’Anses en tirent donc un bilan « mitigé ». Elles notent simplement quelques conclusions allant dans leur sens.

« Un kilo de légumineuses émet en moyenne 30 fois moins de gaz à effet de serre qu’un kilo de viande »

Les légumes secs (pois chiches, haricots, lentilles, par exemple) ne sont désormais plus confondus avec les féculents (pâtes, pain, riz, etc.). « Ils sont reconnus comme des protéines végétales, ce qui change pas mal de choses. Un kilo de légumineuses émet en moyenne 30 fois moins de gaz à effet de serre qu’un kilo de viande ! » souligne Philippe Pointereau, expert chez Solagro, cabinet spécialisé dans l’étude de l’impact environnemental de l’agriculture.

Une préconisation à mettre en parallèle avec celles de diminuer la charcuterie, à 25 grammes par jour (contre 39 grammes consommés par jour en moyenne par un homme adulte), et de limiter les viandes hors volaille. Concernant la viande, le seuil maximal recommandé de 500 grammes par semaine reste symbolique : il demeure légèrement au-dessus de la moyenne de la consommation française et n’implique donc pas un changement d’habitudes.

Les légumes secs sont dorénavant reconnus comme des protéines végétales.

L’Anses opère donc une avancée timide sur un enjeu majeur : la réduction des protéines animales au profit des protéines végétales. « Toutes les recommandations de la FAO depuis des dizaines d’années recommandent de manger moins de viande, relève Denis Lairon. Mais dès que l’on fait des propositions sur ces questions, il y a une levée de boucliers. C’est ce qui s’est passé lors de la publication du rapport du Centre international de recherche sur le cancer en 2015. » L’agence internationale avait classé la viande rouge comme probablement cancérogène pour les humaines.

Côté environnement, « en France, nous avons fixé un objectif de division des émissions de gaz à effet de serre par quatre. On ne peut pas l’atteindre sans toucher à l’alimentation. Or, 80 % de ces gaz en agriculture sont émis par les ruminantes », explique Philippe Pointereau. C’est pourquoi le scénario de Solagro projetant notre agriculture en 2050 propose une division par deux de notre consommation de produits laitiers et de viande, sans que cela crée de carences nutritionnelles.

« Protéger l’environnement, c’est aussi protéger la santé des personnes »

Autre évolution qui ouvre de nouveaux espoirs : l’agence s’est pour la première fois intéressée à la présence de contaminants dans notre alimentation. « Cela montre un changement de mentalité important », insiste Denis Lairon. Plomb, mercure, aluminium, mais aussi PCB (largement utilisés à une époque, ils sont cancérogènes), résidus de pesticides ou bisphénol A sont pris en compte. Ainsi, pour l’Anses, « les niveaux d’exposition restent préoccupants » pour « un nombre limité de contaminants. » Sont cités l’arsenic, le plomb et l’acrylamide.

Mais c’est encore loin d’être suffisant pour François Veillerette, porte-parole de Générations futures. « On reste dans de la toxicologie classique », déplore-t-il. Les risques de contamination sont évalués à l’aune de la DJA — la dose journalière admissible. Or, certains pesticides dits perturbateurs endocriniens peuvent agir à toute petite dose. L’effet cocktail, c’est-à-dire l’exposition simultanée à plusieurs substances qui, ensemble, ont plus d’effet, est également ignoré.

Les associations environnementales aimeraient donc que l’Anses s’intéresse au mode de production des aliments, espérant qu’un jour le PNNS conseillera aux consommatrices de privilégier le bio. « Protéger l’environnement, c’est aussi protéger la santé des personnes, résume Cyrielle Denhartig. Mais cette idée semble encore loin d’être admise. »

Enfin, alors que 80 % de notre alimentation est faite d’aliments transformés, voire ultratransformés, le rapport de l’Anses n’en fait pas mention. Vaut-il mieux une barre de céréales additionnée en vitamines, ou aller chercher l’équivalent en énergie et nutriments avec des fruits et des féculents bruts ? Premier pays au monde à faire cela, le Brésil a fondé ses recommandations nutritionnelles sur le classement des aliments en « naturels ou très peu transformés », « transformés », « très transformés ». Un épi ou de la farine de maïs sont dans la première catégorie, du maïs en boîte dans la seconde, du pop-corn dans la troisième. Les aliments de la première catégorie sont recommandés comme devant être « la base de votre régime ».

« La seule limite est l’éthique personnelle de chacun » 

Au-delà, le guide nutritionnel brésilien mentionne, parmi les principes, que « s’alimenter n’est pas qu’absorber des nutriments » et mentionne l’alimentation durable. Partant des aliments non transformés, le chapitre suivant recommande les repas fraîchement cuisinés et propose des associations d’aliments à partir de l’observation de Brésiliennes ayant plus de 80 % d’aliments non transformés dans leur régime. La dernière partie invite à manger à des horaires réguliers et en bonne compagnie.

Dans ses recommandations nutritionnelles, le Brésil distingue les aliments naturels (comme le maïs) des aliments très transformés (comme le pop-corn).

Le guide brésilien est-il le guide nutritionnel idéal ? Pas forcément, mais « il est vrai que les aliments transformés sont sous-estimés par la communauté scientifique », reconnaît Denis Lairon. Il pointe également un retard de la France au sujet de ces questions nutritionnelles. « En Scandinavie, le premier programme date de 1969, aux États-Unis, de 1974. » Comment l’expliquer ? On pourrait invoquer une réticence culturelle des Françaises à ce que l’on mette le nez dans leur assiette. Ou la segmentation des domaines de recherche, qui fait que les nutritionnistes dialoguent trop peu avec les sociologues de l’alimentation, par exemple. Mais il ne faut pas oublier le poids des filières agroalimentaires et agricoles, un lourd facteur d’inertie. « Aujourd’hui, il n’y a pas une seule chercheuse en nutrition qui ne collabore pas avec l’agroalimentaire de près ou de loin. Dans le privé, mais aussi dans le public. J’ai terminé ma carrière comme directeur de laboratoire, et mon principal travail était de chercher de l’argent. La seule limite est l’éthique personnelle de chacun », regrette le chercheur honoraire. Autre indice de ce poids de l’agroalimentaire. Ses représentants composent la majorité des personnalités de la société civile interrogées pour le rapport de l’Anses.

Celui-ci est désormais entre les mains du ministère de la Santé. Contacté par Reporterre, il a indiqué qu’aucune date n’était pour l’instant définie afin de mettre en place la nouvelle version du programme national nutrition santé. Sera-t-il, au moins, indépendant des lobbies ? Le président du PNNS, l’épidémiologiste Serge Hercberg, leur ayant déjà résisté, il y a de quoi espérer.

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